Les chantiers de Donald Trump (1/2) par Thierry Meyssan

Le président Donald Trump agit plus vite que les autres responsables politiques de sa génération. En une douzaine de semaines, il a déjà renversé « l’impérialisme américain » au profit de son « exceptionnalisme ». Ce n’est toujours pas la fin du problème, mais cela représente une avancée considérable à la fois pour les États-Unis et pour le reste du monde.
Simultanément, il a coupé dans la bureaucratie fédérale en supprimant des agences qui ne ressortaient pas de sa compétence et en licenciant 230 000 agents fédéraux.
Cela fait plus de trois mois que Donald Trump a débuté son second mandat à la Maison-Blanche. Il a enchaîné un nombre stupéfiant de décrets en tous genres, donnant l’impression d’une personnalité brouillonne. Cependant, malgré le peu de temps dont il a disposé, ses premiers résultats commencent à apparaître.
Décoloniser « l’empire américain »
Il a d’abord cherché à décoloniser « l’empire américain ». Toutefois, comme sa tentative de 2017 avait été un échec cinglant, il a changé de méthode. Lors de son premier mandat, au huitième jour, il avait, par décret, enlevé les sièges permanents du chef d’état-major et du directeur de la CIA au Conseil national de sécurité [1] Il s’en était suivi une révolte de la haute administration qui le conduisit, seize jours plus tard, à renvoyer son conseiller national de sécurité, le général Michael Flynn.
Cette affaire a laissé des traces puisque la haute administration de sécurité nationale est intervenue lors de la dernière campagne électorale pour assurer mensongèrement que l’ordinateur de Hunter Biden n’existait pas et que ceux qui prétendaient l’avoir vu étaient des agents de la désinformation russe [2]. Aussi Donald Trump les a-t-il privés de leur habilitation secret-Défense, dès les premiers jours de son second mandat [3].
Cette fois, Donald Trump a pris le taureau par les cornes : il a mis à la retraite anticipée tous les fonctionnaires ayant lutté contre lui durant sa première administration et dissous le Federal Executive Institute qui les formait [4]. Une fois ce niveau de personnalités épuré, il a également retiré leurs habilitations de sécurité à 15 politiciens (dont l’ancien président Joe Biden et l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton) afin d’être certain de ne plus les retrouver sur sa route [5]. « Jamais deux sans trois », dit-on : aussi a-t-il encore renvoyé six fonctionnaires de son Conseil national de sécurité [6], le 2 avril, car ils continuaient encore à travailler avec leurs amis straussiens [7].
Une fois ces gens mis hors d’état de nuire, le président Donald Trump a débuté des négociations de paix à propos de l’Ukraine, de la Palestine et de l’Iran. Chacun a réagi lorsqu’il a remis à sa place le président non-élu ukrainien, Volodymyr Zelensky, mais il a aussi remis à sa place le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, par deux fois [8]. La première fois, il a répondu à son plan d’annexion de Gaza en lui annonçant qu’il préférait édifier une nouvelle riviera plutôt que de le voir occuper ce territoire ; la seconde, il lui a dit qu’il ne pourrait rien intenter pour diviser la Syrie et qu’il ne pourrait pas non plus attaquer l’Iran.
Certes, pour le moment, aucun de ces trois points chauds n’est en paix, mais les choses avancent vite :
- En Ukraine, il a fait admettre que la Crimée, le Donbass, et une partie de la Novorossia sont bien russes. En outre, il est clair qu’une élection présidentielle devra avoir lieu. Les « nationalistes intégraux » [9] savent déjà qu’ils ont perdus. Sur les territoires à partager, les deux seules revendications ukrainiennes sont d’une part de récupérer la centrale nucléaire civile de Zaporojie (ce à quoi la Russie est fermement opposée [10]) et si Moscou sera autorisé ou non à annexer Odessa sans avoir à la conquérir.
- En Palestine, il a fait admettre par presque tous les acteurs que le Hamas ne pourrait pas revenir au pouvoir à Gaza, mais il ne parvient pas à trouver une alternative aux « sionistes révisionnistes » (c’est-à-dire aux disciples du fasciste Vladymyr Jabotinky [11]) en Israël. Donald Trump n’est pas parvenu à stopper le massacre des Palestiniens, toujours affamés à Gaza, ni à mettre fin aux massacres confessionnels en Syrie, toujours dominée par les jihadistes, mais il a imposé à Israël d’abandonner ses ambitions en Palestine, au Liban et en Syrie.
- En Iran, il ne fait que commencer et n’a pas encore fait admettre à la République islamique qu’elle ne peut pas armer sans risque les minorités chiites de la région, mais il ne lui a pas encore proposé de garantir leur sécurité par un autre moyen. La situation ici est plus difficile car il a menacé l’Iran, comme il l’a fait avec l’Ukraine et avec les Palestiniens, suscitant un durcissement immédiat de Téhéran [12].
Dans les trois cas, le président Trump a utilisé ses armées sans livrer bataille : il a brièvement suspendu le Renseignement que le Pentagone fournissait aux armées ukrainiennes [13] provoquant un effondrement militaire ; il a également brièvement suspendu la livraison d’armes à Israël, même si ce point n’a pas été médiatisé, mais a suscité une très vive inquiétude au sein de l’état-major israélien. À l’inverse, il accumule des forces à Diego Garcia pour menacer l’Iran [14]. Sa seule action militaire aura été d’attaquer Ansar Allah au Yémen ; une action meurtrière et tactiquement inutile, les Yéménites y étant préparés, mais utile pour faire passer son message à l’Iran.
