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Vendredi, 29 Mars 2024

Emmanuel Macron devant les recteurs d’académie: du Grand Charabia au Grand Reset

Auteur : Edouard Husson | Editeur : Walt | Mardi, 30 Août 2022 - 15h44

Emmanuel Macron a prononcé en Sorbonne, le 25 août 2022, un discours plein de charabia, à première vue inutile et confus, en fait profondément dangereux parce qu'il révèle: une incapacité à répondre à la crise de l'école, un refus de comprendre que l'éducation scolaire, en France, ne pourra être sauvée que si on la rend à la société, à toutes ces forces vives qui, des familles aux associations, des investisseurs aux entrepreneurs (et pas seulement dans l'EdTech), ne demandent qu'une chose, faire revivre l'école. Mais on saisira facilement que rendre l'école à la société, la désétatiser, c'est à l'opposé, de la "grande bascule", du "Great Reset" - qui lui s'accommode très bien d'un grand service public unifié en siuation d'échec.

Peut-on imaginer discours plus creux et, à première vue, plus inutile que celui prononcé hier 25 août par Emmanuel Macron en Sorbonne devant les recteurs? 

Le ministre en charge de l’Education nationale et celui en charge de l’enseignement supérieur reçoivent les recteurs, qui sont en quelque sorte, depuis Napoléon, des “préfets pour l’école et l’université” , une fois par mois. La réunion de rentrée a toujours une certaine solennité puisqu’elle se passe dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. La présence du Président de la République, hier, devait ajouter encore de la gravité à cette réunion. Ecoutons quelques extraits: 

Le Grand Charabia

“…Forts de ce que nous avons déjà entamé et de la lucidité partagée, nous devons aller plus loin et plus vite“.  Cela commence très fort; je pense qu’à côté d’Emmanuel Macron, Monsieur Homais (le célèbre pharmacien campé par Flaubert dans Madame Bovary) est un modèle de densité intellectuelle. 

“A la maternelle, nous renforcerons l’attention au développement de l’enfant car nous le savons désormais, beaucoup de choses se jouent très tôt“.

Merci Manu! Un certain Charles Péguy l’avait dit, il y a plus d’un siècle. Pas besoin d’invoquer “l’acquis des neurosciences, tout ce que nous savons sur la manière d’apprendre dès le plus jeune âge, la part qui joue les émotions, l’ouverture aux autres élèves, les innovations en termes pédagogiques“.  

Attention, vous n’avez encore rien entendu. Prenez votre souffle et accrochez-vous (c’est nous qui soulignons)! 

“À l’école primaire, nous continuerons à mettre l’accent sur les apprentissages fondamentaux et nous généraliserons la pratique quotidienne du sport et de la culture. Et il est vrai que la transformation qui se fera dès cette rentrée, c’est celle qui vaut pour le sport, qui après l’expérimentation menée ces dernières années, va conduire à cette généralisation au primaire et qui est clé pour faire de notre pays, cette Nation sportive plusieurs fois évoquée, et bien consolider le fait que nos Jeux Olympiques de 2024 sont un rendez-vous important, mais que toute la Nation y est embarquée parce que nous savons aussi que c’est un élément clé pour mieux enseigner et permettre de donner à nos enseignants la possibilité d’utiliser le sport pour créer les conditions d’un enseignement plus adapté”. Ouaouh! 

Le brouillard se dissipe quelques secondes – en fait pas vraiment:: “Quand des moments sont là, ou [où? Je respecte l’orthographe trouvée sur le site de l’Elysée mais quand même….] des jeunes sont dissipés, ou [même remarque] qu’il y a un besoin justement de recréer du collectif pour recréer de la confiance dans l’école, parce qu’on sait que ce sont d’autres capacités, qu’on a des jeunes qui, dans la pratique sportive, expriment de l’excellence, de la réussite, et que reconnue ainsi dans le cadre scolaire, elle redonne de la confiance dans l’école et par l’école, et parce que nous savons que c’est une formidable politique de prévention, en termes de santé publique. Et je crois que c’est un des rôles de notre école...” 

