JO 2024 : le CIO impose 5 « dérogations » à la loi française
Les Jeux de Paris devront se plier aux conditions des comités internationaux et de leurs sponsors. Le gouvernement prépare donc une loi « olympique » qui crée une justice d’exception.
C’est une condition sine qua non de l’organisation des JO. « Les autorités publiques et le Comité national olympique (CNO) doivent garantir que les Jeux olympiques seront organisés à la satisfaction du CIO et aux conditions exigées par celui-ci. » C’est écrit tel quel dans à l’article 33 de la Charte olympique que signent les États auxquels sont attribués les Jeux. Les villes hôtes doivent donc se plier aux exigences du Comité international olympique (CIO) et Comité international paralympique (CIP), exigences issues des accords passés avec leurs sponsors.
Mais que se passe-t-il lorsque ces exigences sont contraires au droit français ? C’est simple : on arrange la loi. Pour cela, un texte complexe et technique suffit. Le projet de loi relatif à l’organisation de Jeux olympiques et paralympiques de 2024, adopté en commission mixte paritaire, a déjà bien entamé son parcours législatif. Cette « loi d’exception » permet certaines dérogations au droit français.
Pas d’impôts pour les sponsors
L’article 11 du projet de loi, qui n’a pas été modifié lors de la discussion entre sénateurs et députés, précise le régime d’occupation du domaine public. Il oblige les villes à céder gratuitement les titres d’occupation de l’espace publique au Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo), au détriment du code général de la propriété des personnes publiques. Les partenaires commerciaux du Cojo peuvent occuper gratuitement l’espace public, sans verser une redevance aux autorités municipales. Cette mesure rappelle l’exonération fiscale, votée en 2014 en vue de l’Euro de 2016. Le texte dispense « les organismes chargés de l’organisation en France d’une compétition sportive internationale » de payer des impôts, à l’exception de la TVA, pour les opérations commerciales liées à la compétition. Cette exonération concerne « les compétitions pour lesquelles la décision d’attribution à la France est intervenue avant le 31 décembre 2017 ». Les Jeux de Paris 2024 sont donc concernés. Un sacré manque à gagner pour les villes alors que l’on vante les retombées économiques des JO.
Privatisation des mots et symboles
Pour les JO, le code du sport sera lui aussi modifié. Le projet de loi affirme que le Comité international olympique (CIO) et le Comité international paralympique (CIP) sont propriétaires des emblèmes, hymnes, logo, slogans et mascottes de ces jeux. Les sponsors non officiels se voient donc interdire l’utilisation de ces signes à des fins commerciales. Pour exemple, à Londres, en 2007, un boucher avait reproduit les anneaux olympiens avec des saucisses pour saluer l’attribution de sa ville pour les JO de 2012. Il a été prié de retirer son œuvre. Les mots tels que « olympiens », « olympique », « Jeux olympiques » ou encore « Paris 2024 » sont aussi la propriété du CIO et CIP.
Non-respect du code de l’urbanisme
Puisqu’il faut tenir les échéances des Jeux olympiques, à quoi bon s’embarrasser des procédures législatives concernant les constructions, notamment celles du village olympique à Saint-Denis et le centre qui accueillera la presse au Bourget. Le titre II du projet fait mention de nombreuses dérogations. Dans l’article 7, on apprend par exemple que « les constructions, installations et aménagements temporaires [sont] dispensées de toutes formalités au titre du code de l’urbanisme ». Pour ce qui est des installations permanentes ayant un impact sur l’environnement, elles sont, elles, dispensées d’enquêtes publiques. S’il y aura effectivement enquête, elle sera fondée sur une consultation par voie électronique des personnes touchées ou témoins. Une enquête allégée donc pour éviter de prendre du retard dans les constructions. « Ce n’est pas une absence de garantie : on ne va pas construire de manière sauvage, mais ce n’est pas une enquête complète, souligne Brian Blactot, collaborateur parlementaire de Marie-George Buffet (PCF). D’autant que cette façon de faire, assez rapide, arrange dans une certaines mesure les élus des villes concernées. » Dernier détail : l’article 9 précise que toutes les constructions futures prévues pour les JO bénéficient des mesures du code d’expropriation pour cause d’utilité publique « en vue de la prise de possession immédiate ».
La publicité hors-norme
Pour faire plaisir aux sponsors et respecter leur partenariat avec le CIO et le CIP, quoi de plus normal que d’autoriser la publicité là où elle est interdite habituellement ? Lors de l’Euro 2016, la ville de Paris avait été condamnée pour des infractions au code de l’environnement et du patrimoine. Pour éviter cela en 2024, il suffira de rendre légal ce qui ne l’est pas. Les sponsors pourront alors s’afficher dans un périmètre de 500 mètres autour des sites prévus pour l’organisation et le déroulement des épreuves. L’article 3 précise les dérogations au code de l’environnement et autorise, durant les deux mois d’été 2024, la publicité sur les lieux où elle est proscrite. On peut donc s’attendre à voir fleurir des panneaux et affiches sur les arbres ou dans les parcs naturels, ou encore sur les immeubles « classés ou inscrits au titre de monuments historiques ».
Hors de la justice de droit commun
L’article 5 du projet de loi précise que les contrats signés entre la ville de Paris et les comités internationaux peuvent comporter des clauses compromissoires. En droit français, ces clauses rendent possible que, si litige il y a entre les deux parties du contrat, la décision soit prise par un tribunal arbitral et non par un juge. Pour cela, deux possibilités. Soit le jugement revient au tribunal arbitral du sport (situé en Suisse, siège du CIO) soit à un tribunal arbitral créé pour l’occasion. Cette mesure déroge au code 2060 du code civil qui précise que ce type de clause contractuelle ne peut avoir lieu si les contestations soulevées par le litige concernent les collectivités et les établissements publics, comme les villes de Paris ou de Saint-Denis. Ces tribunaux arbitraux, au centre de nombreux accords de libre-échange, donnent un aperçu de la justice néolibérale idéale dans une start-up nation.
La version finale du projet de loi sera examinée en séance publique le 14 mars à l’Assemblée nationale et le 15 mars au Sénat. L’institution avait déjà critiqué ces règles : en 2012, elle publiait un rapport examinant le bilan des Jeux de Londres. Un paragraphe intitulé « Les étranges règles économiques des Jeux olympiques » critiquait les règles « excessives » de protection des marques fixées par le CIO. « À titre d’exemple, dans tout le périmètre olympique (enceintes sportives, centres de presse), on ne pouvait retirer de l’argent ou même payer des consommations qu’avec une carte Visa, sans pouvoir utiliser de Mastercard ou d’American Express ! De même, afin de protéger le McDonald’s, aucun stand ne pouvait vendre des frites, à l’exception toutefois des Fish&Chips, mais uniquement accompagnées de poisson… » Une autre guerre des frites serait-elle à prévoir en France ?
- Source : POLITIS