Retraites : faudra-t-il vraiment trouver 12 milliards d’économies ?
Le Premier ministre Edouard Philippe a fixé aux syndicats l'objectif pour équilibrer les retraites à l’horizon 2027 : trouver 12 milliards d'économies. Mais comment ce chiffre a-t-il été calculé ? Est-il réaliste ? Des économistes répondent.
Les partenaires sociaux sont maintenant dos au mur : il faut trouver une alternative à l’instauration d’un âge pivot, faute de quoi le gouvernement passera en force. Et le compte à rebours a déjà commencé, puisque la prochaine conférence sur l’équilibre financier des retraites devra livrer ses solutions d’ici à la fin avril. D’après Matignon, la mise en place progressive d’un âge pivot à 64 ans permettrait d’économiser jusqu’à 12 milliards d’euros en 2027, de quoi compenser le déficit projeté des retraites à cette date. 12 milliards, c’est donc le chiffre magique ! Mais pourquoi 12 milliards ? Et pas 10 ou 20, comme la fourchette avancée par le Conseil d’orientation des retraites (COR) dans son rapport de novembre dernier ?
Pour Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et animateur des «Economistes atterrés», «le gouvernement a mis 12 milliards au pif ! C’est un chiffre inventé, pour faire pression sur les syndicats». Et d’ajouter que «personne ne peut savoir quel sera le déficit des retraites dans sept ans». Un point de vue partagé par l'économiste David Cayla, enseignant-chercheur à l’Université d’Angers. Pour lui, «c’est juste pour donner un chiffre». Car de nombreuses variables entrent en ligne de compte, comme la croissance, le chômage ou le niveau des salaires.
Le plus important étant à ses yeux l’emploi, qui détermine le volume des cotisations et donc les recettes du système. Mais comment en est-on arrivé à parler de déficit ? Pour Henri Sterdyniak, l’exécutif «fait l’hypothèse d’une baisse des effectifs de la fonction publique, ce qui va diminuer les cotisations employeur de l’Etat». D’où le trou qui risque de se creuser. Son collègue Xavier Timbeau, directeur principal à l’institut de conjoncture de Sciences Po, évalue à une dizaine de milliards d’euros ces cotisations que l’Etat n’aura plus à verser dans les années qui viennent.
Mais que va-t-il faire de cet argent ? Pour l’instant, mystère. «Le plus cynique», craint l’économiste, serait qu’il s’en serve pour calmer «ceux qui bloquent le plus». Comme les enseignants, à qui l’on promet des hausses de salaire en guise de consolation. Et puis il y a l’effet des mesures d’Emmanuel Macron destinées à calmer la colère des Gilets jaunes, fin 2018. Sur les 17 milliards d’euros débloqués, 2,7 milliards ont été ponctionnés dans le budget de la Sécurité sociale, et non compensés, comme le dénonçait récemment sur RT France Jacques Sapir, économiste à l’EHESS. Le résultat de l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, et de l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraites les plus modestes.
David Cayla y voit là un tournant, qui a fait basculer le système dans le rouge. «En 2017, Emmanuel Macron nous disait qu’il n’y avait pas de problème avec les retraites. Aujourd’hui, il essaye de se rattraper. On pouvait s’en douter !», résume l’économiste. Dans ce contexte, comment retrouver l’équilibre ? Peut-on financer les retraites sans augmenter le coût du travail, ni baisser les pensions comme l’exige Edouard Philippe ? Pour Henri Sterdyniak, rien ne presse. «Actuellement, il n’y a pas de déficit des retraites. Inutile de décider maintenant des mesures pour équilibrer en 2027» assure-t-il. Ses solutions : mettre à contribution les ressources de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), une fois la dette sociale totalement remboursée en 2024. Ou encore décider en fin d’année s’il faut remonter les cotisations des salariés pour l’année suivante… Pas sûr que la mesure soit très populaire. Xavier Timbeau, lui, n’exclut pas qu’Emmanuel Macron finisse par «reprendre la main», en lâchant quelques milliards, quitte à creuser un peu plus les déficits publics. Son regret ? Que cette réforme, au financement toujours flou, soit devenue «anxiogène». Alors qu’elle devait au départ rassurer les Français.
- Source : RT (Russie)