Traduisons: il y a des élèves qui ont de mauvaises notes à l’école (quand on note encore) mais qui sont très bons en sport. Nihil novi sub sole. Rien de nouveau sous le soleil. Eh bien, nous ne l’avions pas compris, “l’école de la confiance” de Jean-Michel Blanquer, c’est cela: bien dire aux élèves qu’ils sont bons en sport qu’ils ne doivent pas perdre confiance en eux-mêmes; pas faire en sorte qu’ils deviennent bons en orthographe ou connaissent leur tables de multiplication! 

Les mots cache-misère

Attendez, ce qui suit confine au sublime: 

“Au collège pour mieux accueillir nos élèves, nous ferons de la sixième une liaison efficace et transversale avec le primaire où chacun se sentira accompagné dans cette transition importante, en laissant là aussi beaucoup de souplesse, de liberté, en fonction de la réalité du terrain et des difficultés observées”.

Les larmes me viennent aux yeux tellement c’est beau. Traduisons: l’école primaire ne remplit pas sa mission d’apprendre à tous à lire, écrire, compter. Donc, en sixième, ça devient…sportif – d’une autre manière.  Mais tout va bien parce qu’à partir de la cinquième, une parade a été inventée: 

“Et nous créerons aussi, à partir de la cinquième, une demi-journée avenir hebdomadaire qui éveillera des vocations, favorisera une meilleure orientation en faisant découvrir aux élèves de nombreux métiers, notamment des métiers techniques, manuels, métiers relationnels mettant en valeur d’autres formes d’intelligence que le savoir académique. Ouvrir, en quelque sorte, l’école aux métiers, aux savoirs, aux pratiques, qui ne sont pas forcément celles qui s’y enseignent ou qui sont connues.”

Un enfant sur quatre en sixième a été sacrifié sur l’autel du pédagogisme, de la méthode globale,  de la prétention d’enseigner l’anglais à l’école primaire, du multiculturalisme et du communautarisme – mais tout va bien: on va montrer à ces gamins un monde professionnel auquel ils ne seront jamais vraiment adaptés – ne serait-ce que parce qu’à l’âge du numérique, l’opposition entre l’intelligence du cerveau et celle de la main n’a plus de raison d’être…

Macron, premier président victime de la réforme Haby ! 

Dans ce chef d’oeuvre, je vais un peu plus loin, vous évitant quelques émotions fortes au passage. Ecoutez-cela, qui s’adresse aux instituteurs (pardon, aux professeur.e.s des écoles (écol.e.s?)) et aux professeurs (pardon, aux enseignant.e.s – ou aux gentils organisateurs qui paient les pots cassés de cinquante ans de réformes le plus souvent catastrophiques):  

“Mais moi, je pense qu’on ne peut pas rester dans le système hybride où nous vivons, où au fond, de fait, on a des enseignants qui ont un parcours universitaire parfois très long, qui est le fruit aussi des difficultés que nous avons sur l’orientation post-bac, il faut dire les choses, et qui compte tenu de la structure de rémunération et ensuite des missions qui sont les leurs, pourrait en quelque sorte être construit collectivement différemment, ce qui serait mieux pour eux et mieux pour la Nation entière. Donc vous l’avez compris, le sujet de la formation des enseignants, je souhaite qu’on le reprenne à bras le corps, fondamentalement, et qu’on assume aussi qu’il y a des sujets fondamentaux sur lesquels on a assumé de reformer ou d’accompagner les enseignants, comme le sujet de la laïcité, qui doivent faire partie de l’enseignement fondamental de celles et ceux qui sont devant les enfants dans la République ; et donc, mieux l’organiser, y mettre plus de moyens, un système de reconnaissance et le revaloriser“.

