www.zejournal.mobi
Samedi, 19 Juill. 2025

Le Parlement français appelle l’Europe à rompre avec l’Amérique et à s’associer à la Chine

Auteur : Arnaud Bertrand | Editeur : Walt | Vendredi, 18 Juill. 2025 - 22h31

Dernier signe qu’au moins certaines consciences commencent à se réveiller en Europe, l’Assemblée nationale française a produit un remarquable rapport d’information de 153 pages qui remet fondamentalement en question l’approche conflictuelle actuelle de l’Union européenne, approche dirigée par les États-Unis, à l’égard de la Chine.

Le document, déposé par la Commission des affaires européennes de l’Assemblée, représente peut-être la critique institutionnelle la plus complète à ce jour de la stratégie de Bruxelles consistant à traiter Pékin comme un « rival systémique« .

Avec 50 recommandations détaillées couvrant tout, de la politique commerciale à la coopération spatiale, le rapport appelle à un réalignement stratégique complet – un réalignement qui permettrait à l’Europe de se libérer de ce qu’il appelle la « vassalisation » américaine et de forger une relation indépendante et coopérative avec la Chine.

Jetons un coup d’œil à cet extraordinaire document.

Anatomie d’une stratégie ratée : la politique autodestructrice de l’Europe envers la Chine

Le rapport révèle comment l’approche conflictuelle de Bruxelles a systématiquement sapé les intérêts européens tout en renforçant les intérêts américains. La conclusion la plus accablante du document est que la stratégie anti-Chinoise de l’Europe représente une erreur de calcul stratégique fondamentale qui a accéléré le déclin du continent en tant que puissance mondiale.

Le pivot fatal de 2019

Le rapport identifie 2019 comme le moment charnière où la stratégie européenne s’est égarée. Cette année-là, l’UE a commis ce que les auteurs considèrent comme une erreur historique : redéfinir la Chine autrefois un “partenaire de coopération” comme devenant à la fois un “concurrent économique” et un “rival systémique« . Cette formulation, soutient le rapport, fut “un changement brutal qui s’est cristallisé en obstacles à l’établissement d’un partenariat qui était en train de se multiplier et de s’intensifier”.

Ce qui a rendu ce pivot stratégiquement désastreux, c’est son timing. L’Europe a choisi la confrontation précisément au moment où la Chine était devenue trop puissante pour être contenue et où elle-même connaissait un déclin de sa pertinence dans un monde de plus en plus multipolaire.

En bref, juste au moment où l’UE aurait pu et aurait dû se positionner stratégiquement comme un pont entre l’Est et l’Ouest, entre l’ordre unipolaire en déclin dirigé par les États-Unis et l’ordre multipolaire émergent, elle a décidé de mettre effectivement tous ses œufs dans le même panier, le panier étasunien, perdant ainsi son rôle potentiel d’intermédiaire indépendant dans le nouvel ordre mondial.

Comme le note le rapport : « Sous l’influence décisive de Joe Biden, alors président des États-Unis, l’UE du G7+ a affiché ses convergences face au ”défi systémique“ que représente la Chine, et visait à montrer « une unité stratégique entre les démocraties libérales contre la Chine” ».

La rhétorique de l’UE n’a fait que se durcir au fil des années, aboutissant à la doctrine de “réduction des risques” d’Ursula von der Leyen en 2023, que le ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang a commentée de cette façon à l’époque : “Si l’Union européenne cherche à se dissocier de la Chine au nom de la réduction des risques, elle se dissociera également des opportunités, de la coopération, de la stabilité et du développement”.

Construire l’arsenal de l’échec

Poursuivant cette stratégie consistant à considérer la Chine comme un « concurrent économique » et un « rival systémique« , le rapport documente méticuleusement comment l’Europe a construit ce qu’elle appelle un “arsenal de défense commerciale” ciblant principalement la Chine.

Malgré les démentis officiels « les représentants du ministère de Bercy et du Quai d’Orsay auditionnés pour ce rapport concèdent que les mesures défensives de l’économie européenne visent principalement la Chine”.

