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Agro-écologie : la longue bataille d'un paysan sans terre

Auteur : Mickaël Hardy via Basta mag | Editeur : Stanislas | Vendredi, 12 Juill. 2013 - 18h05

Cela fait plus d’un an que Mikaël Hardy, paysan sans terre, travaille sur un projet d’installation agricole, en agro-écologie, à quelques kilomètres de Rennes. Il aimerait faire cohabiter élevage et cultures, et organiser de la vente directe. Mais les 13 hectares sur lesquels il souhaite s’installer ont été cédés à un voisin qui veut agrandir son exploitation. Mikaël Hardy met en cause l’indépendance de la puissante Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), officiellement chargée de veiller à la juste répartition des terres... Récit d’une bataille administrative pour l’installation d’un jeune agriculteur.

Voici plus d’un an que je travaille sur un projet d’installation agricole en agro-écologie. La ferme de l’Ori sur laquelle je prévois de m’installer se trouve à Javené, une petite commune située à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Rennes. Sur 13 hectares et un petit corps de ferme traditionnel, je souhaite réaliser un projet agricole diversifié, autour de la transformation laitière (fromage, beurre, veaux de lait). L’élevage de porcs, le maraîchage, la production de miel et la transformation de fruits pourraient aussi être développés. L’agriculture biologique et la vente dans des circuits courts seront les moteurs de cette installation. Et mes choix de vie m’amènent à m’intéresser à l’agro-écologie. Ce terme est arrivé en France avec le paysan Pierre Rabhi. On parle aussi de permaculture. Plus qu’une technique, mieux qu’un cahier des charges, l’agro-écologie est un concept que chacun peut s’approprier en suivant une idée moteur autour de valeurs humanistes.

Pour moi, une ferme, c’est un écosystème. Il y a des hommes et des femmes, des animaux, des cultures et des productions. Le tout évolue en interaction. La ferme est un outil pour nourrir ses voisins. L’homme et/ou la femme oriente(nt) une production de cultures qui vont nourrir des animaux, qui vont à leur tour nourrir la terre et les hommes. Les abeilles participent à la valorisation des cultures et y trouvent un oasis. Car en agro-écologie, on n’utilise ni pesticides, ni engrais de synthèse.

Bataille administrative

Accompagné de plusieurs associations (Terre de Liens Bretagne, Civam, Agrobio35, Ingalan, Minga, Confédération paysanne, Accueil paysan, Collectif Copain 35, la Passiflore, Eaux et Rivière de Bretagne, Bretagne Vivante...) et de quelques élus, j’ai mené un combat, en suivant le cadre réglementaire et dans un débat constructif. Malheureusement, le résultat ne va pas dans le sens de mon projet.

La ferme de l’Ori, ce sont deux propriétaires et une exploitante proche de la retraite. Un propriétaire détient dix hectares et les vend à la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural [1] (Safer). Un propriétaire qui détient trois hectares et le corps de ferme, qui souhaite que je m’y installe comme paysan et qui fait la proposition de vente à la Safer en confiance et dans l’intérêt de la réussite de mon installation. Une exploitante qui arrive à la retraite en 2016 et qui me donne la possibilité d’une installation progressive.

La foncière Terre de Liens a validé mon projet et est prête à acheter l’ensemble des 13 hectares et du corps de ferme. Cela me permettrait un endettement très minime (achat uniquement des animaux et du matériel) et je serais locataire de cette exploitation (lire notre article sur Terre de Liens). Ce qui va dans le sens de mes valeurs philosophiques car je ne souhaite pas être nécessairement « propriétaire » dans la vie.

La Safer approuve le projet...

Pendant l’été 2012, la Safer se porte acquéreur du corps de ferme et des 13 hectares. C’est le résultat d’un travail en équipe, avec le technicien Safer et le conseil général 35 (dispositif portage foncier), moi-même et Terre de Liens. Sauf que huit autres exploitations (avec un objectif d’agrandissement) candidatent également pour l’achat de ce lot. Le technicien Safer me dit prioritaire alors je reste confiant. En effet, je suis le seul des huit candidats à proposer :

 une installation Jeune agriculteur ;
 un projet préservant un corps de ferme et des terres ;
 un projet en agriculture biologique (sur ce bassin versant du Couesnon) ;
 un projet à caractère social et de dynamique de territoire avec la vente en circuits courts.

