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Dimanche, 22 Déc. 2024

Presse anti-système contre Ordre mondial

Auteur : Bernard Dugué | Editeur : Stanislas | Mardi, 06 Août 2013 - 22h24

L’année 2013 pourrait être singulière, non pas pour quelques événements spectaculaires ni quelques faits politiques ayant une incidence majeure mais parce qu’une prise de conscience inédite semble advenir, celle d’un mouvement intellectuel planétaire, diffusé pour l’essentiel par le Net, et qu’on nommera sans hésitation la « mouvance anti-système ». Cette mouvance n’a pas d’orientation bien définie et de plus, elle n’est pas du tout organisée bien que certains sites puissent jouer un rôle de portail. En vérité, les mouvances anti-système sont assez hétéroclites, diversifiées à hauteur des spécificités singulières de la plupart des acteurs qui ne sont inféodés à aucune idéologie ni mouvement politique ni même association. D’ailleurs, certaines positions anti-système sont inconciliables.

Pour l’instant une vision claire et circonscrite de la mouvance anti-système est exclue et même proscrite car le propre de cette position est d’être contre toutes les positions sans en prendre aucune de manière définitive ni en imposer une autre. La pensée se veut affranchie des cadres conventionnels envers lesquels on prendra comme position de principe le soupçon, celui de défendre des intérêts privés, des intentions factieuses, des jeux de connivences et nombre d’opération n’ayant pas comme finalité l’éthique et le souci de l’humain. On trouvera ainsi dans cette mouvance les lanceurs d’alerte, ceux qui donnent matière à réfléchir pour contester le système, avec des champs assez bien définis, ceux de la santé, de la surveillance numérique, de la corruption des pouvoirs politiques et bien évidemment un thème devenu contemporain, celui de la défiance vis-à-vis des médias de masse. C’est peut-être ici un point de mystérieuse connivence entre les acteurs de la presse anti-système dont les effets à petite dose finissent par se concrétiser par une opinion publique de plus en plus défiante face aux informations données par les grandes messes médiatiques, même si leurs rédacteurs se plaisent, en risquant une coquetterie déontologique, à se discréditer de temps à autre pour jouer la fausse transparence et la camaraderie bienveillante à l’égard du téléspectateur pris pour un pote à qui l’on confie quelque tuyau. Le journal Le Point vient justement de sortir un numéro consacré à la manipulation des gens.

On ne confondra pas la mouvance anti-système avec les mouvements anti-mondialistes de l’époque post-communiste, vite devenus altermondialistes. L’acteur anti-système ne condamne pas la mondialisation ni même la globalisation, car il réfléchit plus loin et comprend deux choses, la première c’est que la globalisation n’a rien d’immoral ni de condamnable et ne décrit qu’un phénomène de surface sans accéder aux ressorts psychosociaux du « Système » ; la seconde, c’est que cette globalisation peut s’avérer utile au mouvement anti-système. Notamment grâce aux moyens du numérique.

De Attac à Edward Snowden

Un rapide retour sur les années 1990 s’impose afin de bien cadrer la place de l’altermondialisme dont l’un des acteurs majeurs a été le mouvement Attac, parti de France, patrie s’il en est des zintellectuels engagés, avec une présence somme toute assez limitée puisque les zones d’influence de cette association se réduisent à une bonne vingtaine de pays européens auxquels on ajoute quelques pays africains et surtout latino-américains, ce continent ayant pris un virage « socialisant » après les épisodes des juntes. Mon opinion est assez tranchée. Attac est plus une structure de parti qu’un réel mouvement émancipateurs et défiant vis-à-vis du système. L’origine politique et syndicale de ses membres présents lors de la fondation en 1998 ne pouvait que laisser augurer une récupération par le système. Ceux qui connaissent l’œuvre de Robert Michels ne seront pas surpris de l’issue d’Attac qui récemment a pu organiser un forum social en grappillant les aides de l’Etat et des collectivités locales, alors que la taxe Tobin, une de plus et complètement stérile, est devenue à l’ordre du jour dans les cercles politiques socialisants. Attac incorpore dans ses troupes nombre de personnes avides d’un certain pouvoir et voulant participer au contrôle et à la régulation du système plutôt qu’à tracer une critique radicale du système. La taxe Tobin permet au système de se maintenir. Au final, Raymond Aron aurait vu dans les ultralibéraux et leur ennemi d’Attac les deux face d’un même système « technicien », comme ce fut le cas dans les années 1960 avec les deux blocs industriels.

J’ai assisté à une réunion d’Attac. Ses sympathisants semblaient bien plus préoccupés par le montant de leur retraite que par la misère du monde. Alors que le bourgeois du 19ème siècle se donnait bonne conscience en assistant aux offices religieux, le bourgeois du 21ème siècle s’encanaille au bistrot des amis du Monde Diplo en écoutant Daniel Mermet.

