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Mardi, 26 Nov. 2024

Les mystères du Rocher Noir

Auteur : Jean Goychman | Editeur : Walt | Lundi, 18 Mai 2020 - 10h14

Le nom de Blackrock reste peu connu. Même s’il s’agit du fonds financier le plus important au monde aujourd’hui, la plupart des gens ignorent son existence. Il y a quelques semaines, dans un article consacré à la fusion de la FED et du Trésor américain, j’ai remarqué le rôle « charnière » de Blacrock dans le rachat d’actions d’entreprises privées pour le compte de la banque centrale américaine, opérations que ses statuts ne lui permettaient pas de faire.

Blackrock gère à lui-seul des milliers de milliards d’euros

C’est en 1988 qu’une petite équipe travaillant à la banque First Boston à l’idée de créer le fonds Blackrock. Spécialisé dans l’achat d’actions pour le compte de ses clients, ce fonds pesait pour 53 milliards de dollars dès 1994. Il a connu depuis une croissante fulgurante. En 1999, après l’abandon définitif du « Glass-Steagall Act » par l’administration Clinton, il est introduit en bourse. Exploitant les énormes possibilités de développement des outils numériques et de leur capacité en matière de calcul, Blackrock met au point et utilise un logiciel d’évaluation des risques nommé « Aladdin ». On estime qu’aujourd’hui, Aladdin gère chaque jour au niveau mondial environ 20 000 milliards de dollars. Pourtant, Blackrock n’a rien d’une banque. Il ne crée pas d’argent ex nihilo par le système des réserves fractionnaires et ne prête pas d’argent. Il se contente d’investir celui de ses clients et leur redistribue une partie de ses gains. Ceci est très important car, n’étant pas une banque, il échappe aux radars de la régulation bancaire. Pour donner simplement un ordre de grandeur, Blackrock siégeait en 2012 dans près de 15 000 assemblées générales d’actionnaires d’entreprises, dont 3800 implantées aux États-Unis. Il possède aujourd’hui des titres dans au moins la moitié des entreprises du CAC 40 et dans toutes celles qu’il est convenu de désigner sous le terme de GAFA. Il est probablement également l’actionnaire principal de Microsoft. En France, il est dans le capital de Vinci, de la BNP, la Société Générale, Safran, Total et bien d’autres. Cette masse de manœuvre le rend extrêmement puissant car il peut intervenir sur le fonctionnement de dizaines de milliers d’entreprises dont il détient des parts et orienter leurs actions vers une plus grande distribution de dividendes aux actionnaires, souvent au détriment des investissements en matière de recherche et de développement. Il faut alors mesurer l’impact que cela peut avoir sur l’économie occidentale qui peine à suivre dans la course au développements futurs. C’est un des dangers qui menace notre industrie, dont les budgets R&D se restreignent de plus en plus, nous condamnant à terme à un rôle de « suiveur » et plus de « concepteur ».

Qui détient l’argent placé dans Blackrock ?

Son actionnaire principal était jusqu’il y a quelques jours, la banque américaine PNC. Elle a vendu sa participation au capital de Blackrock environ 17 milliards de dollars. (Elle l’avait acquise en 1995 contre 240 millions de dollars. Belle plus-value !

Coté des investisseurs, on trouve surtout des fonds de pension, attirés par les rendements élevés offerts par Blackrock. Cette tendance s’est accentuée après la crise de 2008, durant laquelle un certain nombre d’entre eux a fait faillite, laissant dans le dénuement des milliers de retraités qui avaient cotisé depuis des années. Ce marché du fonds de pension se développe constamment et Blackrock étend progressivement son activité à la surface du globe. La puissance financière qu’il représente le rend « systémique » et lui confère un poids politique incontournable en pouvant décider sans comptes à rendre à quiconque d’acheter ou de revendre les titres de telle ou telle entreprise..

Que fait la filiale française de Blackrock ?

Il y a jusqu’à présent principalement deux systèmes de retraite  Le premier, le plus ancien et dérivant des premières opérations d’assurances du XVIIIème, procède de la répartition. Chaque actif cotise pour payer les pensions des retraités. Il est « transgénérationnel » et est préféré par une majorité de Français et s’applique à la retraite dite principale. (Sécurité sociale)

Le second procède de la capitalisation, chacun épargne mois après mois une certaine somme qui lui fournira ensuite un « capital de retraite » qu’il pourra transformer en rente mensuelle le moment venu. Beaucoup de retraites complémentaires fonctionnent ainsi. C’est naturellement ce dernier qui est le préféré du système financier. La tentation est de plus en plus grande pour les financiers qui convoitent cette véritable « poule aux œufs d’or », du moins pour eux.