Cela a commencé avec le règlement de filtrage des investissements étrangers de 2019, « inspiré du modèle du CFIUS (Committee on Foreign Investment in the US). » Cela a été suivi par l’Instrument d’achat international de 2022 et le Règlement sur les subventions étrangères de 2024. En 2024, l’UE a déployé “78 mesures de défense commerciale contre la Chine”, dont des droits compensatoires qui “ont abouti à augmenter les droits de douane (de 7,8% à 37,6%) sur les importations de véhicules électriques fabriqués en Chine”.

Dernier ajout en date, le groupe de travail ”Surveillance des importations » lancé en avril 2025, qui « a identifié, au cours des deux premiers mois de fonctionnement, 55 codes produits jugés suspects, du contreplaqué aux additifs alimentaires en passant par les câbles à fibres optiques.” Le rapport note que ce système de surveillance représente “une nouvelle forme de barrière technique au commerce » conçue pour contenir “la compétitivité chinoise”.

En bref, la stratégie commerciale de l’UE, depuis ces dernières années, repose en grande partie sur le fait de suivre les manuels de jeu anti-chinois des Etats-Unis, au moment même où la Chine consolide sa position de moteur économique mondial, un moment où la sagesse stratégique aurait plutôt dicté de rompre avec l’influence déclinante de Washington pour forger un partenariat indépendant avec le géant économique ascendant.

Et le pire, c’est que cette approche ne fonctionne pas du tout, même dans ses objectifs déclarés. Comme l’a admis un responsable de l’UE dans le rapport « Les droits compensatoires européens n’ont pas eu » le moindre « impact sur les exportations chinoises vers l’Europe.” Pendant ce temps, « l’ambassadeur de Chine Deng Li à Paris rappelait lors de son audition que toutes les sanctions économiques et commerciales contre la Chine (télécommunications, militaires…) ont finalement conduit à la renforcer ».

Marginalisation diplomatique

L’approche conflictuelle a accéléré une perte d’influence mondiale pour l’Europe. Le rapport affirme que “depuis la fin de la guerre froide, les États membres de l’UE se sont progressivement alignés sur la stratégie atlantiste impulsée par Washington, notamment par leur intégration à l’OTAN.” Cela a créé un carcan diplomatique où l’Europe s’est retrouvée piégée « exhibant ses » valeurs « contre les puissances émergentes, notamment dans les relations avec la Chine, la Russie ou les pays du Sud, qui sont systématiquement qualifiés de « régimes » ou de « menaces systémiques » dans les textes officiels du G7+UE depuis 2021”.

Les conséquences sont visibles sur tous les grands théâtres internationaux. « En Ukraine, les États européens sont relégués au sous-sol des négociations, sans réelle capacité à influencer les positions américaines ou russes ». « En mer de Chine méridionale, les États membres se contentent de suivre la doctrine de la « liberté de navigation » promue par les États-Unis, sans capacité autonome de proposition ou de médiation». « Sur le continent africain, les désengagements successifs des forces françaises, la perte d’influence au Sahel, la marginalisation des Européens en Libye ou en Centrafrique illustrent une perte croissante de crédibilité ».

L’impasse stratégique

Le rapport conclut que la stratégie européenne pour la Chine représente un échec complet qui ne sert aucun intérêt européen. Comme l’a averti un expert, « la stratégie pourrait conduire à structurer les échanges autour de « blocs fermés » dont les conséquences seraient « perdant-perdant » ». « L’Europe s’est mise dans une position où elle ne peut pas atteindre ses objectifs déclarés tout en nuisant simultanément à sa propre économie et à sa position mondiale ».

L’ironie ultime est que la tentative de l’Europe de réduire l’influence chinoise a plutôt accéléré son propre déclin tout en renforçant l’influence de la Chine. Comme le dit le rapport « Toute tentative d’intimidation ou de confinement contre [la Chine] est vouée à l’échec et ne fait que saper la crédibilité et les intérêts de l’Union européenne elle-même ».