Épurer la bureaucratie fédérale
Parallèlement à sa réorganisation des relations extérieures états-uniennes, le président Donald Trump a commencé à « dégraisser le mammouth », c’est-à-dire à élaguer les branches inutiles de l’État fédéral états-unien. C’est l’autre grand chantier des « jacksoniens », c’est-à-dire des disciples du président Andrew Jackson [15]. Pour ce faire, il s’appuie sur l’oligarque Elon Musk. Or, l’homme le plus riche du monde n’est pas un jacksonien, mais un libertarien. Sa préoccupation n’est pas de détruire les attributs non-constitutionnels de l’État fédéral au profit des États fédérés, mais de diminuer son poids. En l’occurrence ces deux objectifs distincts sont servis par les mêmes actes, tout au moins jusqu’ici.
En douze semaines, Elon Musk est parvenu à enregistrer la démission ou à licencier 230 000 agents fédéraux. Certes, nous vivons cette manière de procéder comme une sauvagerie, il n’en reste pas moins qu’il ne met pas en question leur compétence, mais leur utilité, ce qui est fort différent. La plupart d’entre eux veillait à l’application de règles qui n’auraient pas dû exister. Cela ne veut pas dire qu’elles soient mauvaises, mais qu’elles ne ressortent pas de la fonction de l’État fédéral et ne devraient donc pas être mises en œuvre avec l’argent des contribuables. Ce dégraissage a, accidentellement, mis en lumière de nombreux cas de corruption, avec par exemple une subvention de 900 000 dollars accordée par l’agence des petites et moyennes entreprises à un bébé de neuf mois. Cependant le véritable enjeu n’est pas encore là. 6 milliards de dollars de subventions du Pentagone viennent d’être annulées, notamment offertes à des universités, sans aucun lien avec la défense du territoire états-unien. Lorsque le DOGE sera parvenu à consulter les comptes de la nation, il pourra constater à quoi sert chaque virement effectué par l’État fédéral, comme, par exemple, les salaires versés à de nombreux dirigeants étrangers. On comprend donc la bataille judiciaire en cours pour conserver le secret sur tout cela.
Le Département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE) prévoit 150 000 000 000 (150 milliards) de dollars d’économie en un an grâce à ces coupes dans la bureaucratie et à la lutte contre la fraude, soit un gain de 931,68 dollars par contribuable. C’est peu par rapport à ce qui avait été envisagé, mais absolument considérable.
Aucune comparaison ne devrait être faite entre les États-Unis et d’autres États, uniquement avec l’Union européenne dont la bureaucratie fédérale est tout aussi opaque, ainsi que le montre l’actuel scandale des subventions occultes à des ONG [16].
(…À suivre)
Notes:
[1] « Donald Trump dissout l’organisation de l’impérialisme états-unien », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 30 janvier 2017.
[2] “Public Statement on the Hunter Biden Emails”, Voltaire Network, 19 October 2020.
[3] « 2721 Donald Trump prive de leurs habilitations les responsables du Renseignement impliqués dans une falsification politique », Voltaire, actualité internationale - N°117 - 24 janvier 2025.
[4] « 2872 Donald Trump dissout l’ENA états-unienne », Voltaire, actualité internationale - N°120 - 14 février 2025.
[5] « 3138 Donald Trump retire les habilitations de sécurité de 15 personnalités de son opposition. », Voltaire, actualité internationale - N°126 - 28 mars 2025.
[6] « Trump Fires 6 N.S.C. Officials After Oval Office Meeting With Laura Loomer », Maggie Haberman, Jonathan Swan & Ken Bensinger, The New York Times, April 3, 2025.
[7] « Vladimir Poutine déclare la guerre aux Straussiens », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 5 mars 2022.
[8] « 2228 Benyamin Netanyahou refroidi par sa visite à la Maison-Blanche », Voltaire, actualité internationale - N°128 - 11 avril 2025.
[9] « Qui sont les nationalistes intégraux ukrainiens ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 15 novembre 2022.
[10] « Déclaration du ministère russe des Affaires étrangères concernant la centrale nucléaire de Zaporojie », Réseau Voltaire, 26 mars 2025.
[11] « Le voile se déchire : les vérités cachées de Jabotinsky et Netanyahu », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 23 janvier 2024.
[12] « L’Iran dénonce les menaces états-uniennes contre la paix », par Amir Saeid Iravani , Réseau Voltaire, 31 mars 2025.
[13] « L’Occident contre le CRINK », par Manlio Dinucci , Traduction M.-A., Réseau Voltaire, 5 avril 2025.
[14] « 3185 Le Pentagone se prépare à une possible guerre contre l’Iran », Voltaire, actualité internationale - N°127 - 4 avril 2025.
[15] « Donald Trump, un Andrew Jackson 2.0 ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 19 novembre 2024.
[16] « 3249 Le scandale du financement opaque de certaines ONG par la Commission européenne », Voltaire, actualité internationale - N°128 - 11 avril 2025.
- Source : Réseau Voltaire