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Lundi, 24 Févr. 2025

L’USAID a exporté le terrorisme des Balkans en Haïti

Auteur : Kit Klarenberg | Editeur : Walt | Lundi, 24 Févr. 2025 - 12h36

Le chaos semé par la CIA, entretenu par l'UCK il y a 20 ans en Haïti n'a fait que s'intensifier. Et aujourd'hui, Washington dispose du prétexte idéal pour lancer une invasion totale.

Le 19 décembre, James Foley, ambassadeur des États-Unis en Haïti de 2003 à 2005, a publié une éditorial explosif dans le Miami Times, un journal farouchement anticommuniste. Il y déplore que le pays soit devenu une “bombe à retardement”, avec des centaines de milliers de réfugiés menaçant d’émigrer aux États-Unis, “une montée de la violence des gangs”, le désengagement des “organisations d’aide humanitaire” en raison de “menaces”, et des entités “criminelles” “sur le point” de s’emparer entièrement de Port-au-Prince. Son remède est simple : une “intervention” directe des États-Unis pour assurer le contrôle local et réaffirmer la “primauté de Washington dans l’hémisphère”.

En tant qu’homme de la CIA à Port-au-Prince au début du millénaire, Foley était en première ligne du coup d’État brutal qui a chassé du pouvoir le président anti-impérialiste populaire et légitimement élu Jean-Bertrand Aristide, et entraîné les horreurs qui s’en sont suivies. Comme l’a mis en évidence en février Jeb Sprague, journaliste et chercheur universitaire sur Haïti, le renversement d’Aristide a été orchestré par l’Agence [USAID], en coordination directe avec les éléments les plus extrêmes et meurtriers de l’opposition locale. Cet événement tragique a entraîné le pays dans une descente aux enfers cauchemardesque qui perdure encore aujourd’hui.

Jean-Bertrand Aristide

Les massacres de civils innocents font désormais partie du quotidien en Haïti, la société civile est inexistante et les grandes puissances exploitent le chaos pour tester des techniques de répression et de pacification qui seront ensuite déployées ailleurs. Pourtant, on peut identifier un élément fondamental de cette misère nationale jusque-là passé sous silence. En septembre 2004, le Bureau des initiatives de transition de l’USAID, qui a déclaré “promouvoir les intérêts de la politique étrangère américaine […] en saisissant les opportunités émergentes” – en d’autres termes, superviser les changements de régime – a déployé des vétérans de l’Armée de libération du Kosovo à Port-au-Prince :

“Des spécialistes de la formation et de la gestion du Corps kosovar de protection, une unité d’intervention civile composée principalement d’anciens membres de l’Armée de libération du Kosovo, ont été envoyés en Haïti pour évaluer comment le modèle kosovar pourrait y être appliqué”.

L’UCK était une milice narcoterroriste sadique, ciblant les civils et pratiquant le prélèvement d’organes, soutenue par la CIA et le MI6, qui a mené pendant des années une insurrection sauvage en Yougoslavie. Son objectif était de forger un Kosovo ethniquement pur, au service du rétablissement de la Grande Albanie de l’ère nazie. Une fois que les forces yougoslaves ont quitté la province à la suite d’une campagne de bombardement de l’OTAN de trois mois contre Belgrade en juin 1999, l’UCK a commencé à perpétrer un génocide total des habitants locaux non albanais, tuant d’innombrables Bosniaques, Roms, Serbes et autres minorités, tout en poussant les survivants à fuir.

Des militants de l’UCK arborent des drapeaux albanais au Kosovo, septembre 1999

Les Albanais étaient eux aussi souvent dans la ligne de mire de l’UCK, qu’ils soient des criminels rivaux, des soutiens de la Yougoslavie multiethnique ou de simples opposants à la barbarie excessive de cette faction meurtrière. L’UCK a été largement protégée des répercussions juridiques de sa monstrueuse et cruelle croisade par décrets américains. Cependant, l’acte d’accusation de 2005 contre Ramush Haradinaj, alors Premier ministre du Kosovo, et son adjoint Idriz Balaj, tous deux d’anciens membres haut placés de l’UÇK, détaille le sort habituellement réservé à ceux qui ont croisé le chemin d’Al-Qaïda. Après avoir capturé trois membres d’une famille rom et coupé le nez de l’un d’eux,

“Idriz Balaj a infligé à chacun des trois hommes des coupures au cou, aux bras et aux cuisses, a frotté du sel sur les coupures et les a recousues à l’aide d’une aiguille. Idriz Balaj les a ensuite emballés dans du fil de fer barbelé et s’est servi d’un outil pour enfoncer les barbes du fil dans leur chair. Idriz Balaj a également poignardé l’un d’entre eux dans l’œil. Les trois hommes ont ensuite été attachés derrière le véhicule d’Idriz Balaj et traînés… Ils n’ont pas été revus vivants depuis ce jour et sont présumés morts”.