Cet échec stratégique global ouvre la voie à l’argument central du rapport : que l’Europe doit abandonner son approche conflictuelle autodestructrice et tracer une voie indépendante basée sur une coopération équilibrée avec la Chine. La trajectoire actuelle ne sert ni les intérêts européens ni la stabilité mondiale.

Le prix de la loyauté : comment l’atlantisme sape les intérêts européens

La politique de confrontation de l’Europe avec la Chine n’est pas seulement un échec parce qu’elle a mal interprété l’ascension de la Chine ou mal chronométré sa réponse, mais parce qu’elle expose un problème structurel plus profond : la subordination systématique de l’Europe aux priorités stratégiques étasuniennes.

Le rapport révèle comment l’alignement atlantique est devenu un piège qui empêche l’Europe de défendre ses propres intérêts, la contraint à des conflits qui servent des objectifs étasuniens plutôt qu’européens et, finalement, marginalise l’Europe en tant que puissance mondiale.

En d’autres termes, la débâcle chinoise n’est pas une erreur politique isolée, mais le résultat inévitable d’une relation où l’Europe a renoncé à son autonomie stratégique pour devenir ce que le rapport appelle un “partenaire fonctionnel” de l’hégémonie étasunienne.

La violence de l’impérialisme étasunien

Le rapport détaille comment les dirigeants européens ont normalisé le comportement impérial étasunien tout en condamnant simultanément des actions beaucoup moins agressives de la part d’autres puissances, faisant en fait du double standard et de l’hypocrisie l’une des caractéristiques déterminantes de la diplomatie européenne, avec toute la perte de crédibilité que cela implique.

Cela est d’autant plus révélateur que « la politique menée par l’administration Trump a marqué une rupture profonde avec les fondements du multilatéralisme commercial et diplomatique », d’autant plus dommageable que ces politiques sont souvent menées contre l’UE ou les pays de l’UE. Lorsque Trump a annoncé « des droits de douane de 50% sur les produits européens à compter du 1er juin (280 milliards d’euros supplémentaires) », la réponse de l’Europe a été d’une retenue révélatrice.

Le plus révélateur a été la proposition publique et répétée de Trump « d’acheter le Groenland, un territoire danois autonome, proposition fermement rejetée par Copenhague. » Cette remise en cause directe de la souveraineté européenne « n’a pas fait l’objet d’une condamnation par l’Union européenne, ni d’une expression officielle de solidarité envers le Danemark », démontrant « l’incapacité de l’UE à se libérer de son ”atlantisme réflexe » », même lorsque 98% du territoire de l’un de ses États membres est directement menacé.

Le rapport mentionne également Gaza pour illustrer comment l’alignement atlantique de l’Europe a systématiquement miné sa crédibilité mondiale. Alors que l’Europe a adopté « 5 résolutions entre 2019 et 2022 contre la politique chinoise dans la région autonome du Xinjiang », elle n’a réussi qu’à garder le silence sur « les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés par le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahu dans la bande de Gaza où il est désormais entendu qu’un génocide est en cours ».

Comme l’a admis un responsable de l’UE « avec la Chine, nous avons peut-être exagéré nos valeurs », tandis que « les Chinois détestent notre sélectivité ». Le résultat est que les ”valeurs européennes » sont désormais considérées globalement comme « un prétexte pour adopter des sanctions économiques ou commerciales dans la compétition mondiale ». Ce qui signifie qu’il ne s’agit pas de véritables “valeurs” selon lesquelles l’UE vit, mais simplement d’armes utilisées cyniquement et souvent dans le but non pas de protéger les intérêts européens mais étasuniens.

L’incohérence des doubles standards

La contradiction fondamentale est de traiter la Chine comme un « rival systémique » tout en traitant les États-Unis comme un “allié infaillible”, même lorsque les actions américaines nuisent directement aux intérêts européens, plus que les actions chinoises ne l’ont jamais fait. Comme l’a admis candidement un responsable de l’UE « nous n’allons quand même pas mettre les États-Unis au même niveau que la Chine ».

