La réponse des membres de l’UE au président Trump par Thierry Meyssan

Le sommet de l’OTAN à La Haye pourrait marquer la fin de l’Union européenne. Le président des États-Unis a, en effet, annoncé qu’il était susceptible de ne plus assurer la sécurité de l’UE. Si tel était le cas, il conviendrait d’urgence de réorganiser la stabilité du continent européen. Washington a déjà sa solution : substituer une structure autour de la Pologne à celle actuelle autour de l’Allemagne.
Le 24 juin, les Pays-Bas accueilleront le sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Otan. Ce pourrait être un moment décisif pour l’Organisation : le président états-unien, Donald Trump, a prévenu ses alliés, dès son accession à la Maison-Blanche, que si chaque État membre ne consacrait pas au moins 5 % de son PIB annuel à sa défense, le Pentagone abandonnerait sa charge de commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR). Or, il y a cinq mois, la plupart n’y consacraient pas même 2,5 % de leur PIB.
Clairement, il n’est pas possible que les États membres accroissent leur budget de défense à un tel rythme. L’annonce du président Trump semblait donc irréversible. Déjà, le Pentagone prévoyait le retrait de ses forces d’Europe.
Visite impromptue du président polonais à Donald Trump
Le président polonais, Andrzej Duda, se précipitait à Washington pour rencontrer son homologue états-unien sans rendez-vous. Il parvenait à le voir quelques minutes, le 22 février, en marge de la conférence d’action politique conservatrice (CPAC). Il assurait que la Pologne avait débuté depuis plusieurs années la restructuration de ses forces armées ; qu’elle ambitionnait de détenir la plus nombreuse armée d’Europe occidentale et centrale ; qu’elle ne pouvait pas aller plus vite. Conciliant, Donald Trump lui accordait un sursis : les troupes états-uniennes quitteraient en dernier la Pologne.
À Paris et à Londres, on organisait réunions sur réunions des ministres de la Défense et des chefs d’état-major. On évoquait un possible remplacement du parapluie nucléaire des États-Unis par ceux de la France et du Royaume-Uni. Cette proposition se heurtait cependant à de nombreux obstacles : tout d’abord, le Royaume-Uni ne dispose pas vraiment de la bombe atomique puisque ses installations dépendent du grand frère états-unien. D’autre part, la bombe atomique ne peut dépendre que d’un seul pouvoir politique. Par conséquent, les États qui se placent sous la protection d’un autre doivent lui faire confiance.
En définitive, toutes ces discussions s’interrompirent lorsque Washington suspendit, durant cinq jours, la totalité de ses échanges d’information. Chacun ressentit immédiatement, de façon très cruelle, que, sans la puissance des États-Unis, ses armées ne valent pas grand-chose. Sur le champ de bataille ukrainien, les armes de l’Union européenne ne fonctionnaient plus. La défaite était imminente. En quelques jours, le mythe d’une défense indépendante de l’Union européenne était mort. Chacun fit donc amende honorable.
Cette effervescence, ces sommets à la chaîne, sont une des caractéristiques des négociations conduites par Donald Trump. Il bouscule ses interlocuteurs, les laisse envisager des solutions, leur montre brutalement qu’elles ne peuvent pas fonctionner sans lui et, en définitive, leur imposent sa solution.
Début juin, le Royaume-Uni a publié sa Strategic Defence Review 2025 (« Revue de défense stratégique 2025 »). Il s’agit d’une ode à la protection des États-Unis. Dans un style tout britannique, le ministre de la Défense a ajouté à ce document l’annonce de l’achat de bombardiers Lockheed Martin F-35 Lightning II capable de transporter et de tirer des bombes atomiques. Certes, il n’y a toujours pas le compte des 5 % de dépenses militaires du PIB, mais cela représente de juteux contrats que Londres pourrait signer en échange de la protection des États-Unis.
Sommet des neuf de Bucarest, des pays scandinaves, de l’OTAN et de l’Ukraine (Vilnius)
Plus conforme aux exigences de Donald Trump, les « neuf de Bucarest » (les pays baltes, la
République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Bulgarie) et des pays nordiques (le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède), se sont réunis à Vilnius, la semaine dernière. Ces quatorze États se sont tous engagés à dépenser, au cours de l’année 2025, 5 % de leur PIB à leurs dépenses de Défense. Ils ont donc tenu le pari, parfois en trichant un peu, en faisant passer des dépenses de police sous le même chapitre.
Il reste donc 17 États-membres (USA non compris) qui ne rempliront pas les exigences de Donald Trump au sommet de La Haye. Comment les États-Unis réagiront-ils ? Le président Trump peut considérer qu’il cessera de remplir ses fonctions de protection pour ces 17 États (dont les trois principaux : l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni). Il peut aussi considérer qu’une minorité de membres de l’OTAN ayant déjà rempli ses engagements, il accorde un sursis aux autres.
C’est le sens de la proposition de Mark Rutte, secrétaire général de l’Organisation. Lors de la réunion des ministres de la Défense, le 5 juin. Il a déclaré qu’un plan d’investissement global de 5 % pourrait se décomposer en un volet de 3,5 % pour les objectifs capacitaires, plus un second volet de 1,5 % pour des investissements à condition que les États-membres s’engagent à respecter des plans annuels permettant de vérifier qu’ils tiennent leurs engagements.
