Alep / Syrie : On nous fait la guerre, nous voulons faire la paix
Bien chers amis,
Il y a juste vingt ans, le 16 Septembre, comme aujourd’hui, l’Église a voulu me charger du diocèse d’Alep. Ce fut un jour grave de ma vie où, alors que les célébrations du sacre Épiscopal prenaient leur cours et que l’allégresse ambiante faisait oublier tant de soucis, j’entrevoyais déjà, sans mot dire, tous les efforts et le travail assidu que cette responsabilité allait me demander pendant, je ne sais combien d’années. Quelques jours plus tard, l’accueil chaleureux et enthousiaste de mes fidèles aleppins qui avaient, en grand nombre, tenu à m’attendre à l’entrée de la ville, m’avait profondément touché et stimulé dans la volonté que j’avais de me dédier entièrement à leur service.
Alep, un des plus anciens diocèse de l’Église
Le diocèse d’Alep est l’un des diocèses les plus anciens de l’Eglise Universelle, il existait déjà au troisième siècle, en 325 son Archevêque était présent au Concile de Nicée.
L’Histoire ancienne et récente du Proche-Orient présente cette Communauté active et prospère, comme étant un centre de rayonnement du christianisme dans la région. De quoi être vraiment fier ! Ce fait m’a d’ailleurs toujours ému et donné un attachement profond à ses fidèles passés et présents et a alimenté d’un surplus d’enthousiasme mon ministère épiscopal.
Pendant des années, un diocèse bien vivant
Effectivement j’ai pu, durant ces années de travail assidu, réaliser bien plus que ce que je pouvais espérer !
- J’ai eu la joie d’ordonner dix prêtres et je fus en mesure de construire trois nouvelles églises, tout en restaurant les bâtiments vétustes mais deux fois séculaires de l’Archevêché.
- Trois maisons antiques remontant au XVII° ont pu être refaites pour retrouver leur faste d’antan et servir de locaux aux différentes œuvres du diocèse.
- Deux nouvelles écoles et quatre Instituts ont vu le jour durant ces années bénies par le Seigneur!
- Des projets d’habitat ont permis à plus de deux cents couples de se marier, et à autant d’autres d’espérer, en attendant la finition des projets en cours de réalisation et que cette guerre ignoble a bloqués.
- Des foyers d’étudiants,
- Des maisons de vacance pour les jeunes,
- Un centre de congrès,
- Des structures pour les activités culturelles et les rassemblements communautaires ont de même été établies.
Je m’arrête là pour remercier le Seigneur pour tant de grâces données et dont ils serait inutile de parler ici.
Aujourd’hui, une ville dans la guerre
Aujourd’hui et au moment où j’écris ces lignes, des bombes tombent, comme de la pluie, sur les quartiers résidentiels de la ville. On parle déjà de soixante morts et de trois cents blessés. Les gens sont désemparés, il ne savent où trouver refuge, moi-même j’ai dû quitter mon archevêché détruit par des bombardements il y a trois mois. Je n’aurai jamais pensé que ce qui arrive à notre ville était possible ! Alep est actuellement une ville sinistrée au plein sens du terme.
Tout l’essor socio-économique, artistique et intellectuel dont elle jouissait semble disparu, en même temps sa richesse archéologique et le faste patrimonial dont elle était toujours fière ont été rudement endommagés. Les citoyens de cette ville très laborieuse, qui étaient suffisamment nantis, se retrouvent actuellement, après les quatre années de cette guerre injuste, barbare et destructrice, dans une situation lamentable.
Aujourd’hui, une ville détruite économiquement
Sans travail, sans ressources, sans sécurité, sans eau, sans électricité, privés de toute pitié espérée et du secours attendu en vain de l’Occident Chrétien. Les gouvernements occidentaux semblent, les uns insouciants et les autres injustes, pour ne pas dire pervertis par l’appât de cet argent sale, ennemi mortel de toute équité et de toute justice.
Cela fait quatre ans aujourd’hui que ma mission a pris une nouvelle tournure.
- Consoler le Peuple de Dieu et l’encourager dans sa persévérance, est devenu une action indispensable.
- Aider les fidèles dans leur détresse devient pour moi une priorité.
On dirait qu’un nouveau mandat dont les tenants et aboutissants, résultats des séquelles d’une crise humanitaire sans précédent, m’a été confié en cette fin de carrière que je souhaitais pourtant, au seuil de ma retraite, calme et tranquille!
En fin de compte, j’ai dû ces trois dernières années oublier mes soixante dix ans et courir partout pour trouver de quoi alléger le poids des privations multiples dont souffre mon peuple bien-aimé :
- subventions financières pour ceux qui n’ont plus aucune ressource,
- bourses scolaires,
- paniers alimentaires,
- soins médicaux,
- mazout pour se réchauffer l’hiver,
- gîtes pour les déplacés,
- restauration des habitations endommagées et tout dernièrement fourniture d’eau aux familles et installation de petites citernes de réserve dans les maisons des plus pauvres.
Nous nous sommes mobilisés, mes collaborateurs et moi-même ces derniers temps, pour être des sentinelles éveillées, à l’affût des besoins les plus urgents des fidèles dont nous avons la charge.
Le fléau de l’Exode
Le dernier fléau qui nous frappe aujourd’hui, c’est celui de l’exode, une forme de déportation, qui condamne nos fidèles à un exil avilissant et notre Église deux fois millénaire à un dessèchement étouffant. Les assaillants ont tout fait pour cela. Tout d’abord ils ont terrorisé les citoyens. Ils ont ensuite détruit les usines, le commerce, les institutions et les maisons pour obliger les gens à partir trouver leur gagne pain ailleurs. Ils ont enfin rendu possible le transfuge en laissant des passeurs organiser des convois massifs vers l’Occident.
Quel malheur! Le phénomène est très préoccupant, il semble apocalyptique et fatal pour nos communautés chrétiennes du Levant. Mais moi, comme beaucoup de pasteurs du peuple de Dieu en Syrie, nous gardons confiance parce que nous croyons fermement en Celui qui a promis de rester toujours avec les siens.
En ce jour anniversaire de mon sacre épiscopal, je souhaite vivement que vous vous joigniez à moi pour demander au Seigneur de m’aider à protéger les fidèles qu’Il a bien voulu me confier et de faire en sorte pour que cette Église deux fois millénaire, dont j’ai la charge, puisse continuer sa présence prophétique dans ce pays bien aimé.
On nous fait la guerre, nous voulons faire la paix.
On cherche à détruire, nous cherchons à bâtir.
On cherche à nous expatrier, nous luttons pour rester.
En bref tout ce que nous attendons c’est la Paix et nous voulons Bâtir pour Rester.
Alep le 16 Septembre 2015
Métropolite Jean-Clément JEANBART
Archevêque d’ Alep
- Source : Adeline Chenon Ramlat