Même dans un magazine dit sérieux, on trouve des âneries stupéfiantes
L’autre soir, j’étais en train de lire la version en ligne du magazine Le Point lorsque mon regard tombe sur ceci : « […], pour les spécialistes […], c’est une bombe, une révélation qui peut faire des remous, tellement la crédibilité de l’OCDE est mise en cause […] » Intrigué, je continue ma lecture et découvre qu’un certain Bernard Zimmern, fondateur de l’IFRAP, le très libéral think tank dirigé par la non moins énergique Agnès Verdier-Molinié, aurait découvert une incroyable anomalie [sic] dans un rapport de l’OCDE édité en mai 2015 sur la problématique des inégalités face à la croissance.
Que dit ce rapport ? Chiffres à l’appui, que les inégalités ont un effet négatif sur la croissance. Pas vraiment une surprise et pas vraiment le credo libéral, vous vous en doutez. Soupçonnant une entourloupe, ce monsieur veut vérifier les calculs. Mais, après avoir constaté que l’OCDE avait fondé son raisonnement sur la notion de PIB par tête, il aboutit à la même conclusion. C’est alors qu’il décide de changer de variable. Plutôt que d’utiliser le PIB par tête, il prend simplement le PIB global et là, miracle : une augmentation des inégalités se traduit par un surplus de croissance et non l’inverse. Voilà, c’est tout.
Incrédule devant tant de niaiserie, je poursuis ma lecture jusqu’au bout, pressentant le pire. Ce monsieur nous explique alors que dans la plupart des pays développés, la variation de la population dépend en grande partie de l’immigration, et si l’augmentation du nombre des immigrés – souvent débarqués avec un baluchon ou une valise en carton – fait logiquement chuter le PIB par individu, la croissance, elle – le PIB global, donc -, augmente. L’auteur de l’article, un certain Jean Nouailhac, reprend ensuite la main pour conclure que la démonstration est implacable [sic], que « l’OCDE nous enfume avec des statistiques dont les bases sont fausses », qu’il contribue à une désinformation aux conséquences incalculables [sic] afin « de taxer encore plus les riches, ces riches […] qui créent la richesse et les emplois dont les pauvres ont besoin pour sortir de la pauvreté […] ».
Un peu de sérieux, tout de même! La seule variable pertinente pour valoriser la croissance économique est le PIB/hab, sinon en toute logique il faudrait admettre que son objet n’est pas l’amélioration du confort des humains et qu’il vaut mieux vivre au Bangladesh (PIB 150 milliards de dollars) qu’à Monaco (PIB 6 milliards de dollars). Le rapport de l’OCDE est donc parfaitement cohérent et la trouvaille de monsieur Zimmern est une ânerie grotesque qui sert de prétexte à un énième plaidoyer pour davantage d’immigration. D’ailleurs, le rapport théorique entre la croissance et les inégalités est un fait acquis depuis plus d’un siècle ; il découle de la relation bien connue entre revenu, épargne/investissement et consommation. L’OCDE s’est juste borné à vérifier si la théorie était validée dans les faits et elle l’est. Ce qu’il faut regretter, c’est au contraire que l’OCDE ne soit pas allé jusqu’au bout du raisonnement, à savoir que les inégalités nourrissent toujours plus d’inégalités selon un enchaînement diabolique : diminuer les salaires pour produire moins cher pour vendre à des populations de plus en plus pauvres.
Enfin, il faudra bien un jour tordre le cou au mythe des riches créateurs d’emplois. Ceux qui créent le plus d’emplois sont ceux qui n’ont pas encore un capital conséquent et doivent recourir au crédit pour financer leur investissement. Les autres, ceux qui se soucient davantage du rendement de leur capital, investissent bien plus dans les produits financiers qui, contrairement aux actifs réels, offrent l’avantage de pouvoir être logés dans les paradis fiscaux.
Christophe Servan
- Source : Boulevard Voltaire