Palestine : la diplomatie française est-elle sous l’influence du lobby sioniste ?
Des diplomates à la retraite, des politiciens et des analystes dénoncent un alignement disproportionné de la France sur les positions israéliennes, souvent au détriment d’une politique étrangère équilibrée.
Dans les arcanes obscurs de la diplomatie française, la question palestinienne cristallise des positions de plus en plus irréconciliables. Entre les pressions du lobby israélien, incarné notamment par le CRIF, et les tenants d’une position d’équilibre au Proche-Orient, le président Macron semble avoir choisi son camp. En témoigne son refus récent de reconnaître l’État palestinien arguant avec nonchalance que «ce n’était pas raisonnable de le faire maintenant». Dans une tribune publiée en novembre dernier dans le journal Le Monde, plusieurs ambassadeurs français à la retraite ont, de leur côté, exprimé leur mécontentement face à la politique pro-israélienne privilégiée par l’ancien cadre de la banque Rothschild, lui reprochant de céder, de manière à peine voilée, aux pressions du lobby sioniste. Les anciens diplomates ont ainsi critiqué la position officielle de la France qu’ils estiment trop alignée sur celle des États-Unis et d’Israël. Et, fait notable, ils ont explicitement regretté que cette tendance soit en partie due à des pressions «extérieures» capables de peser sur des décisions politiques majeures. Selon eux, cette situation aurait pour conséquence de s’écarter de la tradition diplomatique française d’équilibre au Moyen-Orient, communément qualifiée de «politique arabe» et qui a été initiée par le général de Gaulle dans les années soixante. Mais au-delà des griefs adressés au locataire de l’Élysée, cette tribune a également eu le mérite de poser implicitement la question de l’existence d’un lobby israélien puissant en France.
«Un lobby qui dirige clandestinement la politique étrangère de la France»
Dans ses nombreux articles évoquant l’importance du lobby pro-israélien français sur le site Orient XXI, le journaliste Jean Stern apporte des éclairages sur les mécanismes d’influence sionistes. Il y décrit des techniques de lobbying sophistiquées, allant de la pression directe sur les responsables politiques à des campagnes médiatiques orchestrées pour modeler l’opinion publique. Stern explique que cette influence n’est pas toujours visible, mais elle est particulièrement efficace en coulisses, où les décisions cruciales sont prises. Il souligne ainsi que ce lobbying intense peut parfois entraver les relations diplomatiques, notamment entre la France et les pays arabes.
Contacté par TRT Français, l’essayiste et chercheur en relations internationales, Bruno Guigue estime, lui aussi, que ce lobby existe bel et bien. «On nous dit qu’il n’existe pas parce que si on admettait son existence, il faudrait reconnaître que la politique étrangère de la France est soumise à son influence. Et donc il faudrait admettre qu’il y a une sorte d’État dans l’État qui, clandestinement ou de manière souterraine, dirige la politique étrangère de la France. Or, cela correspond en grande partie à la réalité. Oui, il y a un lobby pro-israélien en France».
L’auteur de «Aux origines du conflit israélo-arabe : l’invisible remords de l’Occident» estime par ailleurs que la pierre angulaire de ce groupe de pression est incarnée par le Conseil représentatif des Institutions juives de France (CRIF). «Il y a un lobby pro-israélien dont la représentation officielle est incarnée par le CRIF. C’est une fraction de la communauté juive organisée qui prétend parler au nom des juifs de France, qui est totalement alignée sur les exigences de Tel-Aviv. Ce lobby est très influent dans les milieux politiques, médiatiques, académiques, économiques et autres… Et il exerce effectivement une pression sur la classe politique. Pour moi, c’est une évidence».
Le spectre de l’antisémitisme
Concernant les accusations d’antisémitisme que subissent les personnalités qui évoquent l’existence de ce groupe de pression, le chercheur estime que c’est une stratégie délibérée des organisations sionistes visant à installer un climat de terreur. «Il y a l’accusation d’antisémitisme qui plane sur la tête de ceux qui oseraient identifier le lobby. Cette accusation étant une sorte d’arme d’intimidation massive utilisée à tort et à travers par les thuriféraires de l’occupant israélien pour intimider et discréditer tous ceux qui s’opposent à sa politique, y compris d’ailleurs des juifs sionistes ou antisionistes, parce qu’il y a aussi des juifs sionistes qui critiquent la politique de Netanyahou et qui souhaiteraient qu’on aboutisse à un compromis. Mais il n’est pas permis d’élever la moindre critique contre la politique israélienne, où que l’on se situe, parce que c’est de l’ordre du sacré, de l’intouchable, et dès que vous critiquez cette politique, j’en ai moi-même fait les frais sur le plan professionnel il y a quinze ans, on est immédiatement taxé des pires abominations».
Contacté lui aussi par TRT Français, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), exprime également ses préoccupations concernant les pressions israéliennes sur la diplomatie française. Il assure que l’existence d’un lobby pro-israélien influent en France est réelle. «Critiquer la politique israélienne expose souvent à des accusations d’antisémitisme, ce qui dissuade de nombreux responsables politiques de s’exprimer librement», regrette-il. Pascal Boniface assure que cette pression est telle «qu’il est souvent moins risqué de critiquer les autorités nationales françaises que celles du gouvernement israélien». Il ajoute que plusieurs personnalités politiques et médiatiques évitent de se prononcer contre la politique israélienne de peur de «représailles personnelles ou professionnelles».
Le CRIF et L’UEJF ou l’avant-garde d’Israël en France
?Le lobby sioniste en France serait donc composé de diverses associations et personnalités influentes, qui n’hésitent pas à user de leur pouvoir pour orienter la politique française en faveur d’Israël. En premier lieu le CRIF, régulièrement accusé de peser sur les décisions politiques et médiatiques concernant l’État Hébreu, mais également l’Union des Étudiants juifs de France (UEJF) qui jouerait un rôle déterminant notamment auprès de la jeunesse étudiante.
Un ancien ministre français avait en effet confirmé, sous couvert d’anonymat, l’existence de ces pressions, évoquant des rencontres et des échanges où il lui était fortement suggéré d’adopter des positions favorables à Israël. «Il y a une véritable machine de lobbying qui s’active dès que des décisions ou des déclarations critiques envers Israël sont envisagées», avait-t-il affirmé.
Des déclarations qui font nécessairement écho au tournant diplomatique pro-israélien de la France entamé sous la présidence de Nicolas Sarkozy et poursuivi et renforcé, aujourd’hui, par Emmanuel Macron.
Photo d'illustration: Emmanuel Macron et Benjamin Netayahou / Photo: Reuters (Reuters)
- Source : TRT Français