Donald Trump découple les États-Unis d’Israël par Thierry Meyssan

Après avoir patiemment proposé à Benyamin Netanyahou de négocié avec la résistance palestinienne et n’avoir rencontré qu’une obstination à massacrer les Palestiniens, à annexer Gaza, le sud du Liban et de la Syrie, et à déclencher une guerre contre l’Iran, l’administration Trump a changé de braquet. Il est désormais évident pour elle, comme pour tous ceux qui s’intéressent à cette région depuis 80 ans, que les sionistes révisionnistes sont les ennemis de la paix et donc aussi ceux d’Israël.
Le principal obstacle que rencontre Donald Trump dans ses négociations de paix, aussi bien face à l’Iran que face à l’Ukraine, c’est le rôle des « sionistes révisionnistes » aujourd’hui au pouvoir en Israël [1]. J’ai présenté en détail et preuve à l’appui, il y a deux semaines, les pressions qu’ils exercent sur Washington pour faire échouer les discussions avec Téhéran [2]. Je n’ai pas abordé dans ma chronique sur Voltairenet.org leurs pressions en faveur des « nationalistes intégraux » ukrainiens [3], celles-ci ne sont devenues publiques que le 3 mai, avec les déclarations emphatiques de Natan Sharansky en faveur de Volodymyr Zelensky [4]. J’avais déjà expliqué pourquoi et comment ces deux groupes avaient fait alliance, en 1921, contre les bolcheviks et contre de nombreux juifs ukrainiens, ce qui provoqua une enquête de l’Organisation sioniste mondiale et la démission de Vladimir Jabotinsky de son conseil d’administration. Cette affaire est aujourd’hui sous-estimée par les historiens juifs qui répugnent à étudier le massacre de juifs par d’autres juifs. Il existe cependant des exceptions comme les travaux de Grzegorz Rossoliński-Liebe [5]. Sharansky empêche lui-même les historiens d’étudier le sujet en présidant le Centre de commémoration de l’Holocauste de Babi Yar (l’assassinat par balles de 33 771 juifs, les 29 et 30 septembre 1941, par les Einsatzgruppen et les « nationalistes intégraux » deux semaines après le transfert de Stepan Bandera de Kiev à Berlin).
Et n’oublions pas les contacts des « sionistes révisionnistes » avec Adolf Eichmann jusqu’à la prise de Berlin par l’armée rouge, le 2 mai 1945 [6].
Alors que le Premier ministre israélien de l’époque, Naftali Bennett, avait au début de l’opération spéciale russe en Ukraine appelé Volodymyr Zelensky à reconnaître les justes exigences de Moscou de « dénazifier l’Ukraine », et que le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, avait déclaré que, lui vivant, jamais Israël ne donnerait d’armes aux « massacreurs de juifs ukrainiens », l’actuel Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a autorisé l’industrie d’armement israélienne à exporter sa production vers l’Ukraine.
En 2022, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait déclaré : « Et si Zelensky était juif ? Ce fait ne nie pas les éléments nazis en Ukraine. Je crois qu’Hitler avait aussi du sang juif. Cela ne signifie absolument rien. Le peuple juif dans sa sagesse a dit que les antisémites les plus ardents sont généralement des juifs. Chaque famille a son mouton noir, comme on dit ». Yaïr Lapid lui avait alors répondu : « Ces remarques sont à la fois impardonnables et scandaleuses mais aussi une terrible erreur historique. Les Juifs ne se sont pas entretués pendant la Shoah. Le plus bas niveau du racisme contre les Juifs est d’accuser les Juifs eux-mêmes d’antisémitisme ». Ne nous y trompons pas : l’Histoire n’est pas faite de communautés bonnes ou méchantes, mais d’hommes qui, chacun d’entre eux, peuvent se comporter de diverses manières. Ouvrons les yeux !
Le promoteur immobilier Steve Witkoff, devenu envoyé spécial de son ami Donald Trump au Moyen-Orient élargi, est de culture juive. Il a parfaitement compris ce que le président vladimir Poutine lui a dit à propos des« sionistes révisionnistes » en Israël et des « nationalistes intégraux » en Ukraine, au point que les Occidentaux l’ont accusé de reprendre le narratif russe.
Revenons à notre sujet. Donald Trump est président des États-Unis ; un pays dont le mythe fondateur affirme qu’il fut fondé par les « pères pèlerins », ayant fui le « pharaon » d’Angleterre, ayant traversé l’Atlantique comme les Hébreux traversèrent la mer Rouge, et ayant installé une colonie à Plymouth, comme les Hébreux fondèrent la « Terre promise ». Tous les États-uniens célèbrent ce mythe le jour de Thanksgiving. Tous les présidents des États-Unis, sans aucune exception, de George Washington à Donald Trump lui-même, y ont fait référence dans leurs discours officiels. L’alliance entre Washington et Tel-Aviv n’est donc pas discutable. Il se trouve que, les États-Unis, ce pays où prolifèrent des sectes, qui célèbre la liberté de religion, mais pas la liberté de conscience et dénonce, sans la comprendre, la laïcité française, dispose d’un mouvement « chrétien sioniste ». Il s’agit de chrétiens qui assimilent l’Israël biblique à l’État d’Israël actuel. Or, ce mouvement a massivement voté pour Donald Trump et celui-ci s’en trouve débiteur. Une fois devenu président, il a désigné le pasteur Paula White (par ailleurs liée aux « impérialistes japonais ») comme directrice de l’Initiative Foi et Opportunité de la Maison-Blanche.