Cela fait plusieurs décennies que les gouvernements, quels qu’ils soient, instillent la peur de la faillite de notre système de retraite. Il ne se passe guère de quinquennat qui ne porte un projet de réforme dans ce sens. Les arguments sont sensiblement les mêmes : moins de cotisants pour la répartition, plus de retraités en raison de la longévité accrue, donc déséquilibre du système. Emmanuel Macron n’a pas dérogé à cette règle. Il nous a présenté un projet de réforme qui se voulait consensuel. Prévu pour entrer en vigueur dans quelques décennies, seuls les plus jeunes pouvaient se sentir concernés. Le sentent-ils vraiment ? Peu probable, car, autour de 35 ans, on a autre chose en tête.

La réforme cachée derrière la partie visible

Depuis son arrivée à l’Élysée, les contacts entre Emmanuel Macron et les dirigeants de Blackrock ont été nombreux et réguliers. Blackrock était déjà un intermédiaire actif auprès de l’Union Européenne, ayant notamment conseillé la BCE au moment de la mise en route des rachats d’actifs, aujourd’hui remis en question par la Cour Constitutionnelle allemande. C’est donc sans surprise véritable que Larry Finc, le PDG de Blackrock, fut reçu à l’Élysée dès la fin juillet 2017. De quoi ont-ils parlé ? Rien n’a fuité, mais, en raison de la suite, on peut penser que la retraite par capitalisation a été évoquée.

En 2003, le gouvernement Raffarin avait déjà mené à bien une réforme des retraites. Si le ministre de tutelle était un certain François Fillon, l’architecte était, suivant ses propres propos, Jean François Cirelli, directeur adjoint du cabinet du Premier Ministre de Jacques Chirac.

C’est ce même Cirelli qui est aujourd’hui le patron de Blackrock en France. Il vient d’ailleurs de se voir élevé au grade d’officier de la légion d’honneur par le Président lui-même…Comme le monde est petit et les coïncidences nombreuses !

Cela s’est produit  dans le climat social tendu de la réforme des retraites, dont pas grand monde, pour des raisons diverses, ne voulait. A l’époque, Jean François Cirelli avait reproché une polémique qu’il trouvait injuste car « BlackRock n’est pas un fonds de pension, il ne distribue aucun produit d’épargne retraite et nous n’avons pas l’intention de le faire » C’est vraiment prendre les gens pour des « naïfs » (un autre terme plus trivial me vient à l’esprit)

Bien évidemment, Blackrock en lui-même n’est pas un fonds de pension. C’est un fonds d’investissement dans lequel un grand nombre de fonds de pension placent leur argent pour que Blackrock le fasse fructifier. Et il ne le fait pas pour être uniquement remercié par l’attribution de la légion d’honneur, ni pour aider l’humanité souffrante dans un grand élan altruiste.

Ce qui intéresse Blackrock, c’est de recueillir des fonds, qu’ils soient de pension ou non.

Une autre raison pour cette réforme des retraites ?

La version officielle est toujours la même. Mais on peut en imaginer une autre assez facilement.

Pour les libéraux doctrinaires qui nous dirigent, les réserves des caisses complémentaires sont des proies. Il faut donc se les approprier. On remarquera que, en ces temps d’épidémie du coronavirus, la réforme des retraites est un peu « passée à la trappe ». Cependant, l’ article de la 3éme loi d’urgence sanitaire « d’urgence sanitaire » semble remettre par une autre voie la captation de ces réserves par le Trésor public.

Il s’agit d’améliorer la gestion de la Trésorerie de l’État qui prescrit le dépôt sur le compte du-dit Trésor public des disponibilités (c’est à dire des réserves rapidement disponibles) des « personnes morales soumises à la comptabilité publique » ou encore des « organismes publics ou privés en charge d’une mission de service publique ».

Que trouve-t-on dans cette définition un peu absconse ?

Je vous encourage à chercher la réponse mais, pour vous aider un peu, voici un lien. IL vous indiquera notamment que la CARSAT (Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé Au Travail) est « un organisme privé en charge d’une mission de service public » et que c’est le cas bien d’autres caisses de retraites privées.

Alors, la réforme est peut-être abandonnée, mais l’idée d’aller vers des retraites à capitalisation gérées (ou non) par les finances publiques qui pourraient, en tant qu’investisseur institutionnel, placer ces sommes dans des fonds de type Blackrock relève-t-elle de la pure fiction ?

D’autant plus que les dispositions de cette réforme prévoyaient de limiter à 10 000 euros mensuels l’assiette de la cotisation de la retraite par répartition. N’était-ce pas le prémisse destinée à pousser les salaires les plus hauts vers la capitalisation ?


- Source : RI

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