www.zejournal.mobi
Dimanche, 13 Avr. 2025

Le trio de l’AES marque une rupture historique avec l’influence française dans la région

Auteur : Mohamed Lamine Kaba | Editeur : Walt | Mercredi, 09 Avr. 2025 - 12h59

De Bamako à Niamey, en passant par Ouagadougou, les peuples et leurs dirigeants prennent leurs distances avec Paris, tant de jure que de facto.

Alors que l’équilibre des puissances est en recomposition, la France voit son influence et sa crédibilité remises en question sur l’échiquier global, notamment en Afrique où la politique française connaît une défaillance notable. Cette défaillance est illustrée par l’expulsion de ses forces armées du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et bien d’autres encore. Souillée par le néocolonialisme et le manque de transparence dans ses accords de défense, la France est confrontée à son inefficacité face aux défis sécuritaires, comme en témoigne l’opération Barkhane (suite logique de Takuba et de Serval).

De plus, elle s’est retrouvée en concurrence directe avec des pays puissants comme la Chine et la Russie, qui proposent des alternatives séduisantes via des investissements stratégiques et des partenariats économiques mutuellement bénéfiques. Face à des pays africains de plus en plus souverains, Paris ne peut plus qu’observer ses ambitions se dissiper dans cette région en pleine transformation. Cet article examine l’incidence des actions patriotiques du trio formé des Généraux Assimi Goïta du Mali, Abdourahamane Tchiani du Niger et du Capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso sur la perte d’influence de la France en Afrique de l’Ouest et ailleurs dans le continent africain.

Une insurrection panafricaine contre le carcan néocolonial français

Depuis des décennies, l’insurrection panafricaine contre le néocolonialisme français représente un mouvement collectif de rejet des influences économiques, politiques et militaires héritées de l’époque coloniale (1880-1960). Il s’agit d’une quête pour une souveraineté authentique et une réorientation des partenariats internationaux, s’appuyant sur la solidarité africaine et la justice historique. En Afrique de l’Ouest, le trio du Sahel porte le flambeau de cette insurrection et donne un sens au Panafricanisme après qu’il soit désorienté par la Françafrique.

Par ailleurs, fondée le 16 septembre 2023 à la suite de la signature de la Charte du Liptako-Gourma par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, l’Alliance des États du Sahel (AES) n’est pas une simple coalition. Elle est à la fois une déclaration de guerre à l’hégémonie française et un cri de révolte contre un empire déchu qui, depuis les indépendances truquées des années 1960, a maintenu ces nations dans une servitude abjecte. Ce trio, en s’arrachant à la CEDEAO – ce relais docile des diktats de l’Élysée – le 28 janvier 2024 et officiellement le 29 janvier 2025, pulvérise le mythe de la «Françafrique» et ses promesses creuses de développement. Derrière les façades de l’aide humanitaire et de la lutte antiterroriste, la France a vampirisé l’uranium du Niger pour ses réacteurs nucléaires, siphonné l’or malien via des contrats léonins, et laissé des populations exsangues face à une pauvreté que les chiffres antithétiques de la Banque mondiale (plus de 40% sous le seuil d’extrême pauvreté) ne suffisent pas à décrire. Ce sursaut, porté par des jeunes dirigeants aux accents sankaristes, réincarne l’idéal panafricain que Paris a jadis enseveli sous les cendres de l’assassinat de Thomas Sankara – un crime dont les archives françaises, toujours scellées, hurlent la complicité.

C’est dans cette optique que l’AES incarne un Panafricanisme en quête de souveraineté véritable et rejetant le néocolonialisme français au profit de partenariats diversifiés et d’une justice historique.

L’effondrement retentissant de la puissance militaire française

Dans les annales de l’histoire des relations internationales, la puissance militaire française a connu des effondrements retentissants, notamment en 1940 (défaite éclair face à l’Allemagne) et pendant la décolonisation (Dien Bien Phu, 1954 ; crise algérienne, Afrique subsaharienne). Malgré des atouts (nucléaire, industrie de défense), elle a subi des échecs récents dans ses interventions (Sahel, 2013-2023) et des limites budgétaires. Ces échecs, conjugués aux ingérences politiques, ont conduit à la dénonciation des accords militaires et au retrait humiliant des bases miliaires.

