Prise de contrôle de l’aide à Gaza, ou le cheval de Troie américano-israélien

Alors que plus d’un demi-million de personnes à Gaza est au bord de la famine et que les organisations humanitaires mettent en garde contre une “famine imminente”, Israël a accepté d’autoriser un nombre symbolique de camions d’aide humanitaire à entrer dans l’enclave assiégée. Mais ce qui entre actuellement à Gaza n’est pas de l’aide humanitaire, c’est un cheval de Troie.
Un nouveau programme d’aide privé soutenu par les États-Unis et composé d’anciens agents de la CIA, d’anciens marines et de mercenaires liés aux services du renseignement israéliens et aux élites de Wall Street a été déployé à Gaza sous prétexte d’apporter de l’aide. Ce projet est dirigé par une ONG obscure enregistrée en Suisse il y a quelques mois seulement, et les groupes de défense des droits humains le qualifient pour ce qu’il est : une prise de contrôle ostensible du secteur de l’aide humanitaire, destinée à militariser l’aide, à déplacer les civils et à tirer profit de l’agonie de Gaza.
Au cœur de ce projet se trouve la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), une organisation à but non lucratif créée en février et financée par les autorités israéliennes. Alors que Gaza a besoin d’au moins 500 camions d’aide par jour pour répondre aux besoins essentiels, l’armée israélienne n’en a autorisé que 1 % à entrer cette semaine.
La GHF, qui contrôle désormais l’opération, a été lancée par des individus sans aucune expérience dans le domaine humanitaire : David Papazian, ancien membre de l’Armenian National Interests Fund, Samuel Marcel Henderson et David Kohler, PDG de Kohler Co. Ce sont des chefs d’entreprise, pas des humanitaires.
Selon une proposition interne divulguée en mai, la GHF prévoit de créer quatre “centres de distribution sécurisés” à Gaza, qui ne pourront nourrir qu’une fraction de la population (300 000 personnes), tout en permettant à l’armée israélienne et à ses sous-traitants d’exercer un contrôle total sur les opérations.
Procédure accélérée et condamnation immédiate
Ce modèle d’aide humanitaire privatisée a été approuvé en urgence par les ministres israéliens et immédiatement condamné par Amnesty International Suisse, qui l’a qualifié de tentative de “militarisation de la distribution de l’aide humanitaire” et a déclaré que les centres de distribution prévus dans le projet ressemblent au concept israélien de “zone de sécurité” utilisé pour mener des opérations de nettoyage ethnique.
Jens Laerke, porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), a déclaré que la GHF a menacé l’ONU d’expulsion si elle refuse de coopérer.
“Ils vont prendre le contrôle pour militariser l’aide”,
a déclaré M. Laerke aux journalistes à Genève.
Une source du gouvernement américain s’exprimant sur France 24 a qualifiéce projet d’“idée éminemment israélienne”, ajoutant qu’il est “moins sûr” et “plus meurtrier” que le projet avorté de ponton flottant de l’administration Biden, un projet coûteux qui a finalement servi à soutenir une opération militaire israélienne qui a massacré près de 300 civils palestiniens.
Le nouveau directeur exécutif de la GHF est Jake Wood, un ancien sniper des Marines américains devenu entrepreneur spécialisé dans les catastrophes. Après avoir servi en Irak et en Afghanistan, M. Wood a fondé Team Rubicon, une ONG qui s’est fait connaître en Haïti après le tremblement de terre de 2010.
Mais Team Rubicon n’est pas un groupe d’aide humanitaire ordinaire. Il est étroitement associé à Palantir Technologies, une société de surveillance des données soutenue par la CIA qui équipe l’armée israélienne de capacités de ciblage avancées. Son conseil d’administration comprend l’ancien directeur de la CIA David Petraeus et des bailleurs de fonds de Goldman Sachs. Les anciens présidents George W. Bush et Bill Clinton ont publiquement approuvé son travail.
La proposition de la GHF prévoit de collaborer avec la Truist Bank et JPMorgan Chase, et suggère que Goldman Sachs contribue à la mise en place de l’infrastructure financière de l’organisation.
En matière de sécurité, la GHF sous-traite la protection de ses centres d’aide à des sociétés militaires privées basées aux États-Unis, dont certaines sont directement liées au ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer. Deux sociétés ont déjà été validées.
Ron Dermer s’exprimant lors de la célébration de la fête de l’indépendance à l’ambassade d’Israël à Washington, le 22 mai 2019. (Département d’État / © Michael Gross/ Domaine public)
L’une d’elles, Safe Reach Solutions, est dirigée par Philip F. Reilly, un ancien chef paramilitaire de la CIA qui a déjà travaillé pour Constellis, la nouvelle mouture de Blackwater. Si Erik Prince, le tristement célèbre fondateur de Blackwater, ne semble pas avoir de lien direct avec la GHF, sa nouvelle société mercenaire, Reflex Responses, a déjà été pressentie pour sécuriser le checkpoint de Rafah à Gaza.
La deuxième société, UG Solutions, a embauché environ 100 anciens soldats des forces spéciales au début de l’année pour contrôler les véhicules à Gaza. Ils auraient été payés 1 000 dollars par jour, avec une prime initiale de 10 000 dollars. UG Solutions est dirigée par Jameson Govoni, ancien agent des forces spéciales et cofondateur de la Sentinel Foundation.
Ces prestataires auraient également participé au déploiement d’effectifs dans le couloir de Netzarim, une voie coupant Gaza en deux, durant un récent cessez-le-feu. Leur présence sur le terrain – tout comme l’opacité de leur financement – marque un nouveau cap de la campagne américano-israélienne visant à soumettre Gaza non seulement grâce aux bombes, mais en contrôlant les besoins les plus vitaux : la nourriture, l’eau et les déplacements.
Même l’allié régional le plus proche d’Israël, les Émirats arabes unis, a refusé de participer à ce projet, vraisemblablement en raison de ses implications politiques délétères.
Ce projet ne tombe pas du ciel. Depuis des années, les États-Unis et Israël s’efforcent de discréditer l’UNRWA, la principale agence d’aide humanitaire de l’ONU en Palestine. L’administration Biden a décidé de geler son financement, tandis qu’Israël a pris des mesures pour l’interdire définitivement. C’est pour combler ce vide que la GHF et son armée de mercenaires ont émergé, non pour venir en aide aux Palestiniens, mais pour gérer plus efficacement leur déplacement.
Grâce aux dollars des contribuables américains injectés aux anciens agents des services du renseignement, aux financiers mondialistes et aux mercenaires, la Gaza Humanitarian Foundation incarne la convergence entre la surveillance de la Silicon Valley, la spéculation de Wall Street et les objectifs militaires sionistes.
Image en vedette : Un travailleur humanitaire de l’UE à Gaza, le 5 février. (Protection civile et aide humanitaire de l’UE/ Flickr/ CC BY-NC-ND 2.0)
Traduit par Spirit of Free Speech
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L'auteur, Robert Inlakesh, est un analyste politique, journaliste et réalisateur de documentaires basé à Londres. Il a vécu et travaillé comme reporter dans les territoires palestiniens occupés et anime l’émission « Palestine Files ». Il est le réalisateur de « Steal of the Century: Trump’s Palestine-Israel Catastrophe » (Le vol du siècle : la catastrophe palestino-israélienne de Trump). Suivez-le sur Twitter @falasteen47
- Source : MintPress News