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Mercredi, 26 Mars 2025

Les Européens d’Occident privés de défense par Thierry Meyssan

Auteur : Thierry Meyssan | Editeur : Walt | Mardi, 25 Mars 2025 - 12h05

Le possible retrait des États-Unis de leur position prééminente dans l’OTAN, même s’ils ne se retirent pas de l’Alliance atlantique, renvoie l’Occident politique à lui-même. Comment assurer la paix sur le continent ?

Le projet d’Europe de la Défense, développé par François Mitterrand et Jacques Chirac, ne permet pas défendre l’espace européen, mais uniquement de donner des moyens d’intervention à l’UE en cas de massacre à l’étranger. Les projets d’Emmanuel Macron et de Keir Starmer, correspondent aux besoins de leurs pays, mais aucunement à ceux du continent.

Or, le temps presse alors que des conflits s’annoncent au nord de l’Ukraine, en Moldavie et en Bosnie-Herzégovine.

Les nombreuses réunions qui se sont déroulées à Paris, à Londres et à Bruxelles sur l’avenir de la Défense de l’Occident politique ont toutes envisagé un retrait partiel ou total des États-Unis hors de l’OTAN. La question ukrainienne n’était qu’un prétexte qui n’intéressait que quelques participants.

Que signifie le « retrait des États-Unis » ?

Lors de son premier mandat, Donald Trump avait envisagé un retrait complet des États-Unis de l’OTAN. En définitive, il s’est contenté de pousser les États-membres à augmenter leur budget de Défense à 3 % de leur PIB. Il agissait en « jacksonien » et voulait substituer le commerce à la guerre.

À l’époque, on n’envisageait la question que sous l’angle des participations financières de chaque membre. Bien que les cotisations de chaque membre à l’Alliance atlantique ne soient pas claires, le Pentagone fournit 16 % du budget annuel et de nombreuses prestations que seules ses armées peuvent proposer. Pour ne pas avoir à payer sa quote-part, le président français, Emmanuel Macron, avait déclaré que l’OTAN était « en état de mort cérébrale. » [1].

La situation actuelle est radicalement différente. Le président Donald Trump doit impérativement couper immédiatement dans ses dépenses : son pays a accumulé une dette ahurissante et serait mis en faillite si ses créanciers exigeaient leur remboursement. J’ai expliqué, il y a deux semaines, que « Donald Trump tente de gérer le possible effondrement économique de "l’empire américain" de Joe Biden comme Iouri Andropov, Konstantin Tchernenko et Mikhaïl Gorbatchev ont tenté de gérer celui de « l’empire soviétique » de Léonid Brejnev. » [2].

Aussi, comme Gorbatchev l’a fait avec le Pacte de Varsovie, Trump va-t-il, non pas se retirer de l’OTAN, mais cesser de payer pour elle. Dans la pratique, ne pas se retirer de l’Alliance atlantique, tout en se retirant de son organisation, l’OTAN, implique d’en abandonner le commandement. Depuis sa création, l’OTAN est dirigée par un « commandant suprême des forces alliées en Europe » (SACEUR) obligatoirement états-unien. C’est aujourd’hui le général Christopher G. Cavoli qui cumule cette fonction avec celle de commandant des forces des États-Unis en Europe.

Le 13 février, Donald Trump informe Mark Rutte du prochain retrait des troupes états-uniennes d’Europe et de l’abandon par son pays des privilèges du SACEUR.

C’est cette option que le président Trump a semblé privilégier, le 13 mars, lors de sa réception de Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, à la Maison-Blanche : les États-Unis ne seraient plus qu’une composante de l’Alliance comme les autres, à égalité avec le Luxembourg par exemple.

Or, sans les moyens considérables de Renseignement et de Transport de troupes des États-Unis, l’OTAN ne disposerait plus de capacité de projection. Elle serait réduite à une addition de petites armées ne pouvant pas se déplacer, chacune, hors de son territoire national.

Que signifie une « Défense européenne » ?

Durant la Guerre froide, le Royaume-Uni et les États-Unis, qui dirigeaient alors ensemble l’Alliance, avaient le projet de coordonner les alliés d’Europe occidentale afin de pouvoir les envoyer se battre en Corée. C’est la « Communauté européenne de Défense » (CED) que les patriotes français, c’est-à-dire les gaullistes et les communistes unis, font échouer en 1954. À défaut, les Anglo-Saxons créèrent « l’Union de l’Europe occidentale » (UEO), dont le rôle fut surtout d’organiser le réarmement de l’Allemagne.