Cette solution a semblé convenir à Pete Hegseth, secrétaire états-unien à la Défense, qui a commenté : « Nous pensons qu’un consensus est proche, voire que l’on est proche d’un consensus, sur un engagement de 5 % pour l’OTAN à La Haye, au plus tard ce mois-ci. » Il a d’ailleurs annoncé que le prochain SACEUR serait le général d’origine biélorusse Alexus Grynkewich.
Cependant, l’Espagne refuse toujours l’objectif des 5 %. Sa ministre de la Défense, Margarita Robles, l’avait publiquement rejeté, le 20 mai.
Ursula von der Leyen se rêve en impératrice européenne
Envisageons la première réponse possible, celle qui change la donne. Le Traité de Lisbonne pose que la sécurité de l’UE est garantie, non pas par ses membres, mais par l’OTAN. L’Union européenne deviendrait instantanément un géant économique nu comme Adam.
Les experts de l’UE ne croient pas que Donald Trump franchira le pas. Ils font valoir que, quoi qu’il en soit, les autres membres de l’OTAN pourront faire valoir que l’exigence des 5 % n’a jamais été adoptée par un sommet de l’OTAN (le sommet de 2014 prévoyait seulement 3 % et non pas 5). Trump n’oserait pas imposer une règle qu’il a définie de manière purement orale, non pas que l’OTAN respecte le droit international, mais parce que les États-Unis seraient plus crédibles s’ils se déployaient en Extrême-Orient en laissant derrière eux, en Europe, une situation stable.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté, lors de la remise du Prix Charlemagne, le 29 mai à Aix-la Chapelle, sa vision de l’avenir de l’UE. Selon elle, l’Union européenne doit terminer l’intégration de tous les pays des Balkans et d’Europe orientale (à l’exception de la Russie et de la Biélorussie), devenir une très grande puissance économique et assurer elle-même sa sécurité. Problème : pourquoi les États-membres resteraient-ils si les États-Unis ne sont plus là pour les protéger ? L’impératrice n’a pas répondu à la question qui fâche.
En 2017, Donald Trump honorait de sa présence le sommet de l’Intiative des trois mers.
Revenons à l’hypothèse d’un retrait de la protection états-unienne pour les 17 États qui ne respectent pas l’exigence des 5 %. Donald Trump ne fait pas mystère de considérer que si l’UE a été formée en application d’une clause secrète du Plan Marshall, elle fait aujourd’hui partie de « l’Empire américain » qu’il récuse. Dans la pratique, elle ne fait que nuire aux États-Unis (qu’il considère comme indépendants de « l’Empire américain »). De même Donald Trump ne fait pas mystère de son appui à « l’Initiative des trois mers », c’est-à-dire à la réorganisation du continent européen, non plus autour de l’Allemagne réunifiée (et donc de l’UE), mais de la Pologne et de la Lituanie.
Cette vision des choses correspond à l’histoire. Du XVI° au XVIII° siècle, le grand-duché de Lituanie et le royaume de Pologne constituèrent la « république des Deux Nations ». Cet État binational est parvenu à protéger ses sujets des attaques de l’ordre Teutonique, de l’Empire Russe, de l’Empire ottoman et de l’Empire suédois. Toutefois, du fait de l’opposition d’une partie de la noblesse polonaise et de son alliance avec l’empire tsariste, le Royaume des Deux-Nations fut démantelé. Pourtant, durant l’entre-deux guerres, le général Józef Piłsudski (chef de l’État de Pologne, puis président du Conseil des ministres) imagina de ressusciter la république des Deux Nations. C’est le concept « d’Intermarium » et désormais « d’Initiative des trois mers ». Cet organisme intergouvernemental comprend treize États : l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Tchéquie. La Moldavie et l’Ukraine en sont membres associés, mais il est évident que la Pologne ne souhaiterait que le Nord-Est de l’Ukraine, c’est-à-dire la Galicie orientale.
Donald Trump, qui avait participé en 2017 au sommet de « l’Initiative des trois mers », ne fait pas mystère non plus de souhaiter que cette organisation succède à l’UE.
Signature du Traité de Nancy
Ne souhaitant pas rester sur le bord du chemin, la France a réactivé le « Triangle de Weimar », c’est-à-dire le sommet Allemagne/France/Pologne. En outre, le 9 mai, le président français, Emmanuel macron, a signé avec le Premier ministre polonais, Donald Tusk, le Traité de Nancy. Il s’agit de renforcer la coopération militaire entre les deux pays, mais toujours dans le cadre de l’OTAN.
Il reste que, si l’UE devait disparaître, de nombreux conflits territoriaux anciens ressurgiraient à la mort de l’UE. Or, jamais, de Charlemagne à Adolf Hitler en passant par Charles Quint et Napoléon, les Européens ne sont parvenus à faire la paix entre eux. Seuls l’Empire romain et « l’Empire américain » les ont préservés de leurs chamailleries.
- Source : Réseau Voltaire