Internet – l’UE laisse le choix entre la censure et l’autocensure
Ce 17 février, le commissaire européen Thierry Breton vient d’annoncer l’intention de l’UE de prendre en main le champ d’internet, encore quelque peu trop indépendant, malgré une censure de plus en plus forte, dès que l’on sort des photos de vacances, des chats ou couchers de soleil. Le message est clair : soit les plateformes contrôlent elles-mêmes les contenus haineux, illicites et les mythiques « fake news », soit elles vont faire l’objet de « mesures contraignantes ». Ah ! Qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! Finalement, soit la ligne idéologique est tenue, soit les plateformes vont avoir des problèmes. Donc, nous aussi.
Présenter internet comme un lieu de liberté absolue est en soi une aberration. Au minimum parce que la liberté absolue n’existe pas autrement que dans la loi du plus fort. Et internet ne fait pas exception à la règle. Autrement dit, qu’un contrôle des contenus soit mis en place est normal, afin de limiter la violence verbale qui se déchaîne souvent dans les réseaux sociaux, afin de sanctionner la pédophilie, les groupes de suicide, limiter les contacts entre membres de groupes terroristes qui utilisent ces plateformes pour communiquer, pour lutter contre le trafic de drogues et autres substances illicites., et toute autre action illicite dans la vie réelle. Internet fait partie de notre monde, il en est un des espaces et ne peut se trouver en dehors de la législation.
L’impunité pénale d’internet est impensable et ce n’est pas cet aspect qui pose des difficultés éthiques. Qu’internet dépende de l’État est normal. Mais qu’internet dépende du pouvoir, qui n’est pas obligatoirement contrôlé par l’État, est plus dangereux. Or, l’un est-il possible sans l’autre, surtout aujourd’hui ?
Dans ce contexte, les déclarations du commissaire européen Thierry Breton, après une rencontre avec Mark Zuckenberg, laissent songeur.
« Le Commissaire européen à l’Industrie, Thierry Breton, a mis en garde lundi 17 février les plateformes contre des « mesures contraignantes » si elles ne s’autorégulent pas sur les contenus haineux, illicites ou les fake news. (…) « Les plateformes, notamment Facebook, ont une responsabilité évidente vis-à-vis de nos concitoyens (…) vis-à-vis de la démocratie aussi », a-t-il souligné. « On a beaucoup parlé (…) de la nécessité désormais de se mettre en situation de contrôler l’ensemble de ces activités », a-t-il ajouté. Si l’ensemble des plateformes qui opèrent sur le continent européen n’interviennent pas en cas d’abus, « on sera obligé d’intervenir de façon plus stricte », a-t-il prévenu. (…) À la fin de l’année, la Commission européenne compte présenter un instrument législatif sur les services numériques, baptisé le « Digital Services Act ». « Il contiendra des mesures qui pourront être contraignantes », a dit M. Breton ».
Qu’est-ce qu’une « fake news » ? Pour l’instant, personne ne peut l’affirmer avec assurance dans tous les cas. Une fausse information. Certes. Cela est facile lorsqu’il s’agit de faits : ils ont eu lieu ou non. Mais le journalisme ne s’arrête pas à l’énonciation de faits. Il y a la présentation, le choix des faits, etc. Sur les réseaux sociaux, les gens expriment leur vision des choses et du monde, sans être professionnels, comme ils le faisaient au marché ou au PMU, dans la salle de sport, dans le métro. Sans plus de filtres, avec émotion. Seulement, maintenant, leur parole sort de la sphère privée. Mais pour autant, comment cela peut-il constituer une fake news ?
Au-delà de cette difficulté fondamentale, un autre danger pointe le nez : la censure. Beaucoup de blogs diffusent une vision personnelle, hors des canons formatés du main stream. C’est ce qui fait leur intérêt. Il n’est pas nécessaire de les sanctifier non plus, ils ne sont pas là pour exprimer la « Vérité vraie ». Mais dans un monde de plus en plus conformiste, pour donner un peu d’oxygène et rappeler le principe fondamental de nos démocraties qu’est le pluralisme, ils sont utiles. Et ils sont la première cible de cette mythique « fake news », qui, si traduite en français par fausse information, ne permettrait pas de les saisir. Car l’information factuelle peut être vraie ou fausse, mais l’interprétation qui en est donnée ne peut être appréhendée par ce paradigme. Ce qui n’empêche pas de l’appliquer.
Au regard de quel critère une interprétation pourrait-elle être considérée comme vraie ou fausse ? Il n’en existe qu’un en ce domaine : le dogme. Les blocages interviennent très rapidement dès que l’on ose relativiser l’un des quatre piliers du monde global, car chaque religion doit avoir son dogme, ses croyances et donc ses cultes. Et le « globalisme » est notre religion politique. Le phénomène de croyance étant au fondement de tout système de gouvernance, il est incontournable. Il semblerait que le « globalisme » repose sur le culte du numérique, des minorités (LGBT, ethniques, femmes etc), des migrants et de l’écologie (avec le changement climatique). Ces thèmes ne se discutent pas, ils ont leurs prophètes et leurs adeptes – l’hystérie et l’incantation sont de mise pour remplacer l’analyse.
Or, la croyance implique un discours posé et policé, non pas de grands débats théologiques au quotidien remettant en cause le bien-fondé des croyances. En ce sens, la pluralité du discours introduite par internet pour compenser le formatage opéré dans les médias institués constitue un danger réel. Et les grandes plateformes doivent jouer le jeu de la soumission, non pas aux États mais à l’idéologie globaliste, tout en gardant les apparences de la liberté, car l’apparence est essentielle à la croyance. Ainsi, Facebook a-t-il annoncé la mise en place de rien moins qu’une « Cour suprême » (sic!) pour réguler la question de ces contenus dérangeants.
Le ridicule ne tue pas – et parfois l’on en vient à le regretter … (ceci n’est pas un contenu haineux, une simple poussée momentanée de lucidité déjà passée, Amen). Puisque l’anglosaxonisation est poussée aux limites du bon sens, y aura-t-il aussi cette merveilleuse procédure contradictoire « à la Facebook » ? Y aura-t-il un appel ? Une cassation, si erreur de droit ? La décision sera-t-elle argumentée ? Aura-t-on accès à un … « avocat » ? Si Facebook fournit les « juges », va-t-il aussi fournir les « enquêteurs » ? Non, évidemment, le pseudo « juge » qui doit présider cette étrange « cour » est le Britannique, Thomas Hughes, à la tête de l’organisation des droits de l’homme Article 19. Mettre un activiste comme « juge », c’est l’avènement du postmodernisme et la fin des garanties juridiques. Il ne reste que la parodie de la justice, instrument incontournable pour légitimer des décisions politiques.
Finalement, le message de l’UE est très simple et, dans sa grandeur naturelle, cette organisation laisse le choix entre l’autocensure et la censure. Merci.
- Source : Russie politics