L’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin est cité dans le rapport comme posant cette question essentielle « Qui, aujourd’hui, menace le plus notre souveraineté ? Notre allié ou notre « rival systémique » ? Qui applique brutalement la législation extraterritoriale contre nous? »

La Chine n’a jamais menacé d’annexer un territoire européen, imposé une législation extraterritoriale aux entreprises européennes ou exigé que les pays européens restructurent fondamentalement leurs économies pour servir les intérêts chinois. Pourtant, c’est la Chine qui est qualifiée de “rival systémique” tandis que les Etats-Unis, qui font régulièrement toutes ces choses, reste « l’allié indispensable ».

Atlantisme : à quel prix ?

Le rapport détaille les coûts énormes de l’atlantisme, le dernier exemple en date étant « le Plan « Réarmer l’Europe » qui répond à l’injonction trumpiste faite aux États membres de consacrer plus de 5% de leur PIB à la défense et d’équiper les Européens en armement américain ».

Très concrètement, l’Europe s’engage à transférer une part très substantielle de son PIB (un rappel qu’un étonnant 63% de toutes les commandes de défense de l’UE sont passées à des entreprises américaines) aux entreprises de défense américaines, au détriment de nombreux programmes sociaux nationaux, le tout pour se préparer à une guerre contre la Russie dont, ironiquement, l’administration Trump déclare publiquement et catégoriquement qu’elle ne veut pas.

En effet, l’Europe est dans la situation absurde où elle paie des coûts économiques énormes pour se préparer à un conflit avec la Russie que l’administration américaine exigeant ces dépenses semble complètement réticente à payer, laissant l’Europe à la fois économiquement affaiblie et stratégiquement isolée.

Ou regardez l’énergie. Comme le note le rapport, « les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain ont explosé depuis la guerre en Ukraine… En 2024, près de 45% des importations totales de GNL de l’Union européenne provenaient des États-Unis ». De toute évidence, l’Europe est devenue un marché captif pour les intérêts américains, obligée d’acheter de l’énergie américaine chère pour remplacer le gaz russe moins cher.

Fait intéressant, le rapport suggère également que les intérêts atlantiques empêchent l’UE de passer à des solutions énergétiques propres, à la fois en forçant des “reculs législatifs” qui “mettent en péril la crédibilité de l’action climatique de l’UE sur la scène internationale” et en bloquant la coopération et les partenariats avec la Chine, qui est devenu “le leader mondial incontesté dans le domaine des énergies renouvelables. » Comme le note le rapport : “on ne fait pas de transition écologique sans la Chine”.

Même histoire avec la technologie. Le rapport identifie comment l’Europe est « à la traîne dans des secteurs clés » en raison de sa dépendance technologique vis-à-vis des plateformes étasuniennes. Les entreprises européennes se voient interdire l’accès aux partenariats technologiques chinois – par exemple avec Huawei – tout en étant obligées d’appliquer systématiquement la législation extraterritoriale américaine qui va à l’encontre de leurs intérêts et leur fait perdre l’accès au marché chinois.

Par exemple, le rapport détaille comment « Donald Trump a annoncé fin mai 2025 des mesures d’embargo avec l’interdiction pour les entreprises américaines de vendre des logiciels de conception de semi-conducteurs à la Chine. D’autres produits sensibles sont également concernés comme les outils de fabrication, les produits chimiques spécifiques et les équipements aéronautiques. Ces mesures correspondent à la logique américaine de « découplage » et ont pour conséquence d’impacter les entreprises européennes qui peuvent être empêchées d’exporter vers la Chine si leurs produits utilisent des outils ou des technologies américaines ». Il note en outre que « des pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas ont admis que leur politique de contrôle des exportations était coordonnée avec Washington sur les semi-conducteurs critiques ».

Enfin et surtout, le coût le plus important de l’atlantisme est probablement la destruction presque complète de la crédibilité et de la voix de l’Europe sur la scène mondiale. Piégée dans ce que le rapport appelle “l’atlantisme réflexe« , l’Europe est devenue structurellement incapable d’agir de manière indépendante. « Militairement dépendante des États-Unis, politiquement divisée et structurellement embryonnaire », l’Europe « n’est pas en mesure d’offrir un abri aux États » ni de présenter de véritables alternatives aux vues américaines. C’est particulièrement visible en ce qui concerne l’Ukraine où « les États européens sont relégués au sous-sol des négociations, sans réelle capacité d’influencer les positions américaines ou russes ».

