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Comment l’idéologie identitaire fait perdre à la gauche son identité collective Par Tomasz Pierscionek

Auteur : Tomasz Pierscionek | Editeur : Walt | Mardi, 07 Août 2018 - 22h11

Le phénomène d’idéologie identitaire qui se répand dans le