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« Réforme des retraites »: Macron entre incompétence et illusionnisme

Auteur : Edouard Husson | Editeur : Walt | Mercredi, 14 Déc. 2022 - 17h44

Emmanuel Macron n' pas le choix: pour répondre à l'inquiétude des parties prenantes à la dette française, il doit faire une "réforme des retraites" ou du moins donner l'impression qu'il en fait une. Mais, dans le contexte des pénuries d'énergie et de l'inflation, traiter le sujet revient à se promener avec une torche dans un espace saturé d'explosif. Le président a-t-il atteint les limites de ses capacités d'illusionniste?

Un jour – dont on espère qu’il est proche – le macronisme appartiendra à l’histoire. Et rien ne le résumera mieux que la “réforme des retraites”, ce serpent de mer du macronisme. 

Un ajournement annoncé de manière alambiquée

C’est Emmanuel Macron lui-même qui a fait savoir, de manière alambiquée, qu’il y avait un ajournement de la présentation du nouveau projet du gouvernement. Elle devait avoir lieu le 15 décembre. Mais “…pour être parfaitement explicite et transparent avec vous – nous en avons reparlé hier avec madame la première ministre et le ministre du Travail -, (…) il nous est apparu pertinent de décaler de quelques jours – ou quelques petites semaines – l’annonce de la finalisation de la proposition du gouvernement” a déclaré le Président selon la méthode bien connue du sandwich, qui consiste à glisser une annonce importante entre d’autres considérations. 

Le Figaro se désespère et on le comprend. Avoir trahi le conservatisme et un authentique libéralisme, s’être rallié à Macron en entretenant le mythe du “président réformateur”, pour se retrouver devant un fiasco! Guillaume Tabard est en colère: “L’exécutif préfère laisser passer les fêtes. Mais il n’est pas interdit de se demander si un report ne conduira pas davantage à amplifier la contestation qu’à la dissuader. On voit mal en effet pourquoi, rejetée en décembre, la retraite à 65 ans serait mieux acceptée en janvier. D’autant qu’il y a peu de chances que la conjoncture soit meilleure. Le premier à l’avoir dit était d’ailleurs Emmanuel Macron lui-même, tenté en septembre par la solution express d’un amendement au budget de la Sécurité sociale. Au motif, précisément, qu’il n’y aurait jamais de moment idéal. Sous la pression de François Bayrou et d’autres de ses amis, il avait consenti alors à attendre deux mois. Jusqu’en décembre. Décembre est arrivé, et il reporte encore d’un mois la présentation. Que dira-t-il en janvier? S’il n’annonce pas toujours un recul, un report n’est jamais un bon signe”.

Une impression de déjà vu

Et pourtant, tout ceci ne donne-t-il pas une impression dé déjà vu? Oublions un instant la face la plus sombre du premier mandat d’Emmanuel Macron – l’affaire Benalla, le matraquage des Gilets Jaunes, le grand enfermisme de la période COVID, le pass sanitaire; il existe un énorme fiasco, déjà, la première tentative de “réforme des retraites”. Elle aurait dû suffire, de la part du patronat et d’un certain establishment qui s’est longtemps reconnu ou se reconnaît encore dans LR, pour dire: arrêtons les frais. Changeons Macron. Nous attendions Maria Callas et nous avons eu Florence Foster Jenkins! 

Comment a-t-on pu oublier? Comment a-t-on pu passer l’éponge? Vous ne vous souvenez pas de la mascarade? On allait voir ce qu’on allait voir! On allait faire une réforme “systémique” là où les gouvernements précédents s’étaient contenter de réformer l’existant. Une retraite à points se substituerait à l’existant. On verrait remplacer les 42 systèmes existants….Pourtant, il apparut vite que la Commission Delevoye n’avait pas pratiqué une concertation sérieuse avec les partenaires sociaux; le gouvernement Philippe donnait une impression de totale impréparation. On a rarement vu dans l’histoire de la Vè République un Conseil d’Etat aussi critique sur un projet de loi qu’on lui soumettait. Les syndicats sentirent tout de suite l’amateurisme de leurs interlocuteurs gouvernementaux et poussèrent leur avantage. Les manifestations montrèrent une opposition revigorée. Et personne ne contestera que les confinements contre le COVID furent particulièrement bienvenus pour le gouvernement. 

Ce n’est pas être polémique que de dire qu’on n’avait jamais vu un tel échec dans l’histoire de la Vè République. Si les milieux dirigeants du pays avaient encore une quelconque consistance, ils auraient dû d’urgence chercher un remplaçant à Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle de 2022.  (même s’il s’était agi pour eux de rester dans le “cercle de la raison”, selon l’expression favorite d’Alain Minc). 

Le dilemme d’Emmanuel Macron

Deux ans plus tard, on a une curieuse impression de déjà vu: une présentation du projet de loi prévue pour la mi-décembre; un “mouvement social” qui pratique les grèves perlées – en attendant plus? Certes le gouvernement roule moins des mécaniques; certes on ne prétend plus faire bien mieux que Raffarin, Sarkozy ou Hollande. Mais la peur d’un nouveau fiasco est suffisamment présente pour qu’Emmanuel Macron temporise. 

Le chef de l’Etat a beau être singulièrement indifférent au sort des Français, il a des antennes suffisamment développées pour savoir quand la situation pourrait devenir critique. Un hiver menacé par les coupures d’électricité et l’inflation, c’est explosif. Alors si, en plus, vous mettez une allumette….

Certains se demandent pourquoi Emmanuel Macron a pris le risque de s’embourber à nouveau. C’est oublier que la “réforme des retraites” est un marqueur aux yeux des agences de notation, des institutions internationales, de l’Union Européenne et de tous ceux qui font la réputation internationale de la France. Si Chirac, Sarkozy et Hollande ont chacun eu leur réforme des retraites, c’est pour que la France se donne suffisamment l’air de réformer pour pouvoir continuer à s’endetter. Récemment, le FMI a épinglé le déficit français et rappelé, de son point de vue, la nécessité d’une réforme des retraites

Jamais la dette du pays n’a été aussi élevée. Donc, si l’on peut dire, jamais un gouvernement français n’a eu autant besoin de faire de la com sur une réforme des retraites. Dans la perspective qui était celle d’un Chirac ou d’un Sarkozy, une certaine opposition de la rue à cette réforme était bonne puisqu’elle démontrait la volonté de réformer du président en place. Même François Hollande s’est plié à un exercice – dont il s’est bien mieux sorti qu’Emmanuel Macron. 

Pour ce dernier, la difficulté vient de ce qu’il a besoin, absolument, du “marqueur” – d’où l’engagement pris durant sa campagne électorale de relancer le sujet. Pourtant, jamais le sujet n’a été plus explosif, au moment où un autre fiasco gouvernemental devient visible: le démantèlement partiel de notre industrie nucléaire nous rend éminemment vulnérables en pleine épreuve de force avec la Russie; la France ne produit plus assez d’électricité de manière autonome. 

On connaît les talents tactiques d’Emmanuel Macron. Nul doute qu’il compte sur son instinct manœuvrier pour s’en sortir une fois de plus au premier trimestre 2023. Mais, sans majorité absolue à l’Assemblée et dans le contexte de la guerre d’Ukraine,  cela suffira-t-il? 


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