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Dimanche, 05 Mai 2024

Sarkozy 2.0 ?

Auteur : Jacques Sapir | Editeur : Walt | Dimanche, 21 Sept. 2014 - 00h11

Nicolas Sarkozy vient donc d'annoncer son « retour en politique », comme s'il l'avait un jour réellement quittée. Cela n'a rien d'étonnant ni d'anormal. On sait l'homme être un « animal politique ». On le devine dévoré d'ambition, incapable de s'accommoder de la distance pourtant parfois nécessaire entre l'action immédiate et la réflexion salutaire.

Il avait pourtant l’occasion de réfléchir en profondeur sur les raisons de l’échec de sa présidence de 2007 à 2012. Après tout, le Général de Gaulle attendit près de douze ans avant de revenir au pouvoir, après avoir cru faire une fausse sortie. Autres temps, autres mœurs. Ce qui est choquant, par contre, est que ce retour se fasse sur du vide, sans aucune analyse rétrospective de l’action passée. On sent l’homme tendu par cet unique ressort : agir. Mais agir pour quoi faire, et au service de qui ? Il y a dans ce « retour », aussi annoncé et prévisible qu’il soit, une hubrys de l’action qui ne peut qu’inquiéter.

Reprenons les mots dont l’ancien président a usé sur son compte Facebook :

« J’ai pu prendre le recul indispensable pour analyser le déroulement de mon mandat, en tirer les leçons, revenir sur ce que fut notre histoire commune, mesurer la vanité de certains sentiments, écarter tout esprit de revanche ou d’affrontement. J’ai pu échanger avec les Français, sans le poids du pouvoir qui déforme les rapports humains. Ils m’ont dit leurs espoirs, leurs incompréhensions et parfois aussi leurs déceptions. »

De recul, il n’y en a guère. L’analyse du mandat précédent s’est faite volets fermés, si jamais elle s’est faite. Où donc Nicolas Sarkozy a-t-il accepté de débattre de sa politique, qu’il s’agisse de sa politique économique, avec la bonne réaction face à la crise de 2008 et celle, désastreuse, à partir de 2010, ou qu’il s’agisse de la politique internationale, marquée par l’intervention en Libye, dont on voit chaque jour un peu plus les conséquences dramatiques. Rappelons-le, sans l’intervention en Libye, il n’y aurait pas eu la déstabilisation massive des pays du Sud-Sahel, du Mali au Nigéria. Que le Président ait échangé avec des Français, quoi de plus normal. Mais, qu’il cesse de nous faire croire que quelques mains serrées des phrases échangées ici et là valent étude sociologique. La France réelle, Monsieur Sarkozy, vous reste étrangère, comme elle l’est hélas à la majorité de nos dirigeants. Avez-vous même fait l’équivalent du tour de France tenté par un député centriste, Jean Lassale, pour aller à la rencontre des gens ? On n’a vu nulle image de Nicolas Sarkozy marchant par les chemins, manteau sur les épaules, pour tenter son enquête personnelle sur la situation de la France. Et pourtant, de la part d’un ancien Président, ceci aurait eu un sens, et on ose l’écrire une « gueule ». Alors, faisons un premier rappel à Nicolas Sarkozy ; il y a une phrase de Mao Zedong qui est digne qu’on la retienne, et qui fut utilisée à foison autour de 1968 : « sans enquête, pas de droit à la parole ». Ce « droit à la parole », vous prétendez l’avoir au nom de la désespérance d’une grande part des Français ? Mais, de cette désespérance vous êtes aussi responsable. Votre « droit à la parole » risque fort de signifier parler pour ne rien dire.

Car, et c’est là qu’il y a imposture, l’ancien Président prétend parler au nom de : « la tentation de ne plus croire en rien ni en personne, comme si tout se valait, ou plutôt comme si plus rien ne valait quoi que ce soit. Cette absence de tout espoir si spécifique à la France d’aujourd’hui nous oblige à nous réinventer profondément ». Il est clair que les Français sont désorientés. Mais ils ont quelques bonnes raisons de l’être. Votre politique y a tout autant contribué que celle de votre lamentable successeur. Non seulement des erreurs importantes d’analyse de la situation, tant économique que politique, ont été commises, mais la mise en pratique de votre politique, ce mélange de brutalité et de roublardise, saupoudrée de népotisme (faut-il revenir sur l’établissement public de la Défense ?) a produit cette situation que vous prétendez déplorer. Cela ne vous empêche pas de vouloir y remédier, mais on attend alors l’autocritique de vos errements. On attend que vous expliquiez pourquoi une politique d’austérité ne fonctionne pas et s’avère incapable de réduire les déficits. On attend que vous expliquiez pourquoi abattre un dictateur sans se préoccuper de qui va le remplacer peut produire un chaos pire encore que la situation précédant. On attend vos explications sur votre rapport, tant politique que personnel, avec l’argent. Fors ces explications, les Français ne vous écouteront pas ; ils ont mieux à faire.

