Les banquiers centraux ont quitté leurs bureaux cosy de l'Eurotower, dans le centre-ville, pour s'installer dans deux tours jumelles de 185 mètres de hauteur, faites de béton, de verre et d'acier. C'est plus froid, plus fonctionnel, beaucoup plus moderne. Pilotés par ordinateurs, les ascenseurs grimpent les 45 étages en quelques secondes. Le chauffage est assuré par le recyclage de la chaleur dégagée par les ordinateurs, les vitres de la tour Sud - la plus convoitée - sont protégées par un filtre solaire ; l'eau des toilettes est alimentée par de l'eau de pluie recyclée. Et la salle de gym a grand succès.
Depuis la salle du Conseil des gouverneurs, au 41e étage, où se prendront les décisions de politique monétaire à partir du 4 décembre prochain, Mario Draghi peut contempler les tours du centre-ville, qui ressemblent de loin à un petit Manhattan-sur-Main. Avec son mobilier ultradesign et sa vue à 180 degrés sur Francfort, la salle du Conseil ressemble un peu au siège d'un gouvernement mondial dans un film de science-fiction!
L'Europe y est représentée, au plafond, par une sculpture abstraite faite de lamelles ondulées. Avec beaucoup d'effort, on y distingue l'Espagne, la France, l'Irlande… «L'idée, c'est de représenter l'Europe comme entité, de la deviner, sans forcément distinguer les pays…», explique l'architecte viennois Wolf Prix, qui a emporté en 2005 le concours lancé par la BCE. Même s'il lève le nez, Mario Draghi peinera à y déceler la «botte» de l'Italie… C'est fait exprès: oublier son pays et ne penser qu'à l'intérêt général européen.
Payé sur fonds propres
De tous les bâtiments de l'Union européenne, le nouveau siège de la BCE est sans conteste le plus spectaculaire. Le plus cher aussi: il aura coûté 1,2 milliard d'euros, beaucoup plus que les 850 millions envisagés en 2010. Les coûts ont dérapé en raison de l'augmentation du prix des matières premières et du coût plus élevé que prévu de la rénovation de la Grossmarkthalle, un bâtiment en briques rouges des années 1920, qui abritait les halles aux fruits et légumes de Francfort jusqu'en 2004. Classé monument historique, ce bâtiment a aussi une triste mémoire. Entre 1941 et 1945, ses sous-sols, réquisitionnés par les nazis, ont servi à parquer quelque 10.000 Juifs, avant leur déportation en train dans les camps de la mort. La salle d'origine, avec les graffitis des prisonniers en détresse, a été conservée et transformée en mémorial.
En devenant propriétaire de ses murs, la BCE voulait échapper aux loyers exorbitants du centre-ville. La facture à plus d'un milliard est élevée, surtout en temps de crise, mais l'institution monétaire a les moyens de ses ambitions. Les travaux ont été payés sur les fonds propres de la banque (7,6 milliards d'euros fin 2013), abondés au fil des ans par ses bénéfices (1,4 milliard d'euros en 2013) réalisés à partir de ses réserves d'or et de changes, des achats de titres et les transferts des banques centrales.
Pour le reste, la BCE est plus économe que la Banque de France en frais de fonctionnement: 500 millions de charges d'exploitation par an, contre 2 milliards d'euros pour la Banque de France et ses 12.000 employés.