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Simulacres de démocratie : la consultation des Européens sur le Traité Transatlantique

Auteur : Bernard Cassen | Editeur : Walt | Mardi, 07 Oct. 2014 - 21h08

Dotée de considérables budgets de communication - qui, eux, ne sont pas amputés par des mesures d'austérité - la Commission européenne part du principe que si un débat public est organisé au niveau européen sur un sujet donné, il ne saurait avoir d'autre conclusion que la validation de ses propres positions.

S'il y a le moindre risque, pas de débat. On en a eu un exemple significatif avec la gestion des critiques des adversaires du projet de traité visant à instituer un Grand marché transatlantique (GMT ou TAFTA ou TTIP ou PTCI ) entre l'Union européenne (UE) et les États-Unis.

Le PTCI s'annonce comme le plus sensible des problèmes qu'aura à traiter la nouvelle Commission européenne dès sa prise de fonctions le 1er novembre. Vu l'ampleur des oppositions qu'il soulève, il rappelle le Traité constitutionnel européen (TCE) rejeté par les électeurs français et néerlandais en 2005, ce qui aurait dû l'enterrer définitivement. Mais, par une démarche s'apparentant à une véritable forfaiture, son contenu avait été repris pratiquement à l'identique dans le traité de Lisbonne de 2007. C'est pour tenter d'éviter la répétition de ce scénario que le collège bruxellois a décidé d'engager une action de relations publiques de grande ampleur, sans envisager une seconde qu'elle pouvait avoir un effet boomerang. Il l'a fait dans le cadre des dispositions du traité de Lisbonne qui, sur un thème qu'elle choisit, autorisent la Commission à procéder à « de larges consultations des parties concernées ».

C'est ainsi que le commissaire européen au commerce, le Belge Karel De Gucht (qui sera remplacé en novembre prochain par la Suédoise Cecilia Malmström) avait annoncé le 21 janvier 2014 l'organisation d'une consultation publique sur la clause la plus controversée du projet de traité sur le GMT : la mise en place de tribunaux d'arbitrage privés pour régler les différends entre Etats et investisseurs, c'est-à-dire une justice sur mesure pour les multinationales. Près de 150 000 réponses ont été reçues à la date de clôture de la consultation (le 13 juillet), dont plus de 99 % émanant de citoyens à titre individuel. Environ 800 contributions provenaient d'organisations : ONG, syndicats, entreprises, cabinets d'avocats, etc.

A première vue, le commissaire aurait de bonnes raisons de se féliciter du succès de son initiative. Mais la vérité est qu'il est très embarrassé car il pressent que l'immense majorité des réponses individuelles sont hostiles au dispositif d'arbitrage envisagé. Il lui faut maintenant trouver un habillage pour neutraliser ce résultat prévisible lorsqu'il sera rendu public en novembre prochain. L'une des méthodes envisagées serait, en cas de réponses identiques, par exemple élaborées par une ONG et reprises telles quelles par un citoyen, de ne les comptabiliser que comme une seule et unique réponse. De cette manière, 149 000 réponses pourraient se réduire à quelques dizaines ou centaines...

Pour ne pas avoir à assumer le coût politique élevé de telles acrobaties en cas de lancement d'une Initiative citoyenne européenne (ICE) - dispositif également prévu par le traité de Lisbonne et présenté comme le summum de la démocratie participative - , la Commission a fait savoir par avance, le 11 septembre dernier, que la remise en cause du PTCI n'était pas éligible à une telle procédure. Peu importe qu'elle soit demandée par 230 mouvements et organisations de 21 pays membres de l'UE. On n'est jamais trop prudent : la question ne sera pas posée. Du moins pas sous la forme d'une ICE « officielle » car les promoteurs du projet s'interrogent sur la faisabilité d'une ICE « citoyenne » qui se donnerait comme premier objectif de rassembler un million de signatures à l'échelle de l'UE.

Dans son bunker, et avec l'aval des gouvernements, la Commission s'abrite derrière des arguties juridiques pour tenter de dissimuler son aversion à l'intervention des citoyens dans ce qu'elle considère comme son pré carré, quand bien même cette intervention se ferait dans le cadre strictement verrouillé du traité de Lisbonne. On peut à cet égard relever un certain parallélisme entre le refus du simulacre de démocratie qui caractérise le fonctionnement de l'UE et, en France, la remise en cause, qui se généralise, du fonctionnement de la Vème République. Sans parler des aspirations du même type portées notamment par Podemos en Espagne.

Sans aucun doute, les situations, les revendications et les protagonistes sont différents d'un pays à l'autre, comme l'est leur vision de l'articulation entre les États et l'UE. Il faudra donc du temps pour faire converger les résultats des débats nationaux sur le sujet, lorsqu'ils ont lieu - ce qui est loin d'être le cas partout.

Pour ce qui est de la France, aucun projet de VIème République, c'est-à-dire d'une nouvelle géographie des pouvoirs et de leur contrôle démocratique, ne pourra faire l'économie d'une redéfinition de la relation avec l'Europe et avec le reste du monde. En particulier, devra être mise sur la table la question du libre-échange. Non pas seulement pour le dénoncer comme attentatoire à la souveraineté populaire, ce qui constitue un premier pas indispensable, mais pour lui substituer un autre type de relations entre États. Il faudra bien alors prononcer des mots comme protection ou protectionnisme. Ce ne sera pas le moment le plus consensuel...


- Source : Bernard Cassen

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