L’illusion atlantique

Le rapport conclut que « maintenir le cap du multilatéralisme fondé sur le dialogue et la coopération suppose que l’espace européen se libère de ses illusions atlantistes ». La relation actuelle ne représente pas une alliance mais une subordination, où l’Europe donne une légitimité aux vues étasuniennes tout en sacrifiant ses propres intérêts et son influence mondiale.

Ce n’est qu’en obtenant une véritable indépendance stratégique que l’Europe pourra se positionner comme le courtier indépendant qu’elle pourrait et devrait être dans un monde multipolaire émergent. Cela nécessite non seulement des changements de politique, mais une réorientation fondamentale de la subordination atlantique vers une véritable souveraineté européenne.

Le projet de souveraineté européenne

En substance, le rapport recommande de s’éloigner de la stratégie actuelle de subordination atlantique de l’Europe provoquant une rivalité contre la Chine, pour une autonomie stratégique permise par un partenariat avec la Chine ; ce qui ne serait rien de moins qu’un réalignement stratégique complet.

Abandonner le cadre défaillant : Au-delà du piège tripartite de 2019

Le point de départ de la souveraineté européenne nécessite d’abandonner ce que le rapport appelle “la tripartite européenne de 2019” qui divisait artificiellement la Chine en « partenaire/concurrent/rival systémique« . Comme l’ont souligné les responsables chinois aux auteurs du rapport : « Nous souhaitons être considérés comme un véritable partenaire, nous n’avons pas besoin d’un rival. La Chine et l’Europe sont deux forces majeures du multilatéralisme, deux des principaux marchés et deux grandes civilisations ».

Le cadre actuel, soutient le rapport « place l’UE dans une ambiguïté qui se retourne contre elle » en créant une confrontation artificielle là où il n’y en a pas besoin.

Le rapport recommande de « mettre fin à la tripartite européenne de 2019 et de laisser derrière elle l’ambiguïté stratégique » car « loin d’être un adversaire systémique, [la Chine] partage avec l’UE des responsabilités majeures dans la gestion des défis mondiaux ». Au lieu de l’approche concurrentielle ratée, l’Europe devrait “définir des objectifs clairs” et “abandonner la posture strictement conflictuelle pour renouer un esprit de dialogue exigeant”.

La diplomatie climatique comme fondement : L’impératif du partenariat écologique

Le rapport positionne la coopération climatique comme un fondement stratégique clé de la nouvelle relation, soulignant que « la lutte contre le changement climatique et la transition écologique doivent être un pilier du partenariat euro-chinois : la Chine est un acteur indispensable pour relever les défis environnementaux mondiaux ». Contrairement aux États-Unis, qui se sont retirés des accords climatiques, « la Chine reste constante dans son engagement, et a même pris des mesures qui dépassent ses obligations formelles ».

Les implications stratégiques sont profondes. La Chine s’est positionnée comme le partenaire permettant une action climatique collective, tandis que l’Amérique apparaît de plus en plus comme l’obstacle qui l’empêche. Pour que l’Europe atteigne la souveraineté énergétique – qui est fondamentale pour toute indépendance significative – elle doit travailler avec plutôt que contre l’arsenal mondial des énergies renouvelables.

Comme je l’ai moi-même soutenu dans un autre article, l’énergie propre offre les deux avantages dont l’Europe a urgemment besoin : une véritable souveraineté grâce à l’indépendance énergétique (le soleil ou le vent sont les ressources de chacun) et d’énormes avantages économiques grâce à des coûts 2 à 3 fois inférieurs à ceux des combustibles fossiles. Alors que les achats de combustibles fossiles piègent les pays dans des cycles d’importation interminables et coûteux, les technologies renouvelables représentent un investissement ponctuel qui élimine la dépendance future tout en fournissant des décennies d’électricité bon marché. Pour l’Europe – qui paie actuellement des prix élevés pour le GNL américain tout en regardant sa base industrielle décliner – l’arsenal renouvelable de la Chine offre l’une des voies les plus réalisables pour se libérer des cycles de dépendance coûteux qui sapent à la fois la souveraineté et la compétitivité.

