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Samedi, 23 Nov. 2024

Selon le CNRS : « Les français ont été les sujets d’une expérience d’obéissance de masse pendant la crise du Covid-19 »

Auteur : Yoann | Editeur : Walt | Jeudi, 18 Avr. 2024 - 15h51

Dans une interview publiée sur le site du CNRS, l'historien et sociologue Nicolas Mariot revient sur les mesures strictes de confinement mises en place en France lors de la pandémie de Covid-19 et explique que la population française a été soumise à une expérience sociale sans précédent.

L’interview met en lumière les différences de politiques adoptées par les pays européens face à la pandémie, certains ayant opté pour des mesures plus strictes que d’autres. La France fait partie des pays ayant adopté les règles de confinement les plus sévères, avec une attestation obligatoire pour toute sortie et des contrôles de police massifs.

Nicolas Mariot et Théo Boulakia ont coécrit un ouvrage intitulé « L’Attestation », qui dresse un bilan de ce versant coercitif de l’enfermement national. Selon eux, cette politique coercitive est liée aux habitudes des gouvernements en matière de gestion punitive des populations et au manque de confiance des autorités dans la capacité des habitants à suivre les recommandations sanitaires.

L’historien et sociologue soulève également des questions sur l’égalité de traitement des citoyens face aux mesures de confinement, certaines autorités locales ayant durci les règles nationales de manière injustifiée. Enfin, elle met en lumière le « choc moral » du contrôle, les personnes habituellement peu contrôlées ayant été soumises à des contrôles de police fréquents.

En voici quelques extraits :

"Pour s’en tenir à l’Europe, cinq pays du Sud – la France, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et Chypre – ont adopté les mesures parmi les plus strictes, avec attestation, soumettant toute circulation de leur population à des règles sévères, contrôlées par les forces de l’ordre. Dans le même temps, les pays nordiques comme la Suède, la Finlande, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas mais aussi la Suisse ou la Bulgarie ont adopté comme partout des mesures sanitaires (port du masque, interdiction des rassemblements, recommandation de lavage des mains, etc.), mais ont laissé les sorties totalement libres. Résultat, en France, la fréquentation des espaces verts au printemps 2020 a diminué de moitié par rapport à l’hiver, tandis qu’au Danemark, à la même période, elle a été multipliée par deux.

La limitation des sorties a aussi été durcie : quatre-vingt-trois départements ont énoncé des restrictions d’accès aux lieux de nature et de détente, avec parfois une justification incongrue, comme « Le confinement, ce n’est pas les vacances ! ». Ou avec des mentions saugrenues, comme « l’interdiction d’acheter une baguette ou un seul journal à la fois », ou encore « l’interdiction de s’assoir sur les bancs publics ». Ces différentes mesures complémentaires ont souvent conduit à rompre avec l’un des principes fondamentaux de légitimation du confinement : l’égalité de tous face aux interdits.

La différence de réaction est clairement liée aux habitudes coercitives des gouvernements : nous montrons que plus les États européens comptent de policiers par habitant, ou plus ils ont l’habitude de s’affranchir des libertés publiques, plus ils ont enfermé leur population.

Nous sommes un des rares pays à avoir introduit la fameuse « attestation de sortie », présentée comme un dispositif de responsabilisation mais vite devenue un outil de contrôle massif. Transformer chacun en gendarme de soi-même : c’est ce dispositif (emprunté aux Italiens) qui a permis de vider l’espace public.

Au niveau européen, nous avons pu récupérer le nombre d’amendes dans quelques pays. L’Espagne est en haut du podium, avec 2 157 amendes pour 100 000 habitants, suivie de près par la France (1 630), puis l’Italie (709), les Pays-Bas arrivant en queue, avec 77 amendes pour 100 000 habitants. Tout le monde n’a donc pas vécu le même confinement, loin s’en faut.

Nous avions deux hypothèses pour expliquer que 80 % de la population ait accepté de rester enfermée à domicile : la peur du virus et la peur du gendarme. L’enquête Vico nous a montré que durant toute cette période, il n’y a jamais eu plus de 50 % des gens qui respectaient les recommandations sanitaires (mettre un masque, se laver les mains, etc.). Donc la crainte du virus ne suffit pas, à elle seule, à expliquer l’obéissance massive aux règles. Par ailleurs, il faut mettre en avant une dimension plus horizontale de l’obéissance, celle qui a trait à la comparaison avec autrui. Le fait est que beaucoup de gens se sont préoccupés de donner l’exemple ou/et de s’assurer que leurs voisins ne disposaient pas d’un privilège, si menu soit-il. L’explosion des dénonciations durant la période (adressées aux maires, aux commissariats ou aux radios locales) est le signe de cette préoccupation fondamentale : les règles ne sont pas mises en cause dès lors que leur application semble ne pas laisser place à l’arbitraire.

Il faut insister sur l’expulsion de toute présence humaine de l’espace public : bars et parcs sont fermés, plages et forêts sont interdites, l’éclairage nocturne est souvent supprimé. Toutes ces mesures ont abouti à ce que nous avons appelé un « inquiètement du dehors ». Pour les femmes notamment, il est devenu angoissant de s’aventurer dans un espace déserté, par peur d’un dehors devenu trop étrange.

L’Espagne a été le pays qui a connu la plus grave surmortalité, 40 %, alors qu’elle est aussi le pays qui a le plus confiné ses habitants… pour déclarer finalement ce confinement inconstitutionnel, et proposer un remboursement des amendes à ses citoyens.

J’ai été très étonné de voir qu’aucun grand média, mais également qu’aucune équipe de recherche, en France et même, sauf erreur, en Europe, ne se soit intéressé à dresser un bilan de cette période du point de vue non pas sanitaire, mais réglementaire. Il y a pourtant beaucoup de leçons à tirer de cette expérience, car nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle pandémie.

En tant qu’historien spécialiste de la guerre de 14-18, j’ai déjà étudié une telle expérience d’obéissance à grande échelle. Et j’ai été surpris qu’une nouvelle forme d’union sacrée justifiant suspension des libertés et gouvernement sans contrôle ait pu se répéter presqu’un siècle après à l’identique".

Pour lire l’interview en entier, rendez-vous sur le site du CNRS.


- Source : Le Média en 4-4-2

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