Catholicisme et libéralisme économique: Mario Monti
« Le très catholique Mario Monti [1]... ». C’est ainsi que France-Info (mercredi 2 janvier 2013) évoquait le professeur d’économie qui a été mis en place en Italie par le système oligarchique actuel. Pour corriger ce médiamensonge obscène, nous devons rappeler quelques repères à ce sujet.
Chacun reconnaîtra qu’au XXème siècle, les penseurs catholiques plutôt traditionnels se sont surtout focalisés sur des critiques du marxisme. Cette concentration du discernement s’est traduite par une certaine tolérance idéologique envers le libéralisme économique. C’est ainsi que la réalité sociologique du catholicisme pratiquant manifeste des personnes bien établies dans le monde, plutôt aisées. Le fait que ces catholiques bourgeois se sentent tout à leur aise dans une église trahit l’ignorance doctrinale et religieuse de ce temps.
Ce constat sociologique n’annule pas les déclarations du magistère dans le domaine. Notre vie quotidienne est formatée par le positivisme et tous ses corollaires (scientisme, relativisme, nihilisme…) dont le libéralisme économique est également un surgeon majeur. Mais l’enseignement de l’Église catholique sur le libéralisme économique est clair et précis.
Nous connaissons les travaux de Jean-Claude Michéa [2] sur les racines philosophiques [3] de ce libéralisme de marché. Or, il faut savoir que ce libéralisme des échanges a pu se développer sur les bases philosophiques du positivisme issu, d’une manière paradoxale pour certains, du protestantisme. Le fidéisme protestant, en effet, en niant à l’homme sa capacité à définir l’ordre naturel, favorise la réduction des biens humains aux biens utiles. Or, cette réduction du sens de la vie humaine à la gestion utile de ce qui est, de l’existant, est une violence réelle faite aux intelligences qui cherchent la vérité.
Le travailleur français, à l’origine majoritairement artisan, paysan ou ouvrier, s’est vu progressivement contraint à l’isolement face à la toute- puissance des structures étatiques. La Révolution a ainsi supprimé les anciennes Corporations (institutions de métiers qui protégeaient les affiliés à travers une législation reconnue) et les anciennes Mutuelles. En adoptant la loi « Le Chapelier » [4], cette Révolution a interdit au travailleur de s’associer en lui ouvrant une nouvelle ère : celle d’un esclavage de l’industrie naissante. La course à la productivité et au rendement allait ainsi servir l’éclosion et la pérennité de groupements économiques financièrement puissants et asservissants.
Le droit au travail consacré par la sainte Déclaration des Droits de l’Homme cachait surtout le nouveau devoir de se faire exploiter par les puissants de ce monde.
Le fruit de la libéralisation des esprits, dont Voltaire fut un travailleur acharné, a surtout été la légalisation de la loi de la jungle et le triomphe des appétits égoïstes, dans la droite ligne de l’anthropologie protestante [5]. Les hommes et les femmes, enfermés dans leurs appétits narcissiques, sont ainsi « naturellement » en concurrence et la réussite individuelle, l’arrogance, la superbe, la suffisance deviennent des vertus dans ce monde anglo-saxon. Il n’y a pas loin à voir dans la réussite matérielle le signe des vertus humaines les plus hautes… Ne voit-on pas ici l’arrière-plan protestant de la prédestination dont les signes sont la réussite sociale et les richesses matérielles ?
Il a existé des patrons catholiques [6] conscients de leurs responsabilités et qui humanisaient autant que possible la vie de leur entreprise. Il faut ici rappeler en toute justice que c’est l’Église catholique qui les rappelait à leur devoir. Si la séparation de la foi et de la raison, aujourd’hui majoritaire dans les cerveaux catholiques, est une catastrophe sociale et ecclésiale, la séparation des classes laborieuses et de l’Église catholique en est une autre.