François Mitterrand et Helmut Köhl ont créé l’Eurocorps et la Politique étrangère et de Sécurité commune pour que, plus jamais, leurs deux pays se battent l’un contre l’autre.

Lors de la réunification allemande, en 1991, les Communautés économiques européennes se transforment, par le traité de Maastricht, en Union européenne. Désormais elles disposent d’une « Politique étrangère et de Sécurité commune » (PESC). Cependant, si l’Eurocorps est créé, durant les guerres de Yougoslavie, l’Allemagne soutient la Croatie, tandis que la France soutient la Serbie. Toutefois, en décembre 1998, au sommet de Saint-Malo, le Royaume-Uni accepte l’idée d’une défense européenne, indépendante de l’OTAN. Quelques jours plus tard, les Européens prolongent la PESC par une « Politique européenne de sécurité et de défense commune » (PESDC), confiée à l’ancien secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana. Désormais l’UE, de sa propre initiative, est prête à organiser des opérations de maintien de la paix.

Tony Blair et Jacques Chirac ont créé la Politique européenne de sécurité et de défense commune pour que l’UE puisse organiser des opérations communes de maintien de la paix.

En 2003, lorsque, à la fin de la seconde guerre du Congo, en Ituri, les milices rivales Lendu et Hema s’entretuent, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan lance un appel auquel l’Union européenne répond. C’est l’opération Artémis : plus de 2 000 hommes de 18 nations y participent. En réalité les quatre-cinquièmes des forces sont françaises.

À la suite de cette opération, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne proposent la création de l’Agence européenne de défense (AED) chargée du développement des capacités militaires, de la recherche et de l’armement. Sur cette lancée, le traité de Lisbonne de 2009 crée le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), chargé de gérer les éléments civils et militaires dont dispose l’UE pour faire face aux crises. En 2015, après les attentats du Bataclan et de Saint-Denis, commandités par la Turquie [3], la France invoque la clause de défense mutuelle (article 42.7 du traité de Lisbonne) de l’UE.

Federica Mogherini et les 23 ministres de la Défense de l’UE (sur cette photo, Ursula von der Leyen représente l’Allemagne) activent la Coopération structurée permanente permettant à quelques États de l’UE de coopérer à des actions militaires communes dans le cadre de l’Union.

En 2016, lors de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, Federica Mogherini, haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, propose une « Stratégie Globale de l’Union européenne sur la politique étrangère de sécurité » (SGUE).
En 2017, la Coopération structurée permanente (CSP), qui avait été prévue par le traité de Lisbonne, est activée. Elle prévoit de rassembler un « noyau dur » d’États autour de projets inclusifs et ambitieux, menés en complément des actions communes. Simultanément un Fonds européen de Défense est créé pour faciliter le financement de cette coopération renforcée.

Avec la guerre en Ukraine, où l’UE prend le parti des « nationalistes intégraux » ukrainiens contre la Russie, les choses s’accélèrent : Bruxelles mobilise des dizaines de milliards d’euros pour produire des armes et les donner à l’Ukraine. Simultanément, l’OTAN coordonne les armées européennes alentour du champ de bataille pour recueillir du renseignement militaire et pour assister l’armée ukrainienne. Cette symbiose est soudainement remise en cause par la réélection du président Donald Trump.

Quelles options se présentent aux Européens d’Occident ?

Lorsqu’il est apparu à certains Européens (prioritairement à la France, l’Allemagne et le Danemark, mais pas aux États Baltes, ni à la Pologne et ni à la Roumanie) que les États-Unis, laissant tomber les « nationalistes intégraux » ukrainiens, allaient conclure un accord de paix séparé avec la Russie, les Européens d’Occident (c’est-à-dire avec le Royaume-Uni qui n’est pas membre de l’UE et sans la Russie) se sont trouvés face à eux-mêmes.