Enfin, le rapport recommande également de transformer le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui pénalise actuellement les pays du Sud – souvent les moins polluants historiquement – sans proposer d’alternatives. Le mécanisme réformé fournirait plutôt « des financements et des transferts de technologie bénéficiant aux pays du Sud » et soutiendrait « la création d’un fonds mondial de compensation climatique financé par une taxe sur les transactions financières ou les bénéfices de l’industrie des combustibles fossiles ».

Cette approche encouragerait les transitions vers une énergie propre par le biais d’un soutien plutôt que d’une punition, alignant l’Europe sur l’approche chinoise axée sur le développement de la coopération climatique avec les pays du Sud. Plutôt que l’Europe agisse unilatéralement avec des mesures punitives pendant que la Chine poursuit des partenariats d’infrastructure distincts, les deux puissances créeraient conjointement des mécanismes de soutien que les pays du Sud adopteraient réellement – les positionnant en tant que codirigeants d’un programme climatique inclusif et basé sur le développement.

Mettre fin à la vassalisation heureuse : la déclaration d’indépendance de l’Europe

La rupture la plus décisive concerne ce que le président italien Sergio Mattarella a appelé la fin de la “vassalisation heureuse” avec les États-Unis. Le rapport affirme « qu’il est devenu essentiel de s’émanciper de la relation transatlantique, désormais marquée par une ambiguïté croissante et des effets clairement préjudiciables sur les intérêts européens ».

« L’évolution récente des États-Unis, dont la politique étrangère est basée sur des relations de pouvoir et une conception hiérarchique du monde, représente une menace directe pour la stabilité et la paix internationales », indique le rapport. L’Europe doit choisir « être protégée ou être protagoniste. L’Europe a-t-elle l’intention d’être un objet de dispute internationale, un espace d’influence pour les autres, ou au contraire de devenir un sujet dans la politique internationale ? »

Concrètement, cela signifie plusieurs ruptures décisives par rapport aux priorités stratégiques étasuniennes. Premièrement, l’Europe doit « respecter le droit international de l’ONU et refuser toute instrumentalisation », y compris au sujet de « la question de Taiwan », plutôt que de suivre les provocations américaines qui ne servent aucun intérêt européen. Le rapport recommande de « remplacer la stratégie de l’Union dans la région indo-Pacifique, adoptée par le Conseil en avril 2021, par une approche coopérative incluant la Chine et fondée sur l’objectif d’une stabilité durable ».

Deuxièmement, l’Europe a besoin de souveraineté technologique en « créant un service public d’hébergement de données dans des infrastructures françaises hors de portée des lois extraterritoriales américaines » et « en négociant un accord bilatéral euro-chinois visant à sécuriser les transferts de données des consommateurs ou utilisateurs de plateformes numériques ».

Troisièmement, l’Europe doit mettre fin à sa subordination militaire en refusant l’expansion de l’OTAN en Asie, où « les États-Unis cherchent la confrontation avec la Chine » malgré le fait que « Pékin ne menace ni militairement l’Europe ni directement l’Atlantique Nord ».

L’objectif n’est pas l’hostilité envers les Etats-Unis mais l’indépendance européenne : établir « un repositionnement lucide qui ne signifie pas la fin du dialogue transatlantique » tout en veillant à ce que l’Europe puisse poursuivre ses propres intérêts plutôt que de suivre automatiquement les priorités stratégiques américaines qui contredisent souvent les besoins européens.

Reconstruire la gouvernance mondiale : une Alliance sino-européenne pour le multilatéralisme

Le rapport envisage l’Europe et la Chine comme co-architectes d’une gouvernance mondiale réformée. « La Chine et l’UE doivent renforcer ensemble un cadre mondial au service de la paix et du développement solidaire » en « défendant le multilatéralisme et l’ordre international comme axes communs des politiques étrangères européennes et chinoises ».