Le catholicisme social en France : quelques exemples
Pourtant, et c’est ce que nous voulons rappeler ici, il n’a pas manqué de voix, même parmi les évêques (eh oui, tout arrive !), pour exposer ce qu’on appelle la doctrine sociale de l’Église [7], laquelle explique l’inhumanité de la doctrine libérale. Sans exposer le détail de l’argumentation, il convient de rappeler que la tradition de l’Église n’est pas de soutenir sans discernement les pouvoirs établis, même si certains hommes d’Église y ont succombé. Nous ne dresserons pas ici une liste dont les noms sont maintenant inconnus pour la plupart. Nous pourrions ici rappeler l’engagement des cardinaux Liénart [8] et Guerry [9] contre cette violence économique et sociale, Frédéric Ozanam [10] ou encore Léon Harmel [11]. Le rappel de cette doctrine sociale au regard du libéralisme économique est essentiel en un temps où le surnaturalisme imprègne le catholicisme, ce qui se traduit par la désertion du combat politique authentique.
Nous citerons le cardinal Richaud (1887-1968), archevêque de Bordeaux :
« Le travail de l’homme est une réalité voulue par Dieu et sanctifié par le Christ. Le chômage est donc un mal moral avant d’être un mal économique. Ses conséquences sur la valeur personnelle de l’ouvrier, sur la condition de la vie au foyer, sur l’ensemble de la vie sociale, sont à peser avant tout licenciement. Le chômage ne peut être que temporaire et “subi” par les responsables de la Cité, de la profession, de l’entreprise. Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour l’éviter ou le réduire [12]. Jamais il ne saurait être envisagé comme un bien pour relancer une affaire ou équilibrer une situation. Même en face de difficultés économiques d’une entreprise ou d’un pays, les dirigeants doivent avoir le souci de sauvegarder une priorité absolue aux salaires vitaux. Un abandon momentané de la rémunération du Capital, une réduction par le haut de la hiérarchie des salaires et des traitements, un engagement des réserves de l’entreprise peuvent apparaître nécessaires dans une période particulièrement difficile. C’est ici que la morale évangélique du renoncement doit dicter à ceux qui sont avantagés ou qui jouissent d’une plus grande sécurité les gestes que les Chrétiens doivent faire et qui entraîneront leurs collègues et leurs compatriotes… Le dirigeant chrétien… évitera de transférer sur d’autres les difficultés qu’il rencontre. Il s’associera à eux pour les partager… Une conscience chrétienne ne peut supporter qu’une certaine catégorie de citoyens exploitent une période de crise pour s’y enrichir tandis que d’autres connaissent des moyens d’austérité [13]. »
La véritable Église du Christ a ainsi toujours combattu les abus de pouvoir en protégeant les humbles et les petits. Le catholicisme social n’est pas une vue de l’esprit. Ce christianisme authentique a en effet fourni de nombreux résistants.
Un certain abbé Busson écrivait ainsi en 1819 :
« Il est un autre socialisme que les peuples doivent accueillir sous peine de retomber, et bientôt, dans la barbarie : c’est le socialisme chrétien. Celui-ci se fonde sur la liberté, l’égalité et la fraternité, telles que la religion du Christ les révèle. Il ne crée pas une humanité fantastique, pour dicter des lois à l’humanité réelle. Il prend les hommes comme ils sont, avec leurs inégalités sans nombre, parce que ces différences dérivent naturellement de la différence même des individualités humaines. Et voilà pourquoi il cherche à faire servir, dans une juste mesure, la plénitude des uns de ressource à l’indigence des autres. »
Le catholicisme social en Allemagne
C’est pourtant au XIXème siècle en Allemagne que le catholicisme social va s’incarner de façon significative autour des « lois Ketteler » du nom de l’évêque de Mayence Wilhelm Emmanuel von Ketteler (1811-1877). Cet évêque ne s’est jamais prostitué aux autorités établies, ce qui lui a valu de nombreuses difficultés. Il est cité en exemple par Benoît XVI dans son encyclique sociale Dieu est amour (n° 27). Dans cet élan, Mgr Weis (1796-1869) écrivait : « Le sort des salariés des riches fabriques est plus oppressif que l’ancien esclavage. » Le fruit de ces réflexions est la création d’associations de protection ou encore la modification du droit du travail.
En 1864, trois ans, donc, avant la parution du Capital de Karl Marx, monseigneur von Ketteler publie La question ouvrière et le christianisme [14].