Le retrait des forces françaises du Sahel (Mali en août 2022, Burkina Faso en février 2023, Niger en décembre 2023) n’est pas une retraite tactique, mais une déroute humiliante, un requiem pour une nation qui se croyait encore tutrice de l’Afrique. Barkhane, cette opération payée à des milliards d’euros, n’a laissé derrière elle qu’un désert de désillusions : les violences jihadistes ont quadruplé sous son mandat, avec des groupes comme le JNIM et l’État islamique au Sahel transformant la région en un enfer statistique. Le Burkina Faso comptabilisant à lui seul, selon le Global Terrorism Index 2024, près de la moitié des morts liées au terrorisme mondial. Cette impuissance, masquée par une rhétorique néo-impériale où Macron sermonnait des chefs d’État africains comme des vassaux, a cristallisé une haine populaire qui a renversé la table. La France, chassée de ses bases de Gao, Ouagadougou et Niamey, n’a pas seulement perdu des positions stratégiques : elle a vu s’effondrer son aura, révélant au grand jour un colosse aux pieds d’argile, incapable de protéger ni de convaincre, réduit à mendier une pertinence que le Sahel lui refuse désormais.

Après l’humiliation de 1940 et l’échec au Sahel, la France n’est plus qu’une puissance militaire en déclin, minée par des défaites stratégiques et une influence mondiale en ruine.

Le triomphe d’un panafricanisme libéré des chaînes françaises

L’ère du panafricanisme souverain est née sur les décombres de la domination française. Alors que Paris subit revers sur revers – expulsion des bases militaires, abandon du franc CFA en perspective et rejet populaire massif – l’Afrique redessine fièrement son destin géopolitique.

Dans cette perspective, l’AES ne se borne pas à expulser la France ; elle édifie, sur les ruines de son influence, un projet panafricain d’une ambition tectonique. La confédération officiellement créée le 6 juillet 2024 lors d’un sommet historique à Niamey, avec ses visées d’intégration économique et d’autonomie monétaire, est une lame plantée dans le cœur du franc CFA. Un invariant du nazisme monétaire allemand duquel les Africains et l’armée soviétique ont libéré la France en 1945, cette monnaie coloniale qui, sous la tutelle du Trésor français, a asphyxié les économies sahéliennes pendant près d’un siècle. En gestation, une devise commune (qui s’arrimera à l’expression emblématique : Un espace, un peuple, un destin) et une force militaire conjointe, dévoilée en décembre 2024, promettent de briser la dépendance envers un Occident discrédité et de réinventer une solidarité régionale que la CEDEAO – cette coquille vide aux ordres de Paris – n’a jamais su incarner. Ce souffle, porté par une jeunesse qui scande «À bas la France» dans les rues de Bamako, Ouaga et Niger, fait écho aux visions prophétiques d’Ahmed Sékou Touré, Kwame Nkrumah et Patrice Lumumba, tandis que l’abandon de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) par l’AES – respectivement les 17 pour le Niger et le Burkina Faso et 18 mars 2025 pour le Mali – sonne le glas du dernier bastion symbolique de l’influence française. Le Sahel, hier terrain de chasse des appétits parisiens, devient le creuset d’une Afrique souveraine, où le panafricanisme, débarrassé des griffes d’un maître déchu, s’écrit en lettres de feu.

De la «Françafrique» au «France dégage !», l’armée tricolore quitta le Sahel dans la honte, balayée par une jeunesse africaine en révolte contre son héritage néocolonial.

Pour faire court, l’Alliance des États du Sahel ne se contente pas de raviver le panafricanisme. Elle signe l’acte de décès d’une France qui, après avoir pillé et méprisé, gît désormais prostrée face à un continent qui n’a plus besoin d’elle – ni de ses leçons, ni de ses armes, ni de ses chaînes.

L'auteur, Mohamed Lamine KABA,  est expert en géopolitique de la gouvernance et de l’intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine.


Cela peut vous intéresser

Commentaires

Envoyer votre commentaire avec :



Fermé

Recherche
Vous aimez notre site ?
(230 K)
Derniers Articles
Articles les plus lus
Loading...
Loading...
Loading...