Les différentes réunions, improvisées à Paris, à Londres et à Bruxelles, ont permis d’élaborer un plan visant à prévenir le chaos qu’un retrait brutal des troupes états-uniennes d’Europe ne manquerait pas de provoquer. Tous les participants se sont retrouvés autour de l’idée (1) qu’ils devaient acquérir un armement dont ils ne disposent pas aujourd’hui et (2) qu’ils devaient former de nouveaux soldats. Un tel plan nécessiterait 5 à 10 ans avant de porter ses premiers fruits [4].

Pour le moment, les Européens d’Occident considèrent tous, plus ou moins, la Russie comme un dangereux ennemi potentiel. En réalité, en l’état, il n’existe aucun risque de voir la Russie envahir ses voisins. Moscou n’a jamais envahi l’Ukraine, il a juste mené une « opération militaire spéciale » contre les « nationalistes intégraux », en application de la résolution 2202 du conseil de Sécurité des Nations unies. Par contre, à l’issue de la guerre en Ukraine, il existe de vrais risques d’assister à une invasion de la Galicie orientale par la Pologne, une invasion de la Moldavie par la Roumanie et surtout à une sécession de la Republika Srpska de la Bosnie-Herzégovine et à son rattachement à la Serbie [5].

Aussi la question de savoir qui prendra la tête d’une « coalition des volontaires » pour défendre l’Ukraine contre la Russie est particulièrement difficile à résoudre. Paris et Londres sont en concurrence, étant entendu que la France et le Royaume-Uni sont les deux seules puissances nucléaires du groupe. Or, une bombe atomique ne sert à rien pour celui qui ne dispose pas d’une défense conventionnelle crédible. L’avantage que Paris et Londres mettent en avant n’existe donc pas, ni pour eux, ni pour leurs alliés.

D’ores et déjà, la Roumanie a fait savoir qu’elle n’avait pas besoin du parapluie nucléaire français (sous-entendu, nous persistons à compter sur celui des États-Unis) [6]. Quant à Londres, une bonne partie du Foreign Office assure qu’il ne sert à rien de dessiner des plans sur la comète et qu’il vaudrait mieux se focaliser sur une alliance avec la Chine face à la Russie.

Rappelons que la Commission européenne est, historiquement, la lointaine héritière de la Haute autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). A ce tire, sa présidente, Ursula von der Leyen, poursuit la politique de son prédécesseur, Walter Hallstein. Or, ce haut fonctionnaire européen fut, dans les années 1930, le juriste qui avait imaginé le projet du Neuordnung Europas (Nouvel ordre européen) pour le compte du chancelier Adolf Hitler. Aussi Madame von der Leyen cherche-t-elle à créer une armée européenne pour la défense de l’UE. Cependant, cette vision a encore moins de chance de se réaliser que celles du président Emmanuel Macron et du Premier ministre Keir Starmer, dans la mesure où l’on ne peut pas former une OTAN… sans les moyens de l’OTAN.

Photo d'illustration: Le siège de l’OTAN dans la banlieue de Bruxelles. Lors de sa fondation, l’Alliance employait de nombreux anciens officiers nazis (dont Klaus Barbie, qui ne fut renvoyé qu’à la demande expresse de la France). L’architecte qui a dessiné son nouveau siège n’avait pas remarqué que, vu d’avion, il reproduisait le sigle de la SS.

Notes:

[1] « Emmanuel Macron warns Europe : NATO is becoming brain-dead », The Economist, November 7th, 2019.

[2] « Donald Trump gère-t-il le possible effondrement de « l’empire américain » ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 11 mars 2025.

[3] « L’inavouable projet d’un pseudo-Kurdistan », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 7 décembre 2015. « Erdoğan menace l’Union européenne », par Recep Tayyip Erdoğan , Réseau Voltaire, 18 mars 2016. « La Turquie revendique le bain de sang de Bruxelles », par Savvas Kalèndéridès , Traduction Christian Haccuria, Réseau Voltaire, 24 mars 2016. « Mohammed Abrini est un informateur des Britanniques », Réseau Voltaire, 28 juin 2016.

[4] « European military powers work on 5-10 year plan to replace US in Nato », Henry Foy & Ben Hall, Financial Times, March 20, 2025.

[5] « La position de la Republika Srpska sur la crise constitutionnelle actuelle en Bosnie-Herzégovine », par Željka Cvijanović, Réseau Voltaire, 6 mars 2025.


- Source : Réseau Voltaire

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