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Mercredi, 25 Déc. 2024

Depuis quand notre liberté d’expression se réduit-elle au blasphème ?

Auteur : Karine Béchet-Golovko | Editeur : Walt | Lundi, 09 Nov. 2020 - 08h21

Pour Karine Béchet-Golovko, les dirigeants français feraient mieux de se pencher sur les problèmes socio-économiques du pays, plutôt que de se lancer dans une «croisade de l’anticléricalisme sous l’étendard d’une caricature de Mahomet».

Charlie Hebdo est tristement revenu sur le devant de la scène médiatico-politique avec une nouvelle fournée de caricatures contre le prophète. Dans une France tiraillée entre la tolérance, l’anticléricalisme néobolchévique, l’immigration de masse et le recul de l’Etat, tout était prêt pour l’explosion ; il ne manquait que l’étincelle et le spectacle a été offert. Un triste spectacle dans lequel le besoin de légitimité politique des dirigeants met le contrat social en échec, ouvrant la voie à tous les excès. Et tous ont été réalisés. Dans le sang des innocents, comme à chaque fois que des fanatismes se rencontrent, comme à Vienne après Nice.

Les attentats de Nice n’ont fondamentalement rien à voir ni avec ces caricatures, ni avec les déclarations de Macron confondant liberté d’expression et droit au blasphème, réduisant la culture française à la plus basse expression de la vulgarité, niant les traits du génie de la révolte de Voltaire, de Camus, de Baudelaire ou la critique sociale de Zola. Non, de cela il ne reste rien, rien qu’un droit primaire et absolu au blasphème. Tout le monde n’est pas Diderot pour porter avec élégance l’anticléricalisme, dans lequel toute la culture française de la liberté de pensée doit être noyée, comme si la pensée devait disparaître avec elle, et accoucher d’un bâtard barbouillé, distribué dans les bureaux de presse, célébré comme nouvel héros des temps post-modernes.

Les attentats de Nice n’ont rien à avoir avec le droit au blasphème, ils sont le résultat d’un fanatisme globaliste, niant l’importance des frontières garanties par des Etats, au nom d’une religion de la liberté absolue. Comme si la liberté de tous pouvait être absolue sans que certains n’en paient le prix pour d’autres. Cette liberté absolue de l’individu déifié. Cet individu qui n’est finalement personne, mais dont la construction mythique sert des buts politiques très précis. Car tout à coup, un président qui soutient la dissolution de la culture française dans les mécanismes de globalisation se prend pour un hologramme flottant de De Gaulle et plane au-dessus de la République. Pas de la France, mais de son abstraction, la République. L’unité nationale est appelée pour défendre les caricatures, le bon peuple est sommé de manger République, de respirer République, de vivre République. Tout doit être oublié, car la République est en danger : achetez Charlie Hebdo et collez les caricatures sur les murs de la République. Cette République fourre-tout qui peut en un instant devenir «une et plurielle» quand besoin est.

La République est aussi présente que la France est absente. Pourtant, c’est la France qui est visée par le monde musulman face à la rhétorique macronienne, réduisant la culture française à des caricatures anti-religieuses. Comme si les croyants n’avaient plus de place dans ce monde, comme si la liberté d’expression couvrait tout. En Russie, par exemple, une loi a été adoptée pour protéger le sentiment religieux, car la religion fait partie de la société et des Russes. Mais ce qui s’est passé en France est impensable en Russie, en raison de son histoire. Le pays est fondamentalement multiconfessionnel, il s’est construit autour du respect de la croyance de chacun et des trois religions principales, les religions orthodoxe et musulmane et le bouddhisme. Ces trois croyances vivent dans le cadre des lois étatiques, y sont soumises. Et l’on n’est pas face à une majorité de jeunes musulmans, comme en France, qui pensent que la charia est plus importante que le droit français. Cette stabilité sociale a été obtenue, car la politique de la Russie n’est pas anticléricale, qu’elle a réussi à la dépasser après le bolchevisme des premières années de la Révolution d’octobre et ses résurgences sous Khrouchtchev. Et que ces peuples se sentent appartenir à un seul pays, à leur pays.

Ce qui s’est passé en France est impensable en Russie, surtout parce qu’un chef d’Etat doit défendre une politique nationale conforme à l’intérêt national, que cela aille de la maîtrise de l’immigration au respect de l’Histoire et des traditions nationales, en passant par le respect mutuel. Cela, aucune loi ne peut le garantir, c’est la culture du pays qui peut seul prévenir l’explosion des sociétés. La culture politique notamment. Car mettre soudainement en avant la liberté d’expression, alors que ce même gouvernement français ne cesse d’enchaîner les lois liberticides – retoquées en partie par le Conseil constitutionnel – visant à formater le discours public, tant dans les médias que sur les réseaux sociaux, prête légèrement à sourire. Que n’a-t-on vu une telle envolée lyrique présidentielle et des responsables politiques, de notre belle société d’esprits libres, à l’occasion de l’adoption de ces textes autrement dangereux pour la France ?

La culture française ne se réduit pas à des caricatures, ce qui n’implique pas l’interdiction de ce genre. Le bon goût, autant que le bon sens, avec un certain effort de réflexion, auraient dû être suffisants pour comprendre que la vulgarité n’a rien de spirituel. L’on apprécierait beaucoup par ailleurs en voir un peu plus dénonçant l’absurdité du monde tel qu’il se façonne sous nos yeux, avec par exemple les grandes surfaces ouvertes pendant que les commerces de proximité ferment, avec le développement sans limite de la surveillance numérique, avec le chantage à la soumission sanitaire d’un peuple asymptomatique, avec le soutien apporté aux manifestants biélorusses pendant que les Gilets jaunes sont interpellés. Malheureusement, l’on ne plaisante pas avec les piliers de la société globaliste. Et c’est regrettable, notre société se porterait beaucoup mieux de sortir de son confinement intellectuel. Elle se porterait beaucoup mieux de revenir aux fondements de la tolérance, celle qui conduit à accepter l’autre dans sa différence. Elle se porterait beaucoup mieux d’avoir des dirigeants qui règlent les véritables problèmes socio-économiques du pays, au lieu de lancer la Grande croisade de l’anticléricalisme sous l’étendard d’une caricature de Mahomet.

L'auteur, Karine Béchet-Golovko, est professeur invité à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov) et animatrice du site Russie Politics.


- Source : RT (Russie)

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