Les grands gagnants du Budget 2018 : les 2% des Français les plus riches, selon l'OFCE
Selon l'économiste Pierre Madec de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les premières mesures d'Emmanuel Macron auront «des conséquences en termes d'accroissement des inégalités». Entretien.
RT France : L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a publié le 15 janvier une étude pour «fournir un panorama exhaustif du budget 2018». Vous avez intitulé ce rapport : Budget 2018 : pas d'austérité mais des inégalités. Selon vous, les mesures économiques d'Emmanuel Macron font donc un pas de plus vers une hausse des inégalités entre les Français ?
Pierre Madec (P. M.) : Il y a plusieurs façons de présenter les résultats de notre analyse. Du fait de l'arbitrage qui a été fait en faveur de la réforme de la fiscalité du capital comme l'impôt sur la fortune (ISF) ou le prélèvement forfaitaire unique (PFU), à court terme, par rapport à 2017, les mesures du budget privilégient les ménages du haut de la distribution de niveau de vie, c'est-à-dire ceux détenteurs de capital mobilier. Donc, les ménages les plus aisés devraient rester les premiers bénéficiaires des réformes entamées.
De fait, ces ménages vont donc enregistrer des gains bien supérieurs à ceux des autres ménages. Les 5% des ménages les plus aisés capteraient à eux seuls 42% de l'enveloppe globale, des gains à attendre avec la mise en place des mesures. Toutefois, si l'on considère l'ensemble des mesures après leur montée en charge, le diagnostic est à relativiser.
RT France : Y a-t-il un cap de franchi par rapport à ce que l'OFCE analysait lors des quinquennats précédents ?
P. M. : En ce qui concerne les entreprises, les mesures prises par le gouvernement actuel s'inscrivent dans une certaine continuité avec les mesures prises dans le passé. Concernant les ménages, le gouvernement revient sur une mesure phare du mandat de François Hollande qui consistait à taxer le capital autant que le travail.
Il est tout de même à noter que les ménages les plus aisés sont ceux ayant subi les hausses d’impôts les plus importantes dans le passé. Ceci a été d'ailleurs l'objet d'une analyse de l'OFCE en novembre 2016.
RT France : Pour le gouvernement, les salariés du privé seraient les gagnants des futures mesures, avec un gain sur leur pouvoir d'achat à la fin de chaque mois. Remettez-vous en cause cette affirmation ?
P. M. : Le gouvernement ne considère que la mesure consistant à baisser les cotisations salariales en contrepartie de la hausse de la CSG. De fait, cette mesure devrait procurer un gain de pouvoir d'achat aux actifs. En considérant que les actifs ne seraient pas impactés par la hausse de la fiscalité indirecte sur le tabac, de la fiscalité écologique, par la baisse des allocations logement ou qu'ils n'auraient pas de patrimoine soumis à la hausse de la CSG, l'assertion du gouvernement serait juste.
Pour les ménages touchés par au moins l'une de ces mesures, il convient de rapporter le gain issu de la «bascule cotisations-CSG» à la perte engendrée par la mesure en question.
RT France : Selon le rapport, les classes situées juste au-dessus des classes moyennes mais en dessous des 2% les plus riches verront leur niveau de vie baisser en 2018. Sont-elles les grandes perdantes des mesures Macron ?
P. M. : En moyenne oui. Une fois encore ce sont des moyennes. Les ménages exclus de la baisse de la taxe d'habitation ne profiteront pas de la revalorisation des prestations sociales. De fait, en moyenne, ils devraient subir la hausse de la fiscalité indirecte – c'est-à-dire principalement la hausse des prix du tabac, de la hausse de la taxe carbone et de l'alignement des prix du diesel et de l'essence – et donc perdre en pouvoir d'achat. Il faut évidemment encore nuancer par le fait que les ménages non fumeurs et ne disposant pas de voiture ne devraient pas être impactés et devraient bénéficier de la baisse des cotisations.
RT France : Est-ce à dire que toutes les populations qui se situent en-dessous des 2% les plus aisées verront leur niveau de vie baisser ?
P. M. : Pas toutes les populations en-dessous des 2%. De nombreux ménages (notamment les non-fumeurs) devraient voir leur niveau de vie progresser sous l'effet des mesures. Néanmoins, les 2% les plus aisés, ceux détenant le plus de patrimoine mobilier, devraient bénéficier le plus des mesures.
Il faut rappeler que ces effets ne prennent pas en compte, par exemple, l'amélioration du marché de l'emploi et donc la baisse du chômage.
RT France : En rapport avec la question précédente, selon votre rapport, «les mesures supplémentaires se traduiront par une augmentation générale des niveaux de vie en 2019». Il faudra donc attendre un an pour que tous les ménages puissent voir leur niveau de vie augmenter ?
Cela signifierait que les mesures Macron ont un résultat positif sur le long terme ?
P. M. : Nous montrons qu'une fois les mesures du budget 2018 montées en charge, elles devraient procurer pour nombre de ménages un gain de pouvoir d'achat. Il faut tout de même noter que prises dans leur ensemble, les mesures ne sont pas financées.
Près de 7 milliards d'euros sont ainsi distribués aux ménages, faisant apparaître plus de gagnants que de perdants. Ces 7 milliards devront être financés d'une façon ou d'une autre. Il semble que le gouvernement veuille les financer par une baisse des dépenses publiques. Cette baisse peut avoir une impact important, à terme, sur ce qu'on appelle le «RDB [revenu disponible brut] ajusté des ménages», c'est-à-dire leur revenu disponible une fois pris en compte les dépenses d'éducation, de santé, etc.
RT France : En ce sens, est-ce que, pour vous, les mesures d'Emmanuel Macron vont dans le bon sens pour l'ensemble des Français, sur le long terme ?
P. M. : Il n'y a pas de bon ou de mauvais sens. Tout ceci résulte d'un choix politique assumé de la part du gouvernement, celui de privilégier, à court terme, les ménages les plus aisés afin qu'ils investissent plus et mieux dans l'économie. C'est un pari qui ne pourra être jugé qu'à long terme. De fait, à court terme, ce choix a des conséquences en termes d'accroissement des inégalités.
RT France : Parmi les catégories sociales, notez-vous des grands perdants des choix macroniens ?
P. M. : Les ménages retraités, fumeurs, se déplaçant en voiture et n'ayant pas de patrimoine mobilier sont les plus grands perdants des choix politiques opérés.
L'auteur, Pierre Madec, est économiste au département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Parmi ses thèmes de recherche : l'analyse des prévisions économiques, l'étude des politiques liées au logement et au marché du travail.
- Source : RT (Russie)