Donald Trump découple les États-Unis de l’Union européenne par Thierry Meyssan

Contrairement à ce que nous avions pensé, en 1991, la chute de « l’Empire américain » ne ressemblera pas à celle de l’URSS. Les alliés ouest-européens de Washington entendent le perpétuer, avec ou sans leur leader. Il s’ensuit que le président Donald Trump les abandonnera en rase campagne.
Après avoir découplé les États-Unis des « sionistes révisionnistes » au pouvoir en Israël, le président Trump les découple de l’OTAN et de l’Union européenne : il ne veut plus que son pays ait quoi que ce soit à faire avec « l’Empire américain » et ses spadassins que sont les « nationalistes intégraux » ukrainiens.
Après avoir découplé les États-Unis d’Israël [1], Donald Trump a commencé à les découpler de l’Union européenne. Comme avec Israël, il a d’abord donné l’impression de laisser carte blanche aux membres de l’UE et au Royaume-Uni, puis a débuté le désamarrage.
Souvenez-vous : le président Trump a laissé les dirigeants occidentaux se convaincre qu’ils pouvaient, tout seuls, combattre la Russie en Ukraine. Lors de nombreuses réunions à Paris, à Londres et à Kiev les dirigeants de l’UE et du Royaume-Uni se sont efforcés d’annoncer qu’ils allaient ensemble assurer la sécurité du continent face au danger « d’invasion russe ». Ils ont envisagé de placer toutes leurs nations sous les parapluies nucléaires britannique et français et non plus sous celui des États-Unis. Ils ont envisagé une guerre continentale contre la Russie et une réorganisation des alliances autour du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et de la Pologne.
Et puis : plus rien. Les États-Unis ont suspendu leur coordination avec l’UE [2]. Ils ne se concertent plus à propos des mesures coercitives unilatérales qu’ils prennent face à la Russie. Le 17° paquet de « sanctions » de l’UE était le dernier pris à Bruxelles avec Washington. Le 18° le sera seul. On annonce qu’il sera d’une taille jamais atteinte, mais sans les États-Unis, il est déjà condamné à l’échec.
Les États-Unis ont observé au sein du Conseil de l’Europe la préparation d’un « tribunal pénal international pour juger les crimes russes en Ukraine », mais ils s’en tiennent à l’écart [3]. À leurs yeux, cette juridiction n’a aucun sens. Les tribunaux pénaux de Nuremberg et de Tokyo avaient suivi la victoire alliée sur le nazisme, mais celui-là anticipe la victoire des « nationalistes intégraux » ukrainiens, collaborateurs des nazis, sur la Russie. Il n’est pas validé par les Nations unies et n’a aucune chance de l’être, compte tenu du droit de veto russe.
Aujourd’hui, le Royaume-Uni et l’UE doivent se rendre à l’évidence. Ils n’ont pas les moyens militaires de leur politique. Ils se sont enfermés dans leurs contradictions dénonçant les pertes collatérales ukrainiennes de l’opération militaire spéciale russe, tout en se satisfaisant des pertes collatérales palestiniennes de la guerre israélienne contre le Hamas, pourtant beaucoup plus importantes. Ils se sont éloignés eux-mêmes des États-Unis qu’ils n’ont pas pris au sérieux.
Il leur reste une arme : la confiscation des avoirs russes qu’ils ont déjà gelés. Ils permettraient alors de reconstruire l’Ukraine, sans avoir à payer eux-mêmes. Or, confisquer des avoirs pour des motifs politiques, c’est violer le droit de propriété. Une telle décision serait irréversible. Elle n’est possible qu’en temps de guerre contre un ennemi. Confisquer ces avoirs, c’est donc déclarer la guerre à un ennemi plusieurs fois plus puissant que l’ensemble formé par le Royaume-Uni et l’UE.
