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Syrie : le quai d'Orsay et les renseignements à couteaux tirés

Auteur : Régis Soubrouillard | Editeur : Walt | Mercredi, 08 Oct. 2014 - 10h04

Alors que Laurent Fabius se montre toujours intransigeant sur l'hypothèse d'une reprise de dialogue avec le régime de Bachar Al-Assad, les services de renseignements, agacés, commencent à faire entendre leur voix, confrontés à une menace terroriste inédite qui demande un travail de renseignement intérieur mais aussi une collaboration extérieure avec la Syrie. Mais faute de reprise d'un dialogue diplomatique officielle entre les deux pays, les services syriens ne veulent rien entendre.

Difficile de mettre en place une coopération anti-terroriste avec un régime que l’on souhaitait voir disparaître il y a encore quelques mois. C’est le dilemme auxquels sont actuellement confrontés les services de renseignement français, contraints de batailler sur deux fronts : à l'extérieur, en Irak et en Syrie, et à l'intérieur, pour surveiller sur le sol français les candidats au djihad. Là où le problème se pose, c’est que la difficulté de contrôler le retour des djihadistes tient notamment à l’absence de suivi des candidats au djihad en territoire syrien, soit par des agents français, soit par le biais d'informations échangées avec les services de renseignement de Bachar Al-Assad, plutôt considérés, avant la guerre, comme performants. Des contacts rompus depuis la fermeture de l’ambassade de France à Damas en mars 2012.

Dans son édition du 7 septembre, Le Monde propose un récit des diverses tentatives des renseignements français pour renouer avec le régime syrien et notamment ses services de sécurité. « Pressée d’éviter que des djihadistes français partis en Syrie ne reviennent sur le sol national commettre des attentats, la Direction générale de la sécurité intérieure a tenté à la fin du premier trimestre 2014 de rétablir un lien direct avec les services de renseignement syriens afin d’obtenir des informations permettant d’anticiper les éventuelles menaces ». Des tentatives de reprise de dialogue toujours infructueuses pour le moment, selon Le Monde, qui fait référence à des contacts établis par Bernard Squarcini, ancien patron de la DGSI, mais aussi Xavier Houzel, vieux routier des négociations pétrolières. C’est que l’une des conditions du régime syrien pour une reprise des contacts entre les services de renseignement est la reprise des contacts diplomatiques et notamment la réouverture de l’ambassade de France à Damas. Impossible compte tenu de l’intransigeance dont fait preuve le quai d’Orsay vis-à-vis de Bachar Al-Assad.

« Bachar Al-Assad ne peut pas être un partenaire dans la lutte contre le terrorisme » déclarait encore Hollande, lors de la conférence des ambassadeurs qui s’est tenue fin août. De son côté, Laurent Fabius, en pointe contre le régime de Bachar Al-Assad, bien plus encore que les diplomates américains, notamment au moment des fameuses attaques chimiques, n’entend pas revenir sur ses positions.

En janvier 2014, Libération faisait déjà état de tractations secrètes avec le régime syrien : « Des réunions secrètes ont eu lieu entre des émissaires français et l’un des serviteurs les plus dévoués du système de terreur mis en place par le régime syrien afin d’obtenir des informations sur les quelque 400 Français qui sont allés se battre dans le pays et sur le sort des quatre otages français disparus dans le Nord du pays ». La quotidien affirmait notamment que l’opération avait été menée par un ancien chef de la DGSE, grand expert des affaires syriennes et, par ailleurs, visiteur du soir de François Hollande à l’Elysée. C’est que, par le passé, la Syrie a su rendre des services à la France en matière de lutte anti-terroriste.

L'intransigeance de Laurent Fabius 

Fin 2013, dans un livre, il en est un qui était déjà très agacé par l'intransigeance de la diplomatie française. A l'époque, le danger représenté par l’Etat Islamique n’avait rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui. Et pourtant, voilà ce qu'écrivait alors Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur de 2008 à 2012 et proche de Nicolas Sarkozy : « Depuis l’arrivée de Laurent Fabius au Quai d’Orsay, tous les ponts ont été coupés avec Damas parce que Paris mise sur la chute du régime. Calcul hasardeux ! Non seulement Bachar Al-Assad est toujours là, mais il est ressorti renforcé de la crise diplomatique internationale déclenchée par l’usage d’armes chimiques le 21 août 2013. On veut armer l’Armée syrienne libre alors qu’elle est infestée de djihadistes d’Al-Qaïda et qu’on lutte contre Aqmi au Mali. Aujourd’hui, la Russie mène la danse et tous les djihadistes français partent là-bas. Comment les arrêter s’il n’y a plus de contacts, plus de négociations ? Les services syriens répondent à la France : "Rouvrez une ambassade et parlez-nous autrement."»

Une position défendue aussi par Alain Chouet, ancien responsable du renseignement de sécurité à la DGSE et longtemps en poste à Damas : « Le raisonnement des Syriens ne manque pas de subtilité mais est totalement dépourvu d'attrait pour l'énarque moyen peu habitué à ce qu'on lui résiste. Habitués des coups de billard à trois bandes, les Syriens ne nous reprochent même pas l'incohérence qu'il y a à soutenir les rebelles d'un côté et à venir les solliciter de l'autre. Ils disent : "Nous ne sommes absolument pas fermés à une reprise de vos activités de service sur notre territoire. Mais la confiance mutuelle et la protection de vos agents veulent que cela se fasse en coopération avec nos services. Donc, il est nécessaire de le faire sous couverture diplomatique. Et pour le faire sous couverture diplomatique, il faudrait que vous disposiez d'une infrastructure diplomatique. Par conséquent, rouvrez votre ambassade à Damas que vous avez si malencontreusement fermée il y a trois ans. Tous vos petits camarades européens l'ont déjà fait. Serez-vous les derniers ?" La seule réponse qu'on peut leur faire est que notre ministre des Affaires étrangères n'a pas encore trouvé de chapeau assez digeste pour être mangé... »

D'autant que l’urgence de la situation syrienne ainsi que le danger inédit représenté par le retour ou le départ des candidats au djihad qui oblige à la surveillance de dizaines voire centaines de personnes fait naître des contraintes nouvelles et certains membres des services ne font plus mystère de la difficulté de la tâche, notamment en matière d'effectifs. Faute de mieux, reste encore la méthode américaine qui consiste en la mise en place de contacts discrets entre membres de la CIA et membres des services de sécurité syriens, dont se fécilite selon le Canard enchaîné, Ali Mamlouk, grand responsable des services de renseignement syriens, l’un des plus proches conseillers d’Assad. 

« Il va bien falloir faire comme les Américains et aller discrètement à Canossa se mettre d'accord a minima avec les responsables militaires syriens si nous ne voulons pas que l'offensive contre l'Etat Islamique tourne à la farce avec des djihadistes qui nous font des bras d'honneur à peine la frontière avec l'Irak passée » conclut Alain Chouet.


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