Quoi qu’il en soit, si personne aux États-Unis ne peut remettre en question l’alliance avec Israël, cela n’implique aucunement de soutenir les « sionistes révisionnistes » aujourd’hui au pouvoir à Tel-Aviv.
Abdul-Malik al-Houthi et ses hommes ont résisté. Ansar Allah a continué à attaquer les navires israéliens pour soutenir les civils gazaouis. Il a, par ailleurs, signé un accord de libre-circulation avec les États-Unis.
Lentement, le président Donald Trump dissocie Israël de la personne de Benyamin Netanyahou. Le recevant à la Maison-Blanche alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, il a fait proclamer par son secrétaire d’État, Marco Rubio, que son administration était la plus pro-israélienne de l’histoire. Ce faisant, il s’est opposé fermement au plan Netanyahou d’interruption de l’accord de paix signé avec le Hamas et, au contraire, d’occupation militaire de la bande de Gaza. Il est allé jusqu’à prétendre que les armées états-uniennes (non pas israéliennes) allaient prendre le « contrôle » de ce territoire. Constatant que ses provocations sont sans effet sur Tel-Aviv, le président Donald Trump vient de franchir un pas décisif : sans en avertir son allié israélien, il a négocié une paix séparée avec Ansar Allah au moment même où ce mouvement yéménite bombardait l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv.
Rétablissant la division entre le Yémen du Nord et le Yémen du Sud, Ansar Allah, le mouvement dirigé par la famille Houthi (d’où son surnom péjoratif occidental de « bande des Houthis » ou de « Houthis »), est parvenu à mettre fin à la guerre avec l’aide de l’Iran, puis à porter secours aux civils palestiniens, en bombardant en mer Rouge les navires israéliens ou liés à Israël. Le Conseil de sécurité des Nations unies n’a jamais condamné ces attaques, mais uniquement les perturbations de la liberté de navigation des navires non-liés au conflit gazaoui. Méprisant les Nations-unies, les États-Unis et le Royaume-Uni ont d’abord créé une coalition militaire pour répliquer à Ansar Allah et secourir les Israéliens pendant le massacre des civils gazaouis. Ils ont visé des cibles militaires sans résultats significatifs (toutes les cibles militaires yéménites étant enfouies sous terre), puis ils ont visé des personnalités politiques, tuant collatéralement de nombreux civils.
Les Anglo-Saxons ont continué à accuser l’Iran de soutenir militairement Ansar Allah, en faisant de Téhéran un acteur de la guerre actuelle. Or, le général Qassem Soleimani (assassiné sur ordre de Donald Trump, le 3 janvier 2020) avait aidé Ansar Allah à se réorganiser pour qu’il puisse fabriquer lui-même ses armes et continuer sa guerre sans l’aide de l’Iran. Celui-ci a eu beau répéter ne plus être impliqué au Yémen, les Anglo-Saxons considèrent toujours Ansar Allah comme un « proxy » de l’Iran, ce qui est aujourd’hui absolument faux.
Il convient maintenant de comprendre la manière dont Donald Trump appréhende les conflits au « Moyen-Orient élargi ». Il entend contraindre par la force les groupes qui conduisent des guerres, qu’ils aient raison ou tort dans ces conflits, à cesser leurs opérations militaires. Mais il ne souhaite pas entrer en guerre contre l’un ou l’autre. Puis, il espère négocier des compromis pour établir des paix justes et durables. Il a donc fait assassiner le général Qassem Soleimani en 2020, juste après avoir fait assassiné le calife de Daesh, Abou Bakr al-Baghdadi. Il a autorisé des opérations contre Ansar Allah et vient d’y mettre fin lorsqu’il a réalisé que ce n’était pas un groupe terroriste, mais un pouvoir politique légitime administrant un État non encore reconnu. Il a autorisé des livraisons d’armes à Israël pendant le nettoyage ethnique de Gaza, mais a commencé à soutenir le mouvement pacifiste au sein des Forces de Défense israéliennes (FDI) de sorte qu’aujourd’hui les « sionistes révisionnistes » n’ont plus les moyens de massacrer les Gazaouis et se replient sur leur siège visant à les affamer.
Il faut donc évaluer l’accord séparé conclu avec Ansar Allah comme une rupture de l’alignement de Washington sur Tel-Aviv et un pas vers l’accord avec Téhéran. Lorsque, à la mi-mars, Tel-Aviv a perçu le possible retrait des États-Unis — il n’avait pas envisagé de paix séparée —, il s’est lancé à nouveau dans une surenchère et a attaqué 131 fois le Yémen.
