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Mercredi, 19 Mars 2025

Bureaucratie : la discrète évasion intérieure des Français

Auteur : H16 | Editeur : Walt | Mercredi, 19 Mars 2025 - 13h34

L’État français est obèse, et sa bureaucratie est, lentement mais sûrement, en train d’étouffer le pays. Cependant, certains Français résistent et s’adaptent.

On l’a vu : le pays s’appauvrit visiblement et si l’on peut débattre sur les explications profondes de ce constat – les politiciens sont incompétents ou des traîtres à leur propre peuple, à vous de choisir – il n’est plus guère de doute que la raison essentielle de ce qu’on observe provient d’une bureaucratie omniprésente qui englue toutes les démarches, d’une avalanche continue de normes, de contraintes et d’interdictions qui complexifie très inutilement toutes les activités entreprises en France, et bien sûr d’une ponction fiscale, taxatoire voire vexatoire, permanente et tous azimuts.

Deux articles économiques récents permettent d’illustrer clairement l’ampleur du problème.

Le premier montre comment les entreprises se passent progressivement de la publication de leurs offres d’emploi : entre 2020 et 2024, la proportion d’embauches ne résultant pas d’une publication d’offre est ainsi passée de 40% à 57%. Eh oui : à présent, il est plus fréquent de se faire embaucher au travers du bouche-à-oreille ou d’une cooptation plutôt qu’au travers d’une offre traditionnellement publiée par voie de presse ou en ligne.

Si le phénomène existe depuis un moment, le décollage en tendance s’explique d’autant mieux que le contexte français lui est très favorable.

Ainsi, se passer d’une embauche publiée, c’est s’éviter ou au moins réduire le contact avec les administrations de l’État (et toutes les pénibleries approximatives de France Travail) qui sont toujours une source de stress pour les dirigeants d’une entreprise.

En outre, cela permet d’éviter toute une panoplie d’embrouilles juridiques sur des annonces qui seraient potentiellement attaquées pour le moindre soupçon de discrimination, depuis le patronyme en passant par l’adresse, les diplômes, le sexe ou l’âge, chaque renseignement un peu personnel devenant une mine de plus à éviter pour le patron qui embauche. Ce ne sont pas les exemples qui manquent de campagnes de tests visant à prouver le racisme, le sexisme ou les préjugés sur les kartchiers émotifs que développent les méchantes entreprises lorsqu’elles font paraître des offres d’emploi.

De plus, la cooptation ou l’usage des réseaux de connaissance permet d’éviter les guignols qui ne viennent aux entretiens de pré-embauche exclusivement pour le tampon « j’ai fait une recherche d’emploi donc je peux continuer à toucher les aides », malheureusement très fréquents surtout chez les artisans.

Plus pragmatiquement, ne pas publier une annonce permet de s’éviter l’inévitable trouzaine de CV et de réponses farfelues ou d’appels de postulants même pas qualifiés de loin ou dont l’expérience est sans rapport avec le poste demandé et qui vont à la pêche, sans rime ni raison et qui rendent tout le processus d’embauche d’autant plus long, coûteux et complexe.

Mais surtout, en France, passé la période d’essai, le salarié devient particulièrement compliqué à licencier. La cooptation ou l’offre d’emploi par réseau relationnel permet sinon d’éviter au moins de mitiger le risque d’embaucher une personne finalement inadaptée à l’emploi et dont le prix de licenciement pourrait fort bien être inabordable pour l’entreprise (surtout lorsqu’elle est petite). Comme le mentionne l’article, « le recrutement d’une personne est un investissement très significatif » et « les entreprises ne peuvent pas se permettre de se tromper ».

Dans une société multiculturelle où la confiance inter-invididuelle s’étiole, la confiance doit être recréée et la cooptation est un moyen de limiter les coûts d’une erreur d’embauche. Au passage, c’est un phénomène qu’on retrouve exactement dans les locations immobilière, pour des raisons exactement transposables.

Et qu’est-ce qui fait que cet investissement est si significatif, qui rend l’erreur si coûteuse, si ce ne sont les myriades de règles, de contraintes et de charges qui pèsent actuellement sur l’emploi en France ?

Le constat de ces freins sur l’emploi est d’ailleurs corroboré par le second article qui montre l’augmentation drastique du travail au noir.

Il apparaît en substance que l’URSSAF constate un doublement en deux ans des redressements pour travail dissimulé sur les contrôles que l’organisme a opérés notamment dans le BTP :

Bien évidemment, on peut et on doit prendre avec de larges pincettes la notion même de « travail dissimulé » tant ces organismes ont amplement prouvé, à de maintes reprises par le passé, qu’ils ont une définition particulièrement extensive et gloutonne de cette notion, d’autant que leur propre application de la loi est particulièrement sujette à caution, les administrations étant régulièrement épinglées pour leur traitement fort leste de ces questions…

Néanmoins, le fait que l’URSSAF note une recrudescence du travail au noir peut aussi être analysé au regard de la situation économique et bureaucratique globale du pays : la paperasserie, les tracasseries administratives et, tout simplement, les coûts à l’embauche sont maintenant devenus si volumineux en France que la fraude devient progressivement plus rentable.

On assiste ici à une sorte « d’effet Laffer » appliqué à l’embauche salariée, comme « l’effet Laffer » fiscal selon lequel au-delà d’un certain montant, les impôts sur le travail, jugés confiscatoires, finissent par désinciter à travailler et rapportent alors de moins en moins.

Dans le cas qui nous occupe, il ne fait guère de doute que les entreprises concernées font un calcul de risque entre la probabilité de se faire prendre, le coût d’un redressement, et les gains engendrés par l’embauche au noir supplémentaire. Or, à mesure qu’augmentent les coûts d’une embauche régulière et qu’augmente en parallèle le nombre d’entreprise qui fraudent, le risque de se faire prendre diminue et ce d’autant plus vite que l’administration qui contrôle est de plus en plus empotée dans sa propre paperasse ou que les procédures juridiques sont complexes.

Tout comme les embauches sans publication, par cooptation et réseautage, cette augmentation du travail au noir démontre s’il était besoin que l’État français est en train de s’effondrer sous son propre poids et qu’en parallèle, les Français s’organisent pour échapper aux tortures administratives incessantes.

Après la fuite intérieure, après le repli d’activité pour n’offrir qu’une surface minimale d’attaque aux stupidités bureaucratiques et fiscales des systèmes administrés de façon catastrophique par l’État, petit-à-petit les Français s’adaptent.

Confrontés à un Léviathan de plus en plus obèse et de plus en plus aveugle, ils organisent ainsi leur propre évasion d’un État devenu fou.


- Source : Hashtable

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