... avant de le rejeter

Mais, à l’automne, le comité technique de la Safer ne donne pas d’avis favorable à ma candidature. C’est une surprise pour l’administration (Direction départementale des territoires et de la mer, Organisation départementale d’aménagement des structures d’exploitation agricoles, Conseil général d’Ille-et-Vilaine). Et cette proposition, qui doit être validée par le conseil d’administration de la Safer ne m’est pas expliquée (en off, on me parle d’une décision contre un projet « bio » car la majorité des représentants de ce comité technique sont affiliés à la FNSEA).

Cette décision donne lieu à un premier courrier de soutien et à un argumentaire de l’ensemble des associations soutenant ma candidature et mon projet. Pas de réponse. Fort heureusement, le conseil d’administration de la Safer ne valide pas cette proposition et m’attribue les terres et le corps de ferme lors de sa séance d’automne.

Au mois de novembre, surprise : je suis convoqué, seul par le président, le vice-président et le directeur de la Safer Bretagne. On me demande de ré-expliquer le sens de mon projet. On me parle de pressions syndicales et on m’annonce que la décision du CA de la Safer sera rediscutée en décembre.

L’administration, le conseil général et le conseil régional, les associations partenaires à mon projet : tous sont surpris, c’est la première fois qu’une décision du CA de la Safer est rediscutée. En décembre, sans grande surprise, on m’annonce que ma candidature ne sera pas retenue et que les terres iront à l’agrandissement d’une ferme existante. Nous interpellons le directeur régional de la Draaf (Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt), qui est commissaire du gouvernement au Conseil d’administration de la Safer, dès début 2013.

350 citoyens se réunissent sur la ferme

Lui aussi semble fâché de cette décision. Nous le sollicitons pour qu’il utilise son droit de veto et pour annuler l’attribution. Il ne le fera pas. Nous le sollicitons une deuxième fois et il nous explique que son veto n’induira pas forcément un choix de la Safer en ma faveur : il peut annuler le vote mais la Safer a tout loisir de revoter contre mon dossier. De plus, il nous annonce qu’il veut sortir la tête haute de ce dossier car il a largement pris position en ma faveur. Un courrier est de nouveau adressé à la Safer par les associations me soutenant. Pas de réponse.

Le 17 avril, un rassemblement spontané réunit plus de 350 personnes sur la ferme de l’Ori, pour soutenir mon projet. La présence de voisins et d’élus locaux est alors très réconfortante. J’adresse un courrier à M. Le Foll, ministre de l’Agriculture, ainsi qu’à la Safer, pour solliciter une rencontre. Pas de réponse. Une troisième rencontre est organisée avec le directeur régional de la Draaf et avec le conseil général 35. Nous mettons le doigt sur des fautes commises par la Safer sur ce dossier. Des fautes graves et des mensonges à l’administration. La Draaf valide nos remarques et nous propose de convoquer la Safer pour qu’elle s’explique sur ce dossier.

Il n’y aura pas de rencontre avec la Safer. Et je reçois, début juillet, le courrier du directeur de la Safer m’informant officiellement de l’attribution de 10 hectares pour un projet d’agrandissement. Je suis aussi certain que les réels motifs de cette attribution sont politiques et dus à un manque de neutralité de la SAFER Bretagne. Je me pose la question d’une influence syndicale et lobbyiste qui ne souhaitent pas laisser percer les projets en agro-écologie. Nous n’avons eu aucune réponse (ni moi, ni les associations) aux différents courriers adressés à la Safer. Aucune possibilité de les joindre. Un silence pesant.

Aujourd’hui, je reste dans l’attente, sans domicile fixe et avec deux enfants que je ne peux recevoir en un lieu pour construire avec eux mes projets.

Mikaël Hardy, paysan sans terre, candidat à la ferme de l’Ori


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