Vous vous dites préoccupé au premier chef de la France. Les grandes déclarations  abondent dans votre message « J’aime trop la France ; je suis trop passionné par le débat public et l’avenir de mes compatriotes pour les voir condamnés à choisir entre le spectacle désespérant d’aujourd’hui et la perspective d’un isolement sans issue. » Mais, Monsieur l’ex-Président, ceci est normal. Cessez de présenter comme un témoignage extraordinaire ce qui ne devrait être que la réflexion ordinaire d’un homme politique qui, comme vous, a occupé les plus hautes fonctions. Dire, comme vous le faites, « On ne fait rien de grand sans l’unité de la nation. On ne fait rien de grand sans espérance, sans perspective » est d’une bien grande banalité si vous ne précisez pas, immédiatement, autour de quoi vous voulez faire l’unité de la Nation, reconstruire l’espérance et donner une perspective. Car, tout cela, unité, espérance, perspective, se construit autour d’un projet. Faire l’unité de la Nation, c’est d’abord se battre pour qu’elle retrouve sa souveraineté, non pas contre  les autres mais aussi pour les autres. Est-ce bien cela que vous fîtes quand, en 2005, vous fûtes connivent avec François Hollande du hold-up qui priva les Français de leur vote au référendum sur le traité constitutionnel ? Est-ce bien le sens de votre politique quand vous avez affirmé que vous ne feriez plus de référendum sur l’Europe ? Je crains que vous n’aimiez la France que pour ce qu’elle peut vous donner et non pour ce que vous pourriez, le cas échéant, lui apporter.

Enfin, votre méthode interpelle. Vous dites : « Je suis candidat à la présidence de ma famille politique. Je proposerai de la transformer de fond en comble, de façon à créer, dans un délai de trois mois, les conditions d’un nouveau et vaste rassemblement qui s’adressera à tous les Français, sans aucun esprit partisan, dépassant les clivages traditionnels qui ne correspondent plus aujourd’hui à la moindre réalité. Ce vaste rassemblement se dotera d’un nouveau projet, d’un nouveau mode de fonctionnement adapté au siècle qui est le nôtre et d’une nouvelle équipe qui portera l’ambition d’un renouveau si nécessaire à notre vie politique ».

Vous mettez donc l’instrument avant le projet, la charrue avant les bœufs. Si nous avions besoin d’un seul signe que vous n’étiez poussé que par votre ambition, à nouveau cette hubrys de l’être dans l’action et par l’action, nous le trouverions là. Tout autre homme politique de bonne foi aurait commencé par définir son projet, ne serait-ce que dans ses grandes lignes, pour pouvoir définir après l’instrument qui lui semblerait le plus adapté à ses fins. Ce passage vous trahit et vous expose à notre regard tel que vous êtes et non tel que vous souhaiteriez l’être. La France n’a pas besoin d’un trublion, d’un agité perpétuel qui se heurte, telle le bourdon en son bocal, aux parois de la réalité. Pourtant, il y a beaucoup à faire. Retrouver notre souveraineté monétaire dans un cadre coopératif avec nos voisins, établir des règles de commerce international qui soient justes et non juste la liberté du renard libre dans le poulailler libre, mettre au pas la finance, et l’orienter vers des activités productives efficaces et utiles, les tâches ne manquent pas. Mais, ce n’est pas vous qui ferez ce projet.

Dans ces conditions, Monsieur l’ex-Président, votre retour ne peut que créer du désordre sans apporter de solution. Les Français n’ont pas besoin de vous, et ils vous l’ont signifié en mai 2012. Il en sera de même par le futur si vous ne changez pas.


- Source : Jacques Sapir

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