Il dénonce alors une oppression d’une grande actualité :
« Il n’y a plus de doute possible aujourd’hui : l’existence matérielle de la classe ouvrière presque tout entière, c’est-à-dire la grande masse des citoyens de tous les États modernes, celle de leur famille, le pain quotidien nécessaire à l’ouvrier, à sa femme et à ses enfants, est soumise à toutes les fluctuations du marché et du prix de la marchandise. Connaissez-vous quelque chose de plus déplorable qu’une telle situation ? Quels sentiments doit-elle éveiller dans le cœur de ces malheureux qui se voient, chaque jour, eux et ceux qui leur sont chers, exposés aux éventualités d’un marché ! C’est le marché aux esclaves de l’Europe libérale, taillé sur le modèle de notre libéralisme et de notre franc-maçonnerie philantropiques, éclairés et antichrétiens »
Léon XIII (1810-1903) reconnaîtra en von Ketteler son précurseur. Une de ses intuitions de résistance est la création d’associations ouvrières, sortes de syndicats, indépendantes de l’État bien entendu, mais également des réseaux capitalistes. Ce mouvement aboutira à la création d’un parti chrétien qui remportera plusieurs élections. Dans l’œuvre de Mgr von Ketteler se trouve également le projet de création d’un institut de crédit qui permet aux ouvriers de contrôler le capital de leur entreprise et la participation des travailleurs aux bénéfices.
À la même époque, de nombreuses initiatives fleurissent en Occident. En France particulièrement, Mgr Freppel (1827-1891) et Albert de Mun (1841-1914) vont proposer la création de caisses de sécurité sociale. Ces initiatives annoncent les grandes lignes des encycliques sociales de Léon XIII qui ordonnent en conscience la protection des ouvriers.
La doctrine sociale et les papes
Pie XI (1857-1922) dénonça en son temps « le libéralisme immoral » que Pie XII (1876-1958) condamnera de nouveau en 1944 « comme contraire au droit naturel ». Il va sans dire que ces hommes connaissaient les relations étroites entre ce libéralisme et la pratique de l’usure, dénoncée depuis les débuts de l’Église [15].
Cette doctrine sociale de l’Église se fonde sur ce qu’on appelle le droit naturel [16] et la Révélation : cette dernière n’annulant point le premier, dont les grandes lignes ont été définies par des philosophes grecs [17] et romains. Cette doctrine, issue d’une longue maturation, ne définit pas le travail comme une marchandise ou une simple force productrice dépersonnalisée. Cette doctrine sociale relativise donc le travail mais en lui redonnant ses lettres de noblesse : en l’humanisant.
Concernant la propriété privée, elle ne la définit pas comme un droit absolu de disposer de ses biens [18]. S’inspirant de saint Thomas, elle précise, ce qui ne va pas sans étonner nos oreilles formées au matérialisme égoïste, que la propriété privée, bien que nécessaire [19] à la satisfaction des besoins vitaux et pour d’autres raisons, est destinée en droit au bien commun. Quand j’use d’un bien matériel (maison, moyen de locomotion, outil, etc), je ne dois pas le faire comme s’il m’appartenait en propre mais comme s’il était à tous, si bien que si je rencontre quelque nécessiteux, je dois lui céder ce bien comme s’il s’agissait d’une restitution. Saint Thomas finit ainsi son argumentation en citant saint Paul (1 Tm 6, 17-18) : « Recommande aux riches de ce monde... de donner de bon cœur et de savoir partager. »
Cette communauté des biens ou destination universelle des biens [20] est traditionnelle dans l’Église, bien que les catholiques, travaillés par des décennies de bourgeoisie néo-protestante, l’aient oublié pour le plus grand bien de la marche libérale. L’Église parle ainsi de droit naturel, non qu’elle enseigne qu’on ne doit rien posséder en propre [21] mais que l’on ne doit pas oublier que, naturellement, nous naissons nus et sans possessions. Le riche qui, par exemple, s’empare en premier d‘une richesse (un puits d’eau par exemple) pour la partager avec le plus grand nombre agit bien et en justice : il faute par contre quand il empêche la redistribution selon un juste prix ou engrange des bénéfices démesurés. Saint Thomas cite dans cette question saint Ambroise : « Que personne n’appelle son bien propre ce qui est commun [22], car tout ce qui dépasse les besoins, on le détient par la violence. »
L’Église catholique, à travers tout l’argumentaire de sa doctrine sociale, rejette le libéralisme sauvage et le capitalisme démesuré qui lâchent la bride des prédateurs, ouvriers d’injustice. L’aveuglement de trop nombreux catholiques en ce domaine est le fruit du travail de sape d’idéologies déformantes et déshumanisantes. Cette ignorance [23] grave engendre dans leur mode de vie un contre-témoignage non moins grave et empêche leur entrée dans la résistance efficace au nouvel ordre mondial positiviste.