Haradinaj a été accusé d’une multitude de crimes tout aussi horribles, notamment de viols multiples, et d’avoir personnellement planifié et supervisé le génocide frénétique et ultraviolent de l’UCK au Kosovo après les bombardements. En novembre 1999, les “meurtres et enlèvements” de l’UCK dans la province yougoslave occupée par l’OTAN ont réduit la population serbe de Pristina de 40 000 à seulement 400 personnes. Pourtant, Haradinaj n’a passé que deux mois en prison. Curieusement, il aurait été largement présenté comme le « principal atout de l’UCK en matière de renseignement et d’armée américaine » pendant les bombardements de l’OTAN.

“Le modèle du Kosovo”

L’UCK a été formée à sa sauvagerie sans bornes par les militaires et les services de renseignement britanniques et américains, ainsi que par des sous-traitants, dont le tristement célèbre MPRI. Le Corps de protection du Kosovo, son successeur désigné par l’ONU, était chargé d’intervenir le premier dans certains contextes, mais il lui était formellement interdit d’exercer des fonctions de maintien de l’ordre, en raison de l’histoire sordide de son organisation mère, marquée par une violence sectaire atroce. Il était censé être désarmé, mais cela ne s’est jamais concrétisé. Ce groupe constituait la dernière entité à consulter pour rétablir la stabilité dans une Haïti post-coup d’État en proie aux troubles.

Pourtant, Washington a longtemps planifié de “transformer l'[ALC] d’une bande hétéroclite de guérilleros en une force politique”. Étonnamment, nul autre que le futur ambassadeur en Haïti, James Foley, était à l’avant-garde de ces actions. En tant que haut fonctionnaire du département d’État pendant les bombardements criminels de l’OTAN sur la Yougoslavie, il est allé plus loin que tout autre apparatchik américain en se félicitant ouvertement des liens étroits de Washington avec la milice meurtrière, mais aussi en reconnaissant que l’UCK était en train de devenir un acteur de la gouvernance au Kosovo d’après-guerre :

“Nous voulons développer de bonnes relations avec eux alors qu’ils se transforment en une organisation à vocation politique… [L’UCK] pourrait ainsi progresser dans sa quête d’autonomie gouvernementale dans un ‘contexte autre’. Si nous pouvons les aider et qu’ils veulent que nous les aidions dans ce processus d’évolution, je pense que personne ne peut s’y opposer”.

Foley a fait ces commentaires en février 1999, avant le début de l’assaut de l’OTAN contre la Yougoslavie. De toute évidence, même à ce stade précoce, lui et d’autres responsables américains voyaient le Kosovo devenir une colonie américaine, avec les forces de l’UCK aux commandes, éliminant brutalement quiconque et quoi que ce soit faisant obstacle à Washington. C’est précisément ce qui s’est produit. La nomination de Foley au poste d’ambassadeur des États-Unis à Port-au-Prince en mai 2003 témoigne peut-être aussi de la vision inquiétante de certains acteurs sur ce qui allait bientôt se produire en Haïti.

La destitution d’Aristide n’aurait jamais été prise à la légère par ses soutiens locaux, notamment parce que son éviction aurait inévitablement déchaîné des groupes criminels, militants et fascistes dangereux qui les auraient pris pour cible. Parmi eux, les partisans de la marionnette américaine François Duvalier, qui a dirigé Haïti de 1957 à 1971 en tant qu’État policier brutal, via d’abominables unités d’espionnage et de terrorisme. Ce réseau machiavélique a été réduit en miettes par Aristide, avec un soutien publicquasi total. En conséquence, de nombreux Haïtiens ont opté pour l’autodéfense, se sont armés et se sont préparés à affronter les problèmes, le cas échéant.

Par conséquent, nous pouvons supposer qu’une répression brutale des soutiens d’Aristide a été considérée comme certaine et planifiée par les États-Unis près d’un an avant le coup d’État de février 2004. Les KLA, si chers à Foley, étaient des candidats idéaux non seulement pour planifier un tel bain de sang, mais aussi pour aider à transformer les factions rebelles paramilitaires haïtiennes soutenues par Washington en unités policières et militaires officielles, afin de mener de violentes campagnes de répression contre des groupes cibles spécifiques, sous couvert d’une légitimation. Tel était le “modèle du Kosovo” que l’USAID a cherché à appliquer à Port-au-Prince, après Aristide.

