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Lundi, 10 Févr. 2025

America First : les Etats-Unis contre le «droit de l'hommisme» ou à la recherche d'un nouvel instrument ?

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Vendredi, 07 Févr. 2025 - 15h11

Le droit de l'hommisme est non seulement le fondement "moral" du monde de l'après-guerre, mais aussi le fondement de la politique américaine du roll back, la base de la bonne conscience de la globalisation, l'instrument central du soft power américain depuis la chute de l'Union soviétique. Or, Donald Trump vient de prendre trois décisions, qui lui portent un coup sévère : la réduction drastique de l'USAID, la sortie du Conseil des droits de l'homme de l'ONU et les sanctions contre la CPI. Y a-t-il une remise en cause profonde de la politique d'ingérence ou ne serait-ce pas plutôt une rationalisation du système américain d'ingénierie politique, quand le droit de l'hommisme a objectivement perdu toute crédibilité ?

Chaque jour apporte sa portion de trumpisme. Il est vrai que le Président américain a deux ans pour agir, s'il veut obtenir quelques résultats, puisque ensuite s'enchaînent les cycles électoraux et les campagnes.

L'USAID

La première décision à avoir surpris, fut celle de la suspension de l'USAID. L'USAID était la pieuvre de l'ingérence mondiale américaine. Elle finançait les ONG pro-globalistes à travers le monde, afin de renverser les gouvernements non-compatibles. Elle finançait les journalistes au nom de la "liberté de la presse", sachant que la presse ne peut être libre, que lorsque les journalistes reprennent la ligne atlantiste et défendent les intérêts globalistes. De cette manière, l'USAID d'un côté contrôlait les élites et, d'un autre côté, formait l'opinion publique. Seulement, cette ingénierie politique s'est trop radicalisée et elle est devenue inefficace. 

La seule apparition du logo USAID discréditait l'institution bénéficiaire. Les lois sur le financement des ONG et des médias a porté un coup sévère à son activité. Elle est devenue un instrument très couteux à l'efficacité désormais très discutable.

Le moment est donc venu de faire amende honorable, on ouvre les fichiers, Musk se positionne en grand champion de la liberté et ouvre les informations (qui ne sont qu'un secret de polichinelle dans leur ligne générale), l'USAID est placée sous la direction directe du Secrétaire d'Etat et ses effectifs vont être réduit à leur minimum vital (donc l'agence ne sera pas fermée - qui sait, elle peut encore servir) :

L’administration Trump prévoit de conserver seulement environ 290 des plus de 10 000 employés de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), selon trois personnes au courant des réductions d’effectifs prévues.

Bref, grand moment d'euphorie, sans effets négatifs pour les Etats-Unis, qui redorent ainsi à l'international leur blason passablement boueux. 

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU

Le second coup est porté au Conseil des droits de l'homme, une institution de l'ONU, dont le rôle est celui de promoteur de l'idéologie droit de l'hommiste. Autrement dit, c'est une institution, qui de toute manière, dans la logique d'un monde americano-centré, ne peut jouer contre les Etats-Unis. Et justement, les Etats-Unis n'en sont pas membres, ils ne sont qu'observateurs. 

Le 4 février, Trump signe en fanfare un décret portant retrait des Etats-Unis du Conseil des droits de l'homme et toute la blogosphère pro-Trump s'emballe : notre héros a encore parlé ! Hourra ! Vive la souveraineté ! Comme si cela concernait leur pays ... Passons. Ils sont contents de leur nouveau maître.

Le problème est que Trump a fait sortir des Etats-Unis d'une structure, dont ils ne faisaient pas partie. Et comment sortir du statut "d'observateur", c'est une autre question, qu'il n'a finalement pas réglée. De toute manière, le Conseil des droits de l'homme fonctionne parfaitement sans les Etats-Unis, il est rôdé et si jamais besoin est de faire passer un message, il passera. 

Mais l'image des Etats-Unis continue à se restaurer sur la scène internationale, ce qui renforcera leur puissance.

La CPI

Enfin, l'annonce tombe de sanctions portées contre la CPI, et ceux qui faciliteraient son action, dans un décret présidentiel du 6 février. La CPI est l'instrument de soft power globaliste devant porter la justice pénale internationale à un niveau supra-étatique, en permettant de juger pénalement les dirigeants en fonction (et non plus les anciens dirigeants). C'est une "justice", qui s'immisce à l'intérieur de l'Etat, par ailleurs de manière particulièrement sélective - notamment en fonction des financements pour les "enquêtes" à charge.

Ces dernières années, la CPI s'est sentie pousser des ailes en raison de la globalisation conquérante et s'est reconnue compétente ratione materiae pour juger des affaires, concernant des pays qui ne reconnaissaient pas sa compétence, à partir du moment où matériellement elle était compétente pour juger de ces crimes. Or, en droit international, tout Etat doit reconnaître expressément la compétence d'une instance internationale, pour qu'elle soit compétence à son égard. C'est pour cela qu'il s'agit de droit "inter-national" et non pas "global" (quand cette instance est supérieure à l'Etat et sa compétence s'impose à lui).

Et Trump rappelle dans son décret cette réalité juridique, estimant que les actions conduites contre les Etats-Unis et Israël, qui ne reconnaissent pas la compétence de la Cour, constituent un dangereux précédent. Rappelons que les forces armées américaines bénéficient d'une sorte d'immunité de juridiction, les militaires américains ne peuvent a priori être poursuivis en justice pour les crimes qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions. 

Et c'est bien ce que Trump protège dans ce décret, ainsi que le génocide commis par Israël contre les Palestiniens. 

Nous ne sommes pas dans la logique de la remise en cause d'un instrument de la gouvernance globale, mais dans la protection directe des intérêts américains et de ceux de leurs alliés proches, en l'occurrence Israël.

Et cette logique prévaut en général. Le droit de l'hommisme ne fonctionne plus comme instrument de gouvernance globale, il s'est trop discrédité. Il doit donc être réduit à son minimum, sans être pour autant détruit. Et il sera remplacé par d'autres instruments d'ingénierie politique, dont nous prendrons connaissance avec le temps, quand ils seront dévoilés par leurs défauts ou quand ils prendront de l'ampleur. 

En attendant, les gens ont leur nouvel héros, ils veulent y croire, ils l'ont attendu tellement longtemps. Réfléchir et analyser ne les intéresse pas. Ils viennent porter leur sacrifice à leur Veau d'or. Ce nouveau maître leur convient. Comme écrivait Hobbes dans le Traité de la nature humaine :

"Quand les hommes ont une fois acquiescé à des opinions fausses, et qu'ils les ont authentiquement enregistrées dans leurs esprits, il est tout aussi impossible de leur parler intelligiblement que d'écrire lisiblement sur un papier déjà barbouillé d'écriture."


- Source : Russie politics

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