En 1937, Pie XI s’insurgeait :
« Que faut-il penser des manœuvres de quelques patrons catholiques, qui, en certains endroits, ont empêché la lecture de notre encyclique Quadragesimo anno dans leurs églises patronales ? Que dire de ces industriels catholiques qui n’ont cessé jusqu’à présent de se montrer hostiles à un mouvement ouvrier que nous avons-nous-mêmes recommandé ? On combattra cette incohérence, cette discontinuité dans la vie chrétienne, que nous avons déplorée tant de fois, et qui fait que certains hommes [24] , apparemment fidèles à remplir leurs devoirs religieux, mènent, avec cela, par un déplorable dédoublement de conscience, dans le domaine du travail, de l’industrie ou de la profession, dans leur commerce ou leur emploi, une vie trop peu conforme aux exigences de la justice et de la charité chrétienne ; d’où scandale pour les faibles et facile prétexte offert aux méchants de jeter sur l’Église elle-même le discrédit. »
Divini Redemptoris, 1937.
Quand une structure se corrompt, elle le fait toujours par le haut. L’Église authentique subsiste dans l’Église catholique. Car de nos jours, il est facile de se dire catholiques, du moins dans les réseaux ecclésiaux, d’aller à l’église, de participer à sa vie liturgique et communautaire, voire même d’accéder à certains « grades ». C’est ainsi que l’Église institutionnelle présente parfois, ponctuellement, le visage d’une auberge de prostituées. Ne voit-on pas certains encourager cette situation indigne en entretenant l’ignorance et le mépris de l’étude : c’est ainsi qu’on confisque les clés de la formation en empêchant le peuple d’y accéder. On le conforte ainsi dans ce dédoublement de conscience qui sert l’ordre établi. Au sein de ces zizanies subsiste un petit reste de fidèles qui résiste aux compromissions inacceptables et prend conscience, par l’étude et la lecture, de la nécessité de la dissidence.
« L’Église n’est ni à droite, ni à gauche mais au-dessus, non pour dominer mais pour servir. »
Pie XII
Nul ne peut juger la conscience d’un autre, mais Mario Monti n’est pas catholique : c’est objectivement un petit agent de groupes de domination privés protestants et juifs dont les buts exclusifs sont l’argent et le pouvoir. Entièrement soumis à ces intérêts au détriment du bien commun des personnes, il œuvre chaque jour contre cette doctrine sociale de l’Église qu’il devrait servir en cohérence. Son évêque devrait vigoureusement rappeler ces vérités au risque d’accentuer des contre-témoignages inadmissibles.
Conclusion
La société libérale-libertaire, qui est la finalité de l’idéologie mondialiste (à ne pas confondre avec la mondialisation), consacre le prêt à intérêt de l’individu égoïste, alors que la doctrine sociale de l’Église, tout en reconnaissant la propriété privée comme un bien objectif et humanisant, recommande le don gratuit pour l’autre.
Historiquement, nous sommes passés de la noblesse au calcul intéressé. Il ne faut pas oublier les intentions des pères du libéralisme économique dominant dont un représentant emblématique est Bernard Mandeville (1670-1733). Dans sa Fable des Abeilles (1714), il manifeste qu’une société fondée sur les vertus ne peut pas être prospère matériellement. Il faut donc libéraliser les vices. Le principe de cette nouvelle société libérale sera l’utilité sociale de l’égoïsme. Il ne s’agit plus ici de combattre les vices mais d’en accepter d’institutionnalisation.