L’États-uno-Israélien Ron Dermer, un très proche de Natan Sharansky avec qui il a écrit un livre, est devenu ambassadeur d’Israël à Washington et aujourd’hui ministre des Affaires stratégiques. À ce titre, il est le principal responsable des plans d’annexion de Gaza et du massacre des populations civiles. Réagissant à la paix séparée états-uno-yéménite, ce sioniste révisionniste s’est rendu le 8 mai à la Maison-Blanche où il a été reçu « à titre privé » par Donald Trump [7]. La séquence s’est très mal passée : il a tenté de dire au président Trump ce qu’il devait faire. Celui-ci l’a immédiatement remis à sa place.
L’éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, a écrit le lendemain, le 9 mai : « Je ne doute pas que, d’une manière générale, le peuple israélien continue de se considérer comme un allié inébranlable du peuple états-unien - et vice versa. Mais ce gouvernement israélien ultranationaliste et messianique n’est pas l’allié des États-Unis […] Nous pouvons continuer à ignorer le nombre de Palestiniens tués dans la bande de Gaza — plus de 52 000, dont environ 18 000 enfants — à remettre en question la crédibilité des chiffres, à utiliser tous les mécanismes de répression, de déni, d’apathie, de distanciation, de normalisation et de justification. Rien de tout cela ne changera le fait amer : ils les ont tués. Nos mains l’ont fait. Nous ne devons pas fermer nos yeux. Nous devons nous réveiller et crier haut et fort : arrêtez la guerre » [8].
Steve Witkoff ne s’en est pas laissé compter par Benyamin Netanyahou. De retour à Washington, il a mis en garde son ami, le président Donald Trump, face au fascisme historique des « sionistes révisionnistes ».
Par ailleurs, le président Donald Trump a prévu de rencontrer les dirigeants de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Qatar, cette semaine, mais il ne rencontrera pas Benyamin Netanyahou. Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a également annulé un voyage prévu en Israël au même moment, renforçant ainsi le message du président.
Reuters a révélé, le 8 mai, que, désormais, Washington, en négociant avec Mohamed ben Salmane (MBS), le prince héritier d’Arabie saoudite, ne posait plus la reconnaissance d’Israël comme condition préalable à tout accord [9]. Si ce fait était confirmé, cela signifierait que reconnaître que l’État hébreu est devenu un État raciste juif ne serait plus un délit en Occident.
Début mars, on apprenait que le président Donald Trump, sans se coordonner avec Israël, avait autorisé Adam Boehler, son négociateur pour la libération des otages états-uniens à nouer un contact direct avec le Hamas, pourtant toujours considéré officiellement comme une « organisation terroriste ». Le 12 mai, ce changement d’attitude était récompensé par l’annonce de la libération de l’États-uno-Israélien, Edan Alexander, enlevé alors qu’il portait les armes, le 7 octobre 2023. Par ailleurs, début mai, la rumeur d’une possible reconnaissance par les États-Unis de l’État de Palestine lors du voyage de Donald Trump à Riyad, se répandait comme une traînée de poudre.
Notes:
[1] « Le voile se déchire : les vérités cachées de Jabotinsky et Netanyahu », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 23 janvier 2024.
[2] « Les enjeux des négociations de Donald Trump avec la République islamique d’Iran », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 29 avril 2025.
[3] « Qui sont les nationalistes intégraux ukrainiens ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 15 novembre 2022.
[4] Dépêche 3441 : « Natan Sharansky dresse l’éloge de Volodymyr Zelensky », Voltaire, actualité internationale - N°132 - 9 mai 2025.
[5] « Debating, obfuscating and disciplining the Holocaust : post-Soviet historical discourses on the OUN–UPA », East European Jewish Affairs, Grzegorz Rossoliński-Liebe, Vol. 42, No. 3, December 2012. Stepan Bandera, The Life and Afterlife of a Ukrainian Nationalist. Fascism, Genocide, and Cult, Grzegorz Rossoliński-Liebe, Ibidem (2014). Fascism without borders : transnational connections and cooperation between movements and regimes in Europe from 1918 to 1945, Grzegorz Rossoliński-Liebe, Berghahn Books (2017).
[6] « מדוע חוסל קסטנר » (Pourquoi Kastner a-t-il été assassiné ?), Nadav Kaplan, Éditions Steimatzky (2024).
[7] « Scoop : Trump had "private meeting" with Netanyahu adviser ahead of Mid-East trip », Barak David, Axios, May 8, 2025/
[8] « This Israeli Government Is Not Our Ally », Thomas L. Frideman, The New York Times, May 9, 2025.
[9] « Exclusive : Under Trump, Saudi civil nuclear talks delinked from Israel recognition, sources say », Pesha Magid, Reuters, May 8, 2025.
- Source : Réseau Voltaire