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Samedi, 22 Févr. 2025

Information : la vérité à géométrie variable

Auteur : Pierre Lorrain | Editeur : Walt | Vendredi, 21 Févr. 2025 - 14h35

En matière d’information, il est rare de tomber sur un cas d’école chimiquement pur, sur un exemple de distorsion de la réalité tellement flagrant que ses auteurs devraient se couvrir de cendres et s’exiler en ermites au fond d’une forêt sombre dans le coin le plus reculé de l’univers. Mais, par les temps de relativisme qui prévalent, il n’est même pas sûr que le rouge leur monte aux joues tellement ils ont été vaccinés de la honte.

Quel est le corps du délit ? Depuis 2022 et le début de l’intervention russe en Ukraine, la presse écrite et audiovisuelle nous serine la même histoire avancée par la plupart des responsables politiques occidentaux : avec un PIB équivalent à celui de l’Espagne, la Russie n’est pas en mesure de soutenir longtemps sa guerre et elle ne va pas manquer de s’effondrer, là, tout de suite ou, au plus tard dans quelques jours. D’ailleurs, on en voit les signes avant-coureurs. Si, si ! l’économie russe est tellement mal en point que les usines d’armement sont obligées de récupérer des puces de machine à laver pour équiper leurs équipements militaires !

Évidemment, cet exemple, donné par la tsarine européenne Ursula von der Leyen le 14 septembre 2022, n’est plus tellement repris, mais le narratif continue d’exister : maintenant, c’est l’exportation vers la Russie de consoles de jeux vidéo et leurs accessoires (manettes, joysticks et dispositifs de contrôle) que l’Union européenne veut interdire dans le cadre de 16e paquet de sanctions (il doit entrer en vigueur autour du 24 février prochain) : ils pourraient être utilisés par l'armée russe pour contrôler des drones dans le conflit en Ukraine, n’est-ce pas ?

C’est d’ailleurs la croyance dans ce narratif de la faiblesse économique de la Russie (« une station-service déguisée en pays », selon l’expression de feu le sénateur John McCain) qui a poussé de nombreux hommes politiques occidentaux, parmi lesquels l’inénarrable Bruno Le Maire, à annoncer l’effondrement de l’économie russe.

Évidemment, comme sœur Anne du conte de Charles Perrault, personne ne voit rien venir. Et cela fait bientôt trois ans que cela dure. Pourtant, des spécialistes sérieux de l’économie russe, comme Jacques Sapir (dont on peut suivre avec intérêt les articles ici), expliquent que la puissance d’une économie doit se calculer en parité de pouvoir d’achat (PPA) pour pouvoir être efficacement comparée avec celle d’autres pays. Or, si l’on retient ce critère, aussi bien le FMI que la Banque mondiale et même la CIA donnent la Russie comme la quatrième économie mondiale derrière la Chine, les États-Unis et l’Inde, mais devant le Japon et l’Allemagne (chiffres de 2023). La France se trouve en 9e position et l’Espagne (utilisée comme étalon) en 15e.

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« Pas du tout ! Pas du tout ! » s’écrient les fanatiques qui croient dur comme fer dans l’effondrement (et qui sont généralement élevés en batterie sur les plateaux de chaînes d’info comme LCI). « Il n’y a que le PIB nominal qui compte ! Un point c’est tout ! Et puisque la Russie est au niveau de l’Espagne, elle ne peut pas continuer à soutenir l’effort de guerre ! »

Ils sont comme des nomades du désert sidérés à la vue des chutes du Niagara et qui attendent que toute cette eau s'arrête de couler (1).

Pourtant, l'adage qui veut qu’on ne soit jamais trahi que par les siens est une nouvelle fois confirmé : le magazine Challenges, l’un des piliers de la presse économique française, a publié le 19 février un article intitulé : « Les vrais chiffres du budget de défense russe ». L’auteur, Vincent Lamigeon, explique très clairement que le chiffre généralement admis du budget russe de la défense (145,9 milliards USD en 2024) ne rend pas compte de la réalité de l’effort de guerre. En se fondant sur un calcul en parité de pouvoir d’achat, il parvient à la conclusion que la Russie dépense pour son armée sensiblement l’équivalent du budget cumulé des trente membres européens de l’OTAN (Turquie incluse), c’est-à-dire 476 milliards USD en 2024.

Et il explique exactement ce que les tenants des calculs en PPA s’évertuent à dire depuis trois ans : « La raison est simple : on n’achète pas la même quantité d’armement avec un dollar en Russie et aux États-Unis ou en Europe. » En cause : le coût bien inférieur des matières premières, de la main-d’œuvre, de l’énergie et de l’entretien des matériels, sans oublier que les entreprises d’armement russes sont pour la plupart détenues par l’État. Leurs marges sont en conséquence très faibles car elles n’ont pas à entretenir des actionnaires gourmands et des nuées de parasites qui peuplent le Deep State étatsunien et que les Français nomment d’une expression plus parlante mais tombée en désuétude : « les copains et les coquins » !

Mais, chers lecteurs, ne vous inquiétez pas. Pour montrer à quel point la Russie est dangereuse, les calculs en PPA sont les bienvenus, mais on continuera à expliquer que l’économie russe, victime du syndrome espagnol, est sur le point de s’effondrer.

Note:

(1) J’emprunte cette image à Andreï Gratchev (La chute du Kremlin, Hachette, 1994).


- Source : Pierre Lorrain

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