C’est là un des fruits du protestantisme, tel que l’a manifesté Max Weber dans son Éthique protestante et l’esprit du capitalisme. L’Église reconnaît par ailleurs le rôle pertinent du profit comme le rappelle Jean-Paul II dans Centesimus Annus. La difficulté vient quand les âmes sont à ce point absorbées par la Cité temporelle que les soucis propres à cette Cité ont envahi l’esprit des citoyens. Peut-on encore combattre à la suite du Christ dans ces circonstances ? Le souci de la vérité apparaît alors comme une recherche désincarnée : mais dans cette logique, le plus désincarné se trouve être le Christ incarné…
Un autre sociologue, Werner Sombrart (1863-1941), plus connu en son temps que Max Weber, a fait le lien entre l’économie capitaliste sauvage et la religion juive. Aujourd’hui, deux principes bancaires coexistent dans le monde occidental : l’un, issu du monde protestant, de tendance ascétique ; l’autre provenant du monde juif, de tendance plus spéculative, (cf. Alain Soral, Comprendre l’Empire). Ces deux principes bancaires co-gèrent la capacité qu’ils se sont donnée de créer de l’argent à partir de rien et de tirer profit de l’emprunt. C’est là le mode de fonctionnement de la religion mamonnique. Il apparaît que le positivisme philosophique est un des piliers de l’esprit du monde : logique de domination temporelle.
Pour une analyse du prêt à intérêt chez saint Thomas : Somme Théologique, IIa-IIae, qu. 78.
En rappelant le passage du Livre de l’Exode (22, 25), saint Thomas se situe dans la lignée des Pères de l’Église en affirmant le caractère peccamineux de l’usure. On peut dire que jusqu’à la Renaissance, travailler pour accroître ses richesses étaient considéré comme un péché : la finance était immorale. Il fallait trouver le juste prix. L’authentique catholicisme recommandait le prêt gratuit. On sait par ailleurs que deux Conciles (Latran 1315 et Paris 1532) ont solennellement condamné le prêt à intérêt.
Pour une analyse globale de la question : Pamphile Akplogan, L’enseignement de l’Église catholique sur l’usure et le prêt à intérêt, L’Harmattan, 2010.
Notes
[1] Né en 1943, après avoir fait le va-et-vient entre la Commission Européenne et la banque Goldman Sachs, il est nommé en novembre 2011 Président du Conseil des Ministres italien et démissionne en décembre 2012. Le technocrate œuvre pour le racket légal des italiens au service des banques privées. Candidat aux prochaines élections, il annonce vouloir poursuivre sur la même voie : libéralisations, mesures de compétitivité, etc.
[2] Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche (Climats, 2002. Réédition Paris, Champs-Flammarion, 2006) et La double pensée. Retour sur la question libérale (Paris, Champs-Flammarion, 2008) dont Alain Soral nous a recommandé la lecture.
[3] Le raisonnement est toujours le même : notre connaissance ne touche jamais la vérité des choses mais son aspect sensible seulement. Et par conséquent comme l’appétit suit la connaissance, mon désir sera borné à un calcul d’intérêt singulier. Suivront les utilitaristes anglo-saxons : Adam Smith (1723-1790), Jeremy Bentham (1748-1832), Bernard Mandeville (1670-1733), son disciple Ricardo (1772-1823), John Stuart Mill (1806-1873), Malthus (1766-1834), et plus tard Keynes (1883-1946). Ces auteurs positivistes peuvent s’opposer ici ou là mais leurs points de départs sont les mêmes. Il est intéressant de noter que pour Keynes, influencé par Moore (1873-1958), le bien ne peut être défini adéquatement de façon universel et nécessaire. Il nous faut donc nous en tenir aux institutions établies qui ont fait leur preuve dans l’histoire des hommes pour guider nos actions. L’aboutissement contemporain de cette filiation est Milton Friedman (1912-2006), prix Nobel d’économie (1976), dont la doctrine économique est devenue dominante dans la marche vers le Nouvel Ordre Mondial.