Outre le fait que leurs armées ne résisteraient pas deux jours à une guerre contre la Russie, l’UE ferait alors peur à tous leurs partenaires sur la planète : s’il est possible de confisquer les avoirs russes, pourquoi Bruxelles s’arrêterait-il en si bon chemin et ne confisquerait pas aussi les avoirs d’État n’ayant pas condamné la Russie ?
Le 14 février, lors de la Conférence sur la Sécurité de Munich, le vice-président JD Vance avait prévenu le Royaume-Uni et l’UE. Il avait déclaré : « la menace qui me préoccupe le plus pour l’Europe n’est pas la Russie. Ce n’est pas la Chine. Ce n’est pas un autre acteur externe. Ce qui m’inquiète, c’est la menace de l’intérieur - le recul de l’Europe de certaines de ses valeurs les plus fondamentales, des valeurs qui sont partagées avec les États-Unis d’Amérique ».
Comprenons bien ce qui se passe. Le président Donald Trump avait annoncé qu’il exigeait que tous les alliés consacrent désormais 5 % de leur PIB à leurs dépenses militaires. Ce chiffre étant impossible à atteindre —il suppose un doublement des dépenses—, la sortie des États-Unis du commandement intégré de l’OTAN était prévisible. Simultanément, le président avait maintes fois assuré que l’Union européenne avait été créée pour nuire aux États-Unis, alors que l’UE est le volet civil de « l’Empire américain » dont l’OTAN constitue le volet militaire. Désormais, après avoir acté que, ni le Royaume-Uni, ni l’UE, ne sont capables de remettre en cause « l’Empire américain », que leurs dirigeants sont dépendants de « l’Empire américain » au détriment de leurs citoyens, qu’ils se refusent à être libres et indépendants, Washington coupe les ponts avec eux.
Notez bien que Donald Trump ne s’attaque pas aux Européens de l’Ouest. Il les laisse juste dériver à la poursuite d’une chimère.
Pour ceux qui, comme moi, envisageaient la dissolution de l’OTAN et de l’UE depuis celle de l’Union soviétique, c’est un pas en avant. Mais pour les sujets britanniques et les citoyens européens, c’est une catastrophe. Dans les prochains mois, nous assisterons à la réconciliation états-uno-russe. Tout ce qui a organisé notre mode de pensée sera jeté aux oubliettes. Le moment est venu pour les Occidentaux de remplacer leurs élites et de repenser leurs sociétés. Ils n’y sont pas du tout préparés.
Alors qu’en 1991, nous envisagions la dissolution de « l’Empire américain » comme celle de l’URSS, nous constatons que c’est un tout autre scénario que le président Donald Trump entend réaliser. Comme Mikhaïl Gorbatchev, il souhaite ramener son pays à ses fondamentaux (Make America Great Again !), mais ses alliés européens entendent, quant à eux, prolonger cet Empire.
À Bruxelles, l’administration de l’UE n’a toujours pas accepté ce cow-boy. Elle espère qu’il sera assassiné sous peu ou qu’il perdra les élections de mi-mandat et sera contraint de renter dans le rang. D’une certaine manière, ce qui se joue aujourd’hui, c’est la fin de la Guerre froide, quand les services stay-behind de l’OTAN faisaient et défaisaient les gouvernements ouest-européens. Les dirigeants de l’UE, à commencer par Ursula von der Leyen et Kaja Kallas, sont directement issus de ces opérations secrètes. Ils sont les enfants de « l’Empire américain » et entendent le perpétuer.
Notes:
[1] « Donald Trump découple les États-Unis d’Israël », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 13 mai 2025.
[2] « Russland-SanktionenEnde der Absprache mit den USA », Florian Flade & Ben Huebl & Joerg Schmitt, Süddeutsche Zeitung, 27. Mai 2025.
[3] Dépêche de presse 3526 « La justice des vainqueurs qui ont perdu », Voltaire, actualité internationale - N°135 - 30 mai 2025.
- Source : Réseau Voltaire