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Neymar partout ! Quand la fascination l’emporte sur l’information

Auteur : Denis Pérais | Editeur : Walt | Vendredi, 01 Sept. 2017 - 22h34

La mise en mots et en images de l’arrivée du joueur brésilien au Paris Saint-Germain (PSG) a saturé l’espace médiatique. Mais pour dire et montrer quoi exactement ? Réponse à partir du « spectacle » offert par BFM-TV, CNews, L’Equipe, Le Parisien-Aujourd’hui en France et les journaux télévisés de France 2, France 3, M6 et TF1.

Vous avez dit panurgisme médiatique ?

Impossible d’échapper à la promotion de « l’événement ». Dès le 4 août, dans le « 19/20 » de France 3, Djamel Mazi intime l’ordre aux récalcitrants de prendre le « train en marche » : « Pourquoi vous devriez vous intéresser à l’arrivée de Neymar au Paris Saint-Germain, même si vous n’êtes pas fan de football, toutes les réponses à découvrir sur notre application Francetv info. »

Si on n’est pas surpris que l’Équipe et sa chaîne de télévision, médias dédiés au sport, en aient fait des « tonnes », les « généralistes » n’ont pas été en reste : trois « unes » – les 22 juillet, 3 et 5 août – pour Le Parisien-Aujourd’hui en France, ouverture des journaux télévisés de la mi-journée et du début de soirée le 4 août pour France 2, France 3 (complété de ses « Grand soir 3 » du même jour et de la veille), M6 et TF1, multiplication, dans la quasi-totalité des médias, des articles ou des reportages sur « l’événement ».

BFM-TV et CNews, déjà en veille depuis plusieurs semaines sur ce dossier, ont fait du « feuilleton » Neymar le fil conducteur de leurs informations en continu, les 3, 4 et 5 août.

Sur le plateau de BFM-TV, Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, relevait, dès le 4 août l’ampleur du phénomène : « Votre antenne a été mobilisée pendant au moins dix heures autour de Neymar, autour du Qatar, autour du PSG ».

Et sur CNews, le lendemain, Aïda Thouiri confirmait en lançant le « JT sport » : « On en a parlé toute la journée, on va probablement en reparler encore ». On s’en doutait, mais on n’a pas été déçu.

Mais le mimétisme ne s’arrête pas là.

Le 4 août, ils se rejoignent dans une célébration générale (et soulagée) lors de la signature définitive de l’accord de transfert. Audrey Crespo-Mara crie sa joie sur TF1 : « Ça y est, Neymar est parisien, tout le monde tape dans ses mains ». Et Leïla Kaddour, sur France 2, s’enthousiasme : « Avec lui, le PSG bascule dans une nouvelle dimension. Retour sur cette journée qui fait maintenant partie de l’Histoire  ».

Les chaînes de télévision ont diffusé les mêmes reportages (ou presque) qui ont notamment mis en scène :

– le formidable parcours du jeune homme sorti de la pauvreté grâce à ses talents de footballeur, devenu aujourd’hui une icône/marque planétaire, omniprésente sur les réseaux sociaux avec ses « soixante-dix millions d’abonnés, dix fois plus que le joueur français Antoine Griezmann », comme le souligne le journal télévisé de 20 heures du 4 août de France 2 ;
– l’attente du nouveau « messie » à l’aéroport du Bourget et la liesse qui en découle une fois son premier pied posé sur le tarmac ;
– les « fans » faisant la queue pour acheter son maillot à l’effigie du PSG ;
– le « pied de grue » devant l’hôtel de luxe où il réside avec sa famille dans l’attente de son logement.
– la présentation officielle du héros le 5 août au Parc des Princes, occasion de communier avec lui.

Bref, une belle histoire, qui se révèle forcément une bonne affaire pour tout le monde : pour le PSG bien sûr, pour le football français dans son ensemble et pour le fisc.

Mais malheur à celui qui n’applaudit pas. Tel Alexis Corbière, le député de la France insoumise.

Débats interdits ?

Pour avoir osé critiquer le 3 août sur LCI ce que révélait à ses yeux comme représentation du monde dans lequel nous vivons le montant du transfert de Neymar, le député a reçu une série de « tacles » particulièrement appuyés de la part du trio Carine Galli, Bertrand Latour et Gilles Favard sur le plateau de « L’Équipe Mercato » du 3 août diffusée sur la chaîne L’Équipe 21 :

– Carine Galli amorce le réquisitoire : « Alors on ne va pas commenter le travail des journalistes, on va commenter un tweet d’Alexis Corbière… »
– Bertrand Latour, tapant sur la table et d’un ton vengeur : « Ah, allons-y. »
– Carine Galli  : « … député de la France insoumise, il a déclaré sur la chaîne LCI : « Le sport est devenu un volant d’entraînement de l’économie, une affaire de gros sous. Je ne trouve pas ça sain alors qu’un scientifique, un grand médecin touchent des sommes qui n’ont rien à voir avec ce que touche un footballeur, même si on aime le foot. Je me demande si ce football n’est pas la vitrine d’un monde fou. » Pour vous c’est démago ? »
– Bertrand Latour : « Oui, qu’il y ait de la démesure dans le foot, on est tous d’accord pour le dire, ce sont des sommes hallucinantes. Après, en regardant quelle est l’étiquette politique d’Alexis Corbière, il est dans son rôle. C’est au mieux amusant, de la part d’un député à qui on a reproché de vivre dans un logement social. On va pouvoir dire que Neymar va participer à continuer à ce que certains élus puissent vivre dans des logements sociaux. »
– Carine Galli : « Alors vous aussi, Gilles, vous ne comprenez pas ce genre de réactions : le débat sur les footballeurs trop payés. »
– Gilles Favard : « Je n’ai pas envie d’être violent sur ces gens-là, ils me fatiguent. Toute sa vie, il a vécu comment ? Il a vécu des subsides de l’Etat, et les subsides de l’Etat c’est les impôts de tout le monde, donc… »
– Bertrand Latour : « Donc Neymar en paiera beaucoup, voilà. »
– Gilles Favard : … « Neymar, il paiera beaucoup d’impôts, son salaire sera payé en partie par Neymar. »
– Carine Galli : « Alors l’arrivée de Neymar en France fait débat, certains en tout cas s’en félicitent. »

En tentant de disqualifier les propos d’Alexis Corbière sans jamais leur répondre sur le fond, les trois journalistes endossent le rôle de parfaits protecteurs de l’ordre établi dans le football : celui de la loi du marché

Cet ordre établi transforme les compétions sportives entre les clubs en compétitions entre leurs financiers : non pas que le meilleur gagne, mais que le plus riche l’emporte

Compétitions et concurrences

C’est cet ordre établi aussi inégalitaire qu’aliénant qu’évoque à « fleurets mouchetés » Nicolas Kssis, journaliste à So Foot à la fin de son entretien du « Grand Soir 3 » le 4 août : « Est-ce qu’il y a un foot à deux vitesses ? Oui, il y a un foot à deux vitesses, parce qu’il y a des clubs qui sont plus riches, plus puissants, qui sont installés, qui ont des palmarès. C’est une réalité liée à l’économie capitaliste du football. Faudrait voir si il y faut changer, mais ça, c’est un autre débat  ».

C’est cet autre débat pourtant essentiel qui n’a jamais été ouvert par BFM-TV, CNews, L’Équipe, Le Parisien-Aujourd’hui en France et les journaux télévisés de France 2, France 3, M6 et TF1. C’est bien dommage, tant il aurait permis d’éclairer le public sur le revers de la médaille (voir notre « annexe »).

Elise Lucet à l’occasion de la diffusion du reportage « Foot business, enquête sur une omerta » diffusée le soir sur France 2 dans « Cash investigation » déclarait sur Europe 1 le 11 septembre 2013 : « Quand on a commencé à vouloir faire une enquête sur le business du foot […], ça nous a amusé de voir que tout ce monde du football ne voulait absolument pas qu’on s’intéresse à l’argent du foot […] Les journalistes qui suivent les équipes, ils ne peuvent pas toujours faire ça dans la mesure ou après, on les boycotte de conférence de presse, on les interdit de rencontrer les joueurs, donc ils étaient contents que nous on fasse cette enquête et ils la mettent en avant.  »

Pour l’ensemble des médias dont nous avons examiné la couverture de l’arrivée de Neymar, le football constitue un support essentiel dans l’audience qu’ils en escomptent, et par ricochet, les recettes qu’elle leur permettra de récupérer.

En particulier pour les groupes de médias qui se livrent à une lutte sans merci pour obtenir les droits télés très inflationnistes des différentes compétitions nationales, européennes et internationales. L’attribution à SFR sport des droits pour la Ligue des champions et Europa 2018/2021 au détriment des anciens titulaires, BeIN Sports, Canal+ et M6/W9, en étant l’épisode le plus récent.

Saturer l’espace médiatique leur permet d’espérer un retour sur investissement.

L’audience, c’est toujours l’obsession des chefferies éditoriales. C’est ce que souligne Paul-Henri Allain dans « Le grand direct des médias » sur Europe 1 du 8 août à propos du quotidien sportif détenu par le groupe Amaury : «  40 % d’augmentation pour le tirage du journal l’Équipe jeudi et vendredi derniers [3 et 4 août] suite à l’arrivée du joueur Neymar au PSG […] Autre chiffre important pour le quotidien : la conférence de presse a été suivie par 589 000 personnes sur le site Internet et 480 000 sur Facebook. »

Une obsession de l’audience confirmée dans le « JT sport » de CNews (10 heures 13) le 21 août par Élodie Poyade qui se réjouit que le dimanche soir 20 août « 1,5 millions [de téléspectateurs] étaient devant Canal+ », pour regarder le match PSG-Toulouse. Une joie partagée par son confrère de Canal+, Olivier Tallaron : « J’ai déjà hâte de profiter de son jeu au bord de la pelouse. Et ça va être tout bénéf pour Canal+ » (France football, 8 août) : une joie d’autant plus intense que la chaîne possédée par Vincent Bolloré détient les droits de diffusion de la Ligue 1 jusqu’en 2020 [1]…

Ainsi, si jackpot il y a, c’est peut-être bien ici qu’il faut le chercher… Quant à la critique, radicale ou mesurée du sport et de l’information sportive, ce sera pour une autre fois ! Indéniablement, de l’avis des spécialistes, Neymar est un excellent joueur et de grande valeur, dans tous les sens du terme. D’autres informations ? Dans la plupart des médias que nous avons consultés, « circulez, y a rien à voir ».

***

Annexe : Le revers de la médaille

Si le rôle joué par le Qatar avec ses implications économiques et géopolitiques ont fait l’objet de certains développements, il n’en est rien des malversations, mêlant en particulier blanchiment, corruption, escroquerie et fraude fiscale, qui se répètent depuis longtemps dans l’univers du football.

Une véritable gangrène consanguine à la marchandisation toujours plus impressionnante de ce sport mise aussi bien en lumière dès juin… 1994 par Christian de Brie dans son article « Le football français sous la coupe des marchands » paru dans Le Monde diplomatique que par Patrick Vassort huit ans plus tard dans la même publication dans « Le cloaque mafieux du football mondial ».

Les sommes faramineuses brassées lors de ce « transfert du siècle » (pour reprendre une expression reprise à discrétion à peu près partout) [2] auraient justifié que l’on évoque ces soupçons ou ces preuves de malversations.

D’autant plus, qu’au chœur de ce système se trouverait… Neymar lui-même, comme le mentionnait une dépêche de l’AFP reprise sur le site de L’Équipe le 4 mai 2017 : à propos du précédent transfert du joueur au FC Barcelone : « le juge chargé de l’enquête sur le transfert […] au FC Barcelone a ordonné son renvoi [ainsi que ceux de…] ses parents, [des] président du FC Barcelone Josep Maria Bartomeu et ex-président Alexandre Rosell devant un tribunal, estimant que cette opération avait été assortie d’escroqueries  »

Un renvoi maintenu malgré des malversations qui ont contraint le club catalan à acquitter le 24 février 2014, selon Le Monde, « une “régularisation volontaire » de 13,5 millions d’euros au fisc espagnol, cinq jours après avoir été mis en examen pour “délit contre le Trésor public” », puis, le 13 juin 2016, selon L’Équipe une amende de 5,5 millions d’euros lui évitant ainsi un premier procès.

Et l’Espagne n’est pas le seul pays où la « coqueluche » des médias a lésé l’administration fiscale. Dans son pays d’origine, lit-on dans L’Equipe, il «  va régler les 8 millions de dollars (environ 6,7 M€) qu’il doit aux autorités financières de son pays, après sa condamnation pour fraude fiscale en 2016 ».

Mais rappeler tout cela aurait sans doute gâché la fête.

Nota bene

Mais le joueur brésilien est loin d’être un cas isolé…

D’autres actuellement au… PSG (ou ailleurs) comme Angel Di Maria et Javier Pastore, ainsi que le club lui-même sont concernés.

Selon les révélations publiées par Mediapart le 23 mai dernier, ils « ont fait l’objet de perquisitions dans le cadre de l’enquête ouverte à la suite des révélations issues des Football Leaks ».

En outre, Angel Di Maria avait déjà été condamné en juin dernier, selon Le Figaro « pour avoir détourné 1,3 M€ au fisc espagnol via ses droits d’image quand il évoluait au Real Madrid […]. L’Argentin a écopé d’une amende de deux millions d’euros et d’un an de prison, qu’il ne purgera pas [… suite à] un accord avec le procureur, dans lequel il reconnait avoir commis deux infractions fiscales ».

Une liste longue comme « le bras » de condamnés ou mis en cause comprenant notamment Radamel Falcao, Lionel Messi, l’un des principaux intermédiaire du football mondial Jorge Mendes (mis en examen le 27 juin dernier), José Mourinho, Paul Pogba, Ronaldo (mis en examen le 31 juillet 2017), mais aussi Alain Migliaccio l’ancien agent de Zinédine Zidane (en 2012), ou encore, même si les sommes en jeu sont largement inférieures, l’ancien joueur de Caen (dont il deviendra l’entraîneur), Lens, Marseille, Monaco et Newcastle, Franck Dumas, condamné en première instance à trente-six mois de prison dont vingt-six fermes, renvoyé devant la cour d’appel le 19 mars 2018.

Notes:

[1] Conjointement avec BeIN Sports

[2] Des sommes présentées ainsi le 3 août par Élodie Poyade sur CNews en reprenant une information donnée par Skysport : « 500 millions d’euros au total [comprenant…] les 220 millions de la clause libératoire, on parle de 120 millions par année pour Neymar au Paris-Saint-Germain, on met dedans bien entendu son salaire, les charges, les différentes commissions ».


- Source : Acrimed

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