“Une nation violente”

C’est ainsi qu’en janvier 2004, lors d’une célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti de la France, boycottée par l’Occident, à laquelle participaient Aristide et des invités, dont le président sud-africain Thabo Mbeki, des putschistes locaux sont intervenus pour perturber le rassemblement, en recourant à la violence brute. Ce fut l’étincelle qui déclencha le coup d’État de la CIA à Port-au-Prince, un mois plus tard. Selon un câble diplomatique américain ayant fait l’objet d’une fuite, le coup d’État a été orchestré par l’Agence en collaboration avec des “individus douteux”, tels que l’oligarque local lié aux paramilitaires Hugues Paris.

Aristide a été rapidement kidnappé par les forces américaines, puis emmené en Afrique du Sud. Ses réformes sociales modérées, mais révolutionnaires dans le contexte, ont été immédiatement abrogées, et Haïti s’est soudainement transformé en un État en faillite. Des forces paramilitairesbarbares ont fait des heures supplémentaires pour réprimer l’opposition publique, en particulier celle des soutiens du président renversé. Pendant ce temps, des milliers de “soldats de la paix” de l’ONU et des États-Unis, soi-disant déployés pour maintenir l’ordre et empêcher les massacres de civils, ont été directement impliqués dans ces massacres. La même terrible histoires’est déroulée au Kosovo, après juin 1999, grâce à l’UCK.

Les « soldats de la paix » de l’ONU patrouillent en Haïti après le coup d’État

Le prestigieux Lancet Medical Journal a découvert qu’environ 8 000 personnes ont été assassinées à Port-au-Prince dans les deux ans qui ont suivi le coup d’État de février 2004. En l’espace d’un mois seulement, 1 000 corps ont été enterrés dans une fosse commune. Simultanément, les structures étatiques haïtiennes ont été purgées de tous les fonctionnaires restés fidèles à Aristide et à ses programmes progressistes. Les licenciements massifs dans les administrations publiques et la brutale répression des syndicats étaient monnaie courante. Les journalistes dissidents encouraient l’arrestation, voire le meurtre. Les médias pro-Aristide ont été contraints de fermer, généralement sous la menace des armes.

La faction paramilitaire du Front national de libération et de reconstruction d’Haïti était à l’avant-garde du coup d’État à Port-au-Prince. Immédiatement, les médias occidentaux ont commencé à présenter cette faction barbare comme le prochain gouvernement d’Haïti. En avril 2004, Guy Philippe, pilier de longue date de l’opposition à Aristide et chef du FLRN, a déclaré au Miami Herald que son premier acte au pouvoir, s’il était élu, “serait de rétablir”l’armée haïtienne, afin de “sécuriser cette nation violente”. Ce qui, espérait-il, encouragerait également les oligarques étrangers à faire fortune à Port-au-Prince :

“Ce serait une armée professionnelle, pas celle que nous avions… On ne peut pas faire investir des étrangers sans garantie de sécurité”.

Le même article indiquait que les éléments ultra-violents qui ont joué un rôle central dans l’éviction d’Aristide “remettront leurs armes à la police le mois prochain”. On peut supposer que c’est précisément ce que l’UCK n’a pas fait. Ces factions rebelles belligérantes ont ensuite été rebaptisées presque à l’identique en parti politique, le Front de reconstruction nationale. La soumission de la presse à Philippe n’aurait pas pu être plus claire. Le Miami Herald a qualifié le meurtrier de masse d’“extrêmement populaire”, tout en louant son “charisme juvénile” et en reconnaissant ses liens personnels avec le “trafic de drogue”.

Cependant, lors des élections présidentielles de février 2006 en Haïti, Philippe n’a remporté que 1,97 % des voix. Le FRN a obtenu un résultat similaire lors des élections sénatoriales simultanées, ne disposant ainsi d’aucun représentant élu. Aujourd’hui, lui et son parti sont pratiquement tombés dans l’oubli. Entre-temps, le chaos semé par la CIA et entretenu par l’UCK il y a 20 ans en Haïti n’a fait que s’intensifier. Et aujourd’hui, Washington dispose du prétexte idéal – et d’une justification juridique auto-rédigée – pour lancer une invasion totale.

Traduction : Spirit of Free Speech


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