[4] La Loi Le Chapelier (juin 1791, du nom de Isaac Le Chapelier, avocat au Parlement de Bretagne, et abrogée progressivement en 1864 et 1884) proscrit légalement : les organisations ouvrières, dont les corporations des métiers, mais aussi les rassemblements paysans et ouvriers et le compagnonnage. Étrangement, elle épargne les clubs patronaux, les trusts et ententes à caractère monopolistique.
« Enfin, à ceux qui verraient encore dans la Révolution la naissance de l’égalité et de la fraternité réelles, nous rappelons la loi “Le Chapelier”. Soit l’avènement aussi dans le dos des “droits de l’homme”, mais sur le dos du petit peuple du travail, du plus brutal libéralisme économique ! La loi Le Chapelier, promulguée en France deux ans seulement après la prise de la Bastille, proscrivant les organisations ouvrières et les rassemblements de paysans. Interdisant, de fait, les grèves et la constitution des syndicats, ainsi que les entreprises non lucrative comme les mutuelles. Ne visant ni les club patronaux, ni les trust, ni les ententes monopolistiques qui ne furent jamais inquiétés, elle provoque, dès 1800 chez les ouvriers charpentiers, la formation de ligues privées de défense et de grèves sauvages, qu’elle (la loi) permet de réprimer jusqu’à Napoléon III » (voir loi Ollivier).
Alain Soral, Comprendre l’Empire.
[5] Pour la théologie protestante, avec bien-sûr des nuances chez les auteurs et les filiations, le péché originel a détruit (complètement obscurci) la nature humaine si bien que non seulement l’intelligence ne peut plus connaître le vrai mais la volonté est incapable de bien objectif. On verra ainsi une certaine forme d’anti-intellectualisme chez Luther lorsqu’il refuse de donner à l’intelligence la capacité d’accéder à la vérité. Sa définition de la nature humaine est telle qu’il l’estime incapable de connaître naturellement des vérités premières et d’aimer objectivement un bien. Sa formation nominaliste occamiste a fondé ce postulat. Dés lors, l’usage de la raison dans les matières de la foi, et donc la prétention d’exposer une théologie scientifique du donné révélé, est non seulement invalidée par cette orientation protestante mais lui est insupportable. L’usage de la raison humaine, avec sa logique naturelle, dans les matières de la foi, est un abominable scandale. Nous rappelons ici le texte bien connu : "dans les choses spirituelles la raison est non seulement aveugle et ténèbres, elle est vraiment la putain du diable, elle ne peut que blasphémer, déshonorer tout ce que Dieu a dit ou fait". Notre intelligence totalement détruite ne peut plus définir des vérItés naturelles et les vérités révélées de la foi ne sont pas rationnelles mais s’adressent uniquement à notre cœur, compris comme siège des sentiments. Ce sera le Dieu sensible au cœur de Pascal. Luther repoussait ainsi toute philosophie, et invalidait toute logique en théologie. "La logique n’est nulle part nécessaire en théologie, dit-il, parce que le Christ n’a pas besoin des inventions humaines". Et par conséquent Aristote devient pour lui le rempart impie des papistes. Son éthique est la pire ennemie de la grâce. Saint Thomas est rejeté, la Sorbonne est la mère de toutes les erreurs et Jacques Maritain peut conclure :"Luther en somme apportait à l’humanité 230 ans avant J.J. Rousseau une délivrance, un immense soulagement : il délivrait l’homme de l’intelligence, de cette fatigante et obsédante contrainte de penser toujours et de penser logiquement. La grande oeuvre révolutionnaire, à partir du protestantisme en descendant jusqu’à nos jours, c’est de ne permettre de repos à la raison que dans la contradiction. Elle met en nous une guerre universelle." Luther et ses disciples protestants de tous les temps mettent en oeuvre le programme philosophie de Guillaume d’Occam (franciscain anglais mort en 1347) : abandon de la philosophie réaliste jugée inutile et incertaine, séparation de la philosophie et de la théologie, prédominance du sentiment au détriment de la raison. Plus tard, quand la foi disparaîtra : réduction des biens humains aux biens utiles. Et comme le souligne Jean-Paul II dans Fides et Ratio (n° 48) : « la foi, ainsi privée de la raison, a mis l’accent sur le sentiment et l’expérience, en courant le risque de ne plus être une proposition universelle. Il est illusoire de penser que la foi, face à une raison faible, puisse avoir une force plus grande ; au contraire, elle tombe dans le grand danger d’être réduite à un mythe ou à une superstition. De la même manière, une raison qui n’a plus une foi adulte en face d’elle n’est pas incitée à s’intéresser à la nouveauté et à la radicalité de l’être ».