Nous vivons dans un pays où Samuel Paty fut assassiné naguère, lors du premier mandat du Président. Mais celui qui se présente devant les recteurs est d’abord le premier président qui a fait toute sa scolarité après la réforme Haby, cette réforme catastrophique, mise en place par un gouvernement de droite, qui a scellé pour de longues décennies l’emprise des désastreuses idées véhiculée depuis le plan Langevin-Wallon de 1945, et qui ont produit le contraire de ce qu’elles prétendaient: l’école devait être plus juste socialement, permettre l’accès de tous à un haut niveau d’éducation, mettre de la joie dans la transmission des savoirs…

Et il est intéressant de noter que l’oeuvre destructrice a atteint jusqu’aux sommets de la société. Le président qui parle devant les recteurs, prononce des phrases creuses et alambiquées. Mais a-t-il au fond moins de confusion dans le cerveau que nos jeunes de banlieues? 

Le collège unique a fait imploser l’école. Mais il a bien joué son rôle d’unification sociale – vers le bas et non vers le haut. Le président qui a fait matraquer les Gilets Jaunes, proposé une réforme des retraites  qui méritait un zéro pointé, totalement cafouillé face au Covid-19, qui est complètement dépassé par la guerre en Ukraine, ce président a été mis par les hasards du destin à un poste où il peut prononcer de longues bafouilles, exiger, ordonner etc…. mais il n’a pas pour exercer cette fonction de compétence qui le distingue des concitoyens qui sont passés comme lui à la broyeuse de la réforme Haby. 

Les mots qui ne sont jamais prononcés dans le discours

J’arrêterai ici le jeu de massacre. Ce discours sans queue ni tête débouche sur une palinodie: faites nous confiance, nous allons enfin mettre en place une vraie autonomie pour les établissements scolaires. Comme si ce n’avait pas été amorcé – sérieusement – durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy; aboli par Hollande; prôné par Jean-Michel Blanquer durant Macron I ! Mais l’essentiel n’est pas là. 

Voilà le représentant suprême de la nation qui vient parler devant les recteurs et ne dit pas un mot de l’enseignement privé. 

Qui veut mettre de l’autonomie dans le système mais ne parle que de l’Education Nationale. Comme si l’enseignement secondaire privé – qui concerne 17% des élèves –  ne jouait aucun rôle dans le maintien à flot d’une partie des élèves de la nation. Il faut dire que cela pourrait paraître gênant quand on a un ministre de l’Education, Pap N’Diaye,  dont les enfants sont scolarisés à l’école alsacienne

Plus sérieusement, voilà le digne fils de ce “grand service public unifié et laïc de l’école” dont certains avaient rêvé sous François Mitterrand. 

En réalité, cet homme né sous Giscard, lorsqu’il arrive à articuler une pensée, le fait dans les termes d’il y a quarante ans. André Chénier disait “Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques”. Macron, lui, jargonne pseudo-moderne sur des idées de vieillard. 

Quand il évoque les familles, c’est uniquement pour mentionner celles qui ne tiennent pas le coup; pas un mot, en revanche, pour la contribution des familles à l’éducation. Pas un mot pour encourager toutes les initiatives privées qui ne demandent qu’à fleurir; toutes ces associations qui portent des projets d’écoles, souvent avec peu de moyens. Et pourtant, c’est d’elles, c’est de leur multiplication, que viendra le salut pour l’éducation scolaire en France. Voulez-vous de l’autonomie? Faites du “bottom up”! (Pour parler “startup nation”). On pourrait se moquer de notre Petit Timonier en lui suggérant: “Que cent fleurs s’épanouissent! Que cent écoles rivalisent”. 

Le salut de l’école ne viendra pas d’abord de l’Etat mais de la société. 

Mais, finalement, on comprend bien pourquoi Emmanuel Macron n’en veut pas. Comme il le dit lui-même dans son discours, ce qui lui importe, c’est son “Conseil national de la refondation”. Que le Président devrait plus honnêtement appeler “Conseil national du Grand Reset”.  Et pour cela, même usé, le système de l’Education nationale est préférable à un système scolaire vraiment libre! 


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