Prochainement jugé pour « apologie du terrorisme », François Burgat paie ses prises de position sur la guerre à Gaza

« Je souhaite seulement, dans le temple de la liberté d’expression, cette “France de Charlie” où l’on peut tout dire, ne pas être criminalisé pour avoir simplement soumis au débat public un point de vue divergent », souligne le politologue.
Le politologue François Burgat comparaîtra le 24 avril courant devant le tribunal judiciaire d’Aix-En-Provence où il devra répondre d’accusations « d’apologie du terrorisme » pour lesquelles il a déjà fait l’objet, le 9 juillet dernier, d’un placement en garde à vue.
Mais alors que les procédures judiciaires dirigées contre de nombreuses voix pro-palestiniennes, se multiplient, les poursuites qui visent aujourd’hui cet universitaire de renom, ancien directeur de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), posent de nombreuses questions en matière de respect des libertés individuelles.
Si François Burgat assume totalement chacun de ses propos et s’en est expliqué devant les enquêteurs, sa condamnation, mise en perspective avec son statut d’intellectuel et d’auteur, pourrait prendre l’allure d’une procédure-bâillon.
Dans un entretien à Anadolu, il a accepté de revenir sur les déclarations pour lesquelles il se trouve, depuis plusieurs mois, dans le viseur de l’autorité judiciaire.
« Mon accusation est initialement fondée sur un premier et principal volet, celui de mes prises de position sur le conflit de Gaza », explique le politologue qui souhaite aujourd’hui « dans le temple de la liberté d’expression, cette “France de Charlie” où l’on peut tout dire, ne pas être criminalisé pour avoir simplement soumis au débat public un point de vue divergent ».
François Burgat insiste sur le fait qu’il n’entend « pas imposer l’un ou l’autre de (ses) points de vue » et affirme avoir simplement fait état de « convictions ».
« Deux mois après le 07 octobre 2023, sentant que le soutien des parlementaires américains à la destruction de Gaza commençait à faiblir, les stratèges israéliens, après s’être dûment informés par sondages sur la sensibilité des opinions publiques occidentales, ont porté, créé de toutes pièces, contre les combattants du Hamas du 7 octobre, des accusations de violences sexuelles multiples. Dans ce contexte, j’ai cru devoir diffuser le démenti du Hamas (dont je ne suis, bien évidemment, pas le rédacteur, comme semble le considérer le Ministère public) à un article particulièrement caricatural du New York Times. La suite a démontré que j’avais entièrement raison puisque, de sources israéliennes, ni ces accusations de viols, ni les aveux extorqués sous la torture, n’ont jamais pu être crédibilisés », explique-t-il en détail.
Et de poursuivre : « Dans ce contexte également, j’ai fait part d’une conviction qui chaque jour est un peu plus la mienne et que je ne regrette donc en rien, à savoir que j’avais et j’ai toujours “infiniment plus de respect pour les dirigeants du Hamas que pour leurs homologues israéliens”. C’est à ce titre que j’ai été placé en garde à vue le 9 juillet 2024 pendant sept heures, sur plainte de l’OJE (Organisation Juive Européenne), qui semble s’être spécialisée dans l’activité de faire poursuivre en justice, sous prétexte d’”antisémitisme”, toutes les voix critiques de l’Etat d’Israël ».
Alors qu’il attendait de connaître les suites judiciaires qui seraient données à ces deux positionnements en lien avec la guerre à Gaza, François Burgat a reçu, le 13 mars dernier, sa convocation devant le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, contenant deux nouveaux éléments ajoutés à la procédure, pour des faits intervenus après son placement en garde à vue.
« Le premier est un "long panégyrique du Hamas" que je suis accusé d’avoir diffusé sur les réseaux sociaux. Il s’est avéré que ce "panégyrique" n’est rien d’autre qu’un extrait de l’un de mes ouvrages, “Comprendre l’Islam politique” (La Découverte, 2016; Dar al Saqi, 2018). J’y décris notamment l’embuscade tendue au Hamas lors de sa victoire électorale de 2006 (par Israël bien sûr, mais également par ses deux alliés l’UE et l’Autorité palestinienne) et les raisons qui ont conduit nombre de Palestiniens à placer leurs espoirs non plus dans le Fatah qui avait renoncé à la lutte armée mais dans son rival le Hamas qui s’y tenait », relate l’ancien directeur de recherche du CNRS.
Et de préciser: « Le second volet de ma nouvelle inculpation, pour des faits intervenus cette fois après le 9 juillet, peut se résumer rapidement. Sollicité pour faire partie du comité de défense d’Abdelhakim Sefrioui dont je savais, sans le connaître personnellement, qu’il était inculpé dans l’affaire Samuel Paty, j’en suis arrivé très vite à me laisser convaincre par la justesse de la thèse de ses défenseurs, maître Vincent Brengarth et maître Ouadie El Hamamouchi. Et j’ai donc dit, comme d’autres que moi (j’étais loin d’être l’initiateur de cette mobilisation), pourquoi je pensais qu’une telle jurisprudence de la Cour d’Assises spéciale, rendue dans une atmosphère d’islamophobie avérée, mettait en péril l’Etat de droit. J’ai formulé ma position dans un tweet titré “Nous sommes tous des terroristes” et je l’ai explicitée et documentée dans plusieurs autres. Elle se résume facilement. Si Abdelhakim Sefrioui - qui a critiqué Paty - est rendu responsable de son meurtre par quelqu’un dont il n’a jamais moindrement croisé la route, nous tous qui avons condamné l’action de gens dont le destin s’est terminé tragiquement, pouvons être condamnés comme autant d’assassins ».
C’est donc serein, que François Burgat s’apprête à comparaître devant la justice, assisté de son avocat, maître Rafik Chekkat, pour ces quatre accusations qui lui font aujourd’hui craindre une condamnation pour « apologie du terrorisme ».
Face à la multiplication de ce type de procédures, qui ciblent les voix pro-palestiniennes les plus visibles, un comité de soutien, a été créé ces derniers jours, pour soutenir François Burgat, comme d’autres ont été soutenus avant lui, alors qu’ils faisaient face à un véritable rouleau-compresseur tant médiatique que politique.
Dans un communiqué de presse qu’Anadolu a pu consulter ce mardi, ses soutiens estiment que le procès qui est fait au politologue « soulève des questions graves sur l’état de la liberté académique et de débattre en France ».
« Peut-on encore penser librement, interroger les politiques internationales, parler pour la Palestine, contre un génocide… sans être menacé de sanctions judiciaires? Alors que le président Emmanuel Macron se targue d’accueillir en France des universitaires américains inquiétés sous l’administration Trump, quel spectacle donnons-nous au monde en poursuivant l’un des nôtres pour ses travaux et prises de position? Veut-on d’une France qui protège ses penseurs, ou qui les intimide ? Veut-on être le pays du débat, ou celui de la répression intellectuelle ? », s’interrogent les rédacteurs du communiqué.
Pour le soutenir, un appel a été lancé et relayé notamment sur les réseaux sociaux, afin qu’un maximum de personnes puisse venir assister à son procès alors qu’il encourt une peine pouvant aller jusqu’à 5 années de prison et 75 000 euros d’amende.
- Source : Agence Anadolu (Turquie)