[6] Voir plus bas, Léon Harmel.
[7] Une synthèse de cette doctrine a été publiée en 2006 aux éditions du Cerf.
[8] 1884-1973 : peu apprécié des traditionnalistes pour son progressisme, il développa cependant le syndicalisme chrétien.
[9] 1891-1969 : figure du catholicisme social en France après-guerre.
[10] 1813-1853 : professeur d’histoire de la littérature à la Sorbonne, béatifié en 1997.
[11] 1829-1915 : industriel français, tertiaire de saint François. Le patronat catholique l’appréciait peu. Harmel rappelait la nécessaire autonomie de l’organisation ouvrière face au patronat.
[12] L’indice N.A.I.R.U. est ainsi le taux de chômage nécessaire et suffisant pour limiter l’inflation. Équation économétrique essentielle dans le système libéral actuel et dénoncée par Etienne Chouard.
[13] Le Figaro, 13-02-1959.
[14] Disponible au téléchargement sur gallica.fr.
[15] Cf ; Pamphile Akplogan : L’enseignement de l’Église catholique sur l’usure et le prêt a intérêt. L’Harmattan, 2010. L’auteur béninois s’étonne par ailleurs que le nouveau Code de Droit Canonique (1983) ne parle plus de l’usure. Le Compendium de la Doctrine Sociale de de l’Église (Cerf, 2006) rappelle cependant cette condamnation dans son n° 341 : « Si dans l’activité économique et financière la recherche d’un profit équitable est acceptable, le recours à l’usure est moralement condamné : « Les trafiquants, dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité, commettent indirectement un homicide. Celui-ci leur est imputable » (Catéchisme Église Catholique, n° 2269). Cette condamnation s’étend aussi aux rapports économiques internationaux, en particulier en ce qui concerne la situation des pays moins avancés, auxquels ne peuvent pas être appliqués « des systèmes financiers abusifs sinon usuraires » (CEC, n° 2438). Le Magistère plus récent a eu des paroles fortes et claires contre une pratique dramatiquement répandue aujourd’hui encore : « Ne pas pratiquer l’usure, une plaie qui à notre époque également, constitue une réalité abjecte, capable de détruire la vie de nombreuses personnes » (Jean-Paul II : Discours à l’Audience générale du 4 février 2004).
[16] Pas celui de Hugo Grotius qui conserve l’expression mais en détourne le sens vers la subjectivité.
[17] Dont le principal est Aristote, auteur indépassable dans l’ordre naturel.
[18] Comme c’est le cas chez Grotius. Alors que chez Thomas d’Aquin, tout usage de la richesse doit avoir une destination communautaire (Somme Théologique, IIa-IIae, question 66, a.2).
[19] Saint Thomas donne trois raisons qui justifie cette nécessité : 1° on prend davantage soin de ce qui nous appartient, 2° l’efficacité dans la gestion est plus assurée quand chacun s’occupe de son office et non quand chacun veut s’occuper de tout, 3° la paix sociale est plus garantie quand chacun est relativement satisfait vis-à-vis des biens extérieurs. Dans le cas des biens partagés ou indivis, il se rencontre beaucoup de conflits.
[20] La destination universelle des biens de ce monde est rappelée dans le Compendium (Cerf, 2006) à partir du n° 171.
[21] Sauf dans le cas de vocation particulière, avec des degrés selon les constitutions religieuses.
[22] Ici, il parle de la propriété au point de vue de l’usage.
[23] La prise de conscience ne suffit pas : il faut y ajouter la réforme de vie, en un mot sortir de la prostitution à l’ordre établi bourgeois et mercantile avec ses corollaires de consommation continue et avilissante.
[24] La mixité récente a accentué cette dérive : l’accent mis en effet sur la communion relationnelle au détriment de la raison et de la vérité est une caractéristique de la vie ecclésiale catholique actuelle.