Les luttes sociales et politiques ont souvent quelques icônes. La mise en perspective de José Bové et Edward Snowden livre quelques indices forts sur les mouvances contestataires des deux décennies. D’un côté le démontage d’un McDo à Millau sur fond de querelle alimentaire opposant le roquefort français au bœuf hormoné américain. De l’autre, la fuite de documents NSA classés secret défense. On comprend que ces deux événements sont sans commune mesure. Si les faits commis par Snowden peuvent être définis comme une attaque anti-système, on voit que cette attaque se place au plus près des structures contrôlant le système et que l’impact s’avère planétaire, contrairement au démontage de Bové qui ressemble à une fronde de village gaulois. Une convocation chez le juge et trois mois de prison. Snowden risque beaucoup plus. Impact total. Tension entre la Chine, la Russie et les Etats-Unis et même un avion présidentiel bolivien détourné. C’est une toute autre dimension, avec un impact au sein même de l’Amérique, les blogs en effervescence et même des répercussions au Congrès devant lequel le général Alexander a dû s’expliquer sur la surveillance menée par la NSA. Plus généralement, c’est au pays le plus avancé du Système (pour ne pas dire le pays du Système) que se dessine peu à peu la contestation anti-système la plus aboutie.

Vous noterez que je n’ai pas employé la notion de nouvel ordre mondial car cet ordre n’a rien de nouveau sauf dans la représentation qu’on commence à s’en faire avec les médias alternatifs. Autrement dit, ce qui est nouveau, c’est la mouvance anti-système dans sa version élaborée et plutôt instruite pour ne pas dire savante. Car les acteurs anti-système sont aussi compétents que ceux du système. De plus, l’ordre mondial ne se résume pas à quelques connivences entre dirigeants planétaires. L’ordre mondial est local, par exemple dans les normes imposées ici par Bruxelles ou bien les séances de cinéma au Mégarama de quartier.

Pensée anti-Système

Sans doute, les Etats-Unis offrent des angles d’attaque assez consistants avec leurs excès mais aussi une population pour une part très bien instruite avec des universités où l’on apprend à forger son opinion ce qui finit par fournir une cohorte de jeunes internautes très au fait des données et décidés à en découdre avec la pensée officielle délivrée par les autorités et véhiculée par les médias de masse devenus suspects. L’Etat fédéral est également une cible où se mêlent extrême-droite d’origine Wasp, des libertariens à l’ouest et nombre d’intellectuels anti-système à l’est. Bref, un mélange assez hétéroclite mais pas si étonnant puisque chez nous, lors de la fronde contre le TCE qui s’apparente à un rejet du système, se sont retrouvés les extrêmes, gauchistes anti-capitalistes et droitistes nationalistes. En résumé, le Système génère une pensée anti-système. Ce phénomène est inhérent à la nature humaine. Mais le Système sait aussi absorber ce qui à l’origine lui est étranger, comme les Rolling Stones bad boys en 1960 puis célébrés dans les défilés de mode. Ces constats ne résolvent pas la question fondamentale. Quid du Système ? Et pourquoi faudrait-il développer une mouvance anti-Système ?

Une première piste consiste à prendre note d’un fonctionnement oppressif du Système, autrement dit, un asservissement généralisé dont le mécanisme passe par les consciences individuelles avec force publicités, propagandes et manipulations. Ensuite, le Système fonctionne avec l’appui des techniques et enfin, il est administré par les gouvernants alors que les secteurs oligarchiques tirent profit de l’asservissement. On peut y ajouter les systèmes bureaucratiques. Quelques autres motifs pour une pensée anti-système se précisent.

La pensée passera de l’anti à l’alter, faute de quoi elle n’a pas d’applications pratiques. Pour ma part, la position anti-système est plus une option ontologique qu’idéologique. Il est question de développer le genre humain, son essence, avec l’hypothèse de la possibilité de deux genres, le premier affranchi et le second domestique. Dans l’option Système, l’homme est domestiqué pour œuvrer et penser au sein du Système. L’autre option suppose que l’homme est affranchi du Système dont il dépend néanmoins pour les moyens matériels. Dans le premier cas, l’homme est un moyen pour le Système, dans le second c’est le Système qui est moyen pour l’homme qui détermine et assure ses fins.

Enfin, quelques indications sur les champs ciblés par la presse anti-système, certains étant assez conventionnels comme la finance et ses excès. Plus généralement, la presse anti-système observe tous les abus de pouvoir ou de position, dans la politique, la santé, les instances dirigeantes bureaucratiques, le business vert. L’OMS comme l’Agenda 21 sont dans le collimateur anti-système, avec la NSA, les systèmes de surveillances, les informations partiales livrées par les médias de masse, l’industrie mainstream au service de la sous culture, l’enseignement qui gâche les beaux esprits… Un fait à noter, la mouvance anti-système semble avoir gagné les scénarios concoctés à Hollywood. L’Etat fédéral n’est plus cette instance suprême luttant contre les forces du mal mais il est devenu l’origine du mal. Récupération ?

Pour finir, quelques liens hétéroclites parmi la nombreuse présence appuyée de cette presse anti-système qui n’a pas bonne presse auprès des médias de masse, mais qui parfois déteint et finit par entrer dans le système. Vous trouverez l’info si vous la cherchez et vous comprendrez pourquoi j’ai écrit ce billet. La France paraît un peu en retrait dans ce mouvement. Agoravox fait partie de cette presse anti-système et c’est pour cette raison que les médias français boycottent ce qui s’y pense et s’écrit avec des auteurs affranchis de la tutelle du système.


- Source : Bernard Dugué

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