Le pouvoir a cyniquement choisi le laxisme

« Champion, mon frère », c’est avec cette interjection colloquiale que Macron a salué la victoire du PSG en Ligue des Champions dans la nuit de samedi à dimanche, au moment même où plusieurs quartiers de la capitale subissaient les assauts de hordes violentes que les forces de l’ordre peinaient franchement à juguler.
Finalement, tout s’est déroulé comme prévu, c’est-à-dire fort mal. Et cette fois-ci, il sera difficile de mettre cela sur le dos des Russes.
Pourtant, il était largement prévu que le match serait l’occasion pour beaucoup de se rassembler à Paris, et notamment sur les Champs-Élysées et les avenues attenantes. Il était largement prévu que les racailles, qui avaient largement fait parler d’elles lors de la demi-finale début mai, tenteraient les mêmes exactions ce soir là. En conséquence, les forces de l’ordre avaient été renforcées, les magasins barricadés, les autorités et les politiciens prévenus. En France, en effet, rien ne chante autant « Célébration de victoire » que des magasins barricadés et des troupes de CRS déployées partout.
Et pourtant, le bilan de la soirée est consternant : un adolescent poignardé à mort à Dax, un homme de 23 ans tué à scooter dans le VIIe arrondissement de Paris, 4 blessés dont 2 graves à Grenoble, fauchés par une voiture de supporters, des pompiers agressés lors d’interventions, un policier grièvement blessé par un pétard et placé en coma artificiel dans la Manche, plus de 500 interpellations (491 Paris, 559 sur tout le territoire) et 320 gardes à vues, et des dizaines de vitrines brisées, des magasins pillés, des voitures incendiées.
On peut se réjouir que tout le monde ait été prévenu ; imaginez si les forces de l’ordre avaient été prises au dépourvu !
Ceci posé, tout le monde comprend – sauf quelques niais perdus dans un déni suspect – que tout ceci n’a aucun rapport direct avec le foot. Ici, tout comme les fois précédentes, l’événement sert de prétexte, essentiellement parce qu’il est populaire et peu filtré (au contraire d’autres manifestations : qui se souvient des émeutes lors des Jeux Olympiques de Paris ?). Pratique : il y aura un grand nombre de personnes au même endroit ce qui permet aux racailles de se déplacer elles aussi en grand nombre. En outre, cette masse augmente les opportunités d’agressions, de vol et de pillage, bonus pris en compte par les hordes qui s’organisent donc en conséquence.
Et s’il n’y a aucun rapport réel avec l’événement déclencheur, cela fait de ces émeutes et de ces pillages une vraie démonstration de force et d’impunité, tant judiciaire que politique.
L’impunité judiciaire est évidente : le laxisme est solidement installé et documenté en France.
Quant à l’impunité politique, il suffit de lire certaines déclarations pour comprendre le fond du problème : la classe politique française ne saisit pas toute la dynamique sociologique actuellement en place, ou, plus probablement, refuse de la comprendre.
Oh, oui, on souhaiterait vraiment que les politiciens aient « planifié » ou prévu ces débordements et s’en servent pour l’un ou l’autre agenda plus ou moins complotiste. Cela leur accorderait une intelligence presque machiavélique. La réalité est plus blafarde, triste et banale : comme ce sont des opportunistes, ils se serviront évidemment de ces débordements pour pousser leurs propositions iniques de réduction des libertés (ils ne savent faire que ça), mais non, ils n’ont rien planifié du tout car fondamentalement, ou bien ils n’ont simplement pas les capacités intellectuelles nécessaires, ou bien ils sont restés coincés sur des paradigmes dépassés.
À l’instar d’un état-major toujours en retard d’une guerre préparant des tranchées en 1939, les autorités françaises et les politiciens à leur tête sont en retard d’une génération et croient encore que les événements susceptibles de déclencher ces pillages doivent être gérés dans le cadre d’une foule de hooligans ou de turbulents supporters, qu’il s’agit « d’exactions en marge de célébrations » (foot, 14 juillet, St Sylvestre, même combat). En réalité, plus du tout : on a largement dépassé ce stade, et on se trouve en face de hordes organisées et coordonnées pour piller et détruire, tout simplement parce qu’elles le peuvent, parce qu’en face, l’État est (politiquement) impuissant.
Ainsi, les émeutes de 2023 suite au saturnisme fulgurant de Nahel ont amplement montré que les racailles pouvaient tout se permettre et qu’elles risquaient peu en regard de leurs exactions, par choix politique. Car en fait, il n’y a guère que deux grandes hypothèses pour lesquelles les politiciens et les autorités n’agissent pas à la hauteur de ce qu’on savait qu’il allait se passer.
La première est qu’ils persistent dans leur erreur d’analyse, ne comprenant pas que le laxisme et leur faiblesse lors des précédentes émeutes a pavé la voie pour les suivantes, offrant un véritable schéma directeur aux hordes de pilleurs. Ce n’est pas très charitable pour nos politiciens, mais le passé a montré que leur intelligence diminue nettement à chaque génération. Cette hypothèse n’est donc pas improbable.
Et ce n’est pas la seule.
La seconde est qu’ils comprennent très bien la dynamique actuelle et que tant que leur pouvoir n’est pas directement menacé, ils laisseront faire : pour eux, il est politiquement moins problématique de subir ces destructions et ces émeutes que d’y riposter avec force. En effet, cette riposte, pour être à la hauteur de ce qui se passe, pourrait largement autoriser l’emploi de force létale ou quasiment, comme ce fut le cas pour les Gilets Jaunes.
Or, il n’y pas ce type de riposte car les autorités ont, cyniquement (et réalistement), compris qu’au contraire des Gilets Jaunes, toute riposte réellement proportionnelle pouvait entraîner des blessés graves et des morts dans les émeutiers – ce qui ne serait en rien aberrant – et pouvait déclencher ensuite des mouvements plus violents encore dans les quartiers émotifs, ceux-là même qui sont maintenant durablement hors de la République (n’en déplaise aux démentis vigoureux des sociologues et autres gauchistes de plateau télé).
Le calcul n’est guère moral, mais il est logique : le pouvoir en place a choisi quelques dégâts voire une poignée de morts plutôt que des émeutes virant à l’insurrection complète, dont il ne sait pas s’il sortirait gagnant tant la déliquescence du pays est maintenant palpable.
Cependant, en faisant ce choix qui ne résout rien finalement, le pouvoir aura bien les dégâts et quelques morts puis, un peu plus tard, devra en passer par des émeutes virant à l’insurrection complète.
Ce n’est maintenant qu’une question de temps.
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« La France sombre dans le chaos » : la presse étrangère ne mâche pas ses mots
Si, en France, la plupart des médias préfèrent parler d’« incidents », à l’étranger, la presse refuse les euphémismes.
Que retiendra-t-on de la finale 2025 de la Ligue des champions ? Les cinq magnifiques buts inscrits par le Paris Saint-Germain ? Le premier sacre du club parisien ? Ou bien les nuits d’émeutes qui ont embrasé la capitale et le reste du pays ? Si en France, la plupart des médias préfèrent parler d’« incidents » ou de simples « violences », à l’étranger, les langues se délient. En Italie, en Espagne ou encore au Royaume-Uni, on s’inquiète face à la hausse et la répétition de ces exactions commises sur le sol français.
« Une population qui se révolte à la moindre occasion »
« La France sombre dans le chaos et la violence. » Outre-Manche, la chaîne GB News pose un constat clair : « Deux morts, plus de 550 arrestations, plus de 200 blessés. » Loin des euphémismes français, la chaîne d’information britannique multiplie les séquences chocs sur la soirée parisienne. « Paris est en feu […] Les émeutiers laissent Paris en flammes », s'exclame ainsi l’un des journalistes à l'antenne. « Il y a une population à Paris qui se révolte à la moindre occasion », dénonce un autre. Ironie de l’histoire, c’est un journaliste anglais qui s’inquiète, sur GB News, de voir la foule « escalader [sans respect] la statue de Jeanne d’Arc ».
En Italie, même constat. L’ANSA, principale agence de presse transalpine, titre ainsi sur les scènes de « chaos à Paris » après la victoire du PSG, là où l’AFP préfère parler de simples « incidents ». La Repubblica regrette pour sa part que « la fête du club parisien soit devenue une guérilla urbaine [avec] des voitures brûlées, des magasins pillés, des poubelles et des voitures en feu ». Même lexique dans les colonnes du Corriere della Sera, qui décrit des « centres urbains en feu » et une « guérilla dans les villes après la Ligue des champions ». « Qui sont ceux qui, pour célébrer la victoire du PSG, ont cassé les vitrines et attaqué les flics ? Des fans mécontents du 5-0 ? Et qui sont ceux qui, le soir du Nouvel An, mettent le feu à des voitures chaque année ? », s’interroge le correspondant du quotidien italien. « Peut-être étaient-ils les mêmes, ou du moins obéissaient-ils aux mêmes mécanismes, ceux qui, à la fin de tout rassemblement public, se livrent au vandalisme et se heurtent aux flics », suggère le journaliste, qui regrette une « fracture entre les communautés ». Dans le Milano Today, on s’inquiète également que « la fête en France se transforme en guérilla ».
Des barbares ?
« Nuit de terreur » et « nuit de troubles ». En Espagne aussi, les journaux ne mâchent pas leurs mots. El País, par exemple se désole de voir qu’« à Paris, les victoires sportives se terminent souvent par des altercations, des pillages et des affrontements avec la police ». 20 Minutos pointe de son côté du doigt de « graves émeutes ». La situation en France intéresse également les membres du parti conservateur espagnol Vox. Rocío de Meer, députée du parti, se lamente de voir la statue de sainte Jeanne d’Arc escaladée par des supporters parisiens et des émeutiers. « Un jour, nous changerons tout. Un jour, l’Europe se réveillera et ceux qui la haïssent et la profanent seront expulsés. Préparons-nous pour ce jour », écrit la femme politique. Jorge Buxadé, son collègue, chef de la délégation Vox au Parlement européen, s’inquiète des « scènes de guerre à Paris » commises par une « barbarie importée ». Un vocabulaire qu'il emprunte à Bruno Retailleau. Au soir de la finale, le ministre n'a pas hésité à parler de « barbares venus commettre des délits et provoquer les forces de l'ordre ».
Un día le daremos la vuelta a todo. Un día Europa despertará y quienes la odian y la profanan serán expulsados lejos.
— Rocío De Meer (@MeerRocio) June 1, 2025
Preparémonos para ese día. https://t.co/G7owzFNIkx
En Allemagne, le journal Bild se révolte contre une « nuit de la honte » en France. « Émeutes épouvantables », « batailles de rue brutales », « barricades en feu »… Le quotidien énumère les exactions commises en France en les comparant au calme relatif qui a régné à Munich, ville hôte de la finale. La finale de la Ligue des champions gagnée par la France aura... abîmé, une fois de plus, l'image de la France à l'étranger.
Source: Clémence de Longraye - Boulevard Voltaire
- Source : Hashtable