Parmi les réformes clés figurent la création « d’un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette souveraine, au sein duquel créanciers et débiteurs, pays du Nord et du Sud, seraient également représentés » et « l’engagement d’un processus multilatéral pour créer, à terme, une monnaie mondiale commune, qui ne serait pas un instrument au service de quelques États mais un outil de financement d’une économie durable au service des peuples ».

Sur la gouvernance numérique, le rapport appelle à « promouvoir un traité multilatéral contraignant sur les données numériques » et à « soutenir, avec la Chine, la création d’une agence de supervision numérique des Nations Unies indépendante des entreprises, avec un mandat clair d’audit, de contrôle et de réglementation des infrastructures stratégiques ».

Ces initiatives remodèleraient fondamentalement les structures du pouvoir mondial, passant de la domination occidentale à une véritable gouvernance multilatérale – exactement ce que la Chine et une grande partie des pays du Sud préconisent.

La France bâtisseuse de ponts : tirer parti des liens historiques

Enfin, le rapport positionne la France comme le seul pays européen le plus à même de jouer un rôle moteur dans cette transformation, compte tenu de son « héritage gaulliste-chiraquien d’amitié franco-chinoise » et du fait qu’elle est « le seul État membre de l’UE à disposer d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies ».

De fait, le rapport estime que la France peut être l’impulsion de ce pivot stratégique en « renouvelant sa diplomatie historiquement non alignée » qui lui permet « à la fois de mieux assurer sa propre souveraineté et de préserver son rôle dans l’évolution de l’ordre mondial ». Tout comme de Gaulle a rompu avec la conformité atlantique pour reconnaître la Chine en 1964, la France doit aujourd’hui à nouveau choisir l’indépendance plutôt que la subordination pour tracer une nouvelle voie pour les relations sino-européennes.

Certes, il est peu probable que cela se produise sous Macron, mais maintenant que Dominique De Villepin, l’ancien Premier ministre de Chirac qui a dit “non” à la guerre des États-Unis contre l’Irak à l’ONU, semble être dans la course pour la prochaine élection présidentielle française, il pourrait enfin y avoir une véritable opportunité de restaurer la tradition d’indépendance stratégique de la France et de conduire l’Europe vers la souveraineté dont elle a désespérément besoin.

L’aube du réveil européen

Le plus encourageant de tous est peut-être ce que représente ce rapport : la preuve qu’une nouvelle génération de pensée stratégique européenne émerge, une génération désireuse de voir le monde tel qu’il est réellement plutôt que tel que les atlantistes idéologiques le souhaitent.

Pendant trop longtemps, la subordination stratégique de l’Europe aux intérêts américains a été considérée comme naturelle et inévitable – un prix à payer pour la « sécurité » qui a plutôt entraîné de l’insécurité, le déclin économique et la marginalisation mondiale. Aujourd’hui, pour la première fois, une grande institution européenne a systématiquement exposé cette relation comme le piège stratégique qu’elle est vraiment, tout en offrant une voie alternative concrète vers une indépendance et une prospérité authentiques.

Dans un monde en course vers la multipolarité, l’Europe peut soit poursuivre son déclin en tant que « partenaire fonctionnel » des Etats-Unis, soit saisir ce moment pour se réapproprier son destin de civilisation autonome. Ce rapport montre qu’au moins certains dirigeants européens comprennent ce choix et sont assez courageux pour plaider en faveur du bon. Et ceci, mes amis, est le début du changement.

Voici ce rapport de l’Assemblée nationale.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.


- Source : Arnaud Bertrand

Cela peut vous intéresser

Commentaires

Envoyer votre commentaire avec :



Fermé

Recherche
Vous aimez notre site ?
(230 K)
Derniers Articles
Articles les plus lus
Loading...
Loading...
Loading...
 
 

Contribuer au journalisme de ZeJournal

Faites un don pour nous aider à poursuivre notre mission d’information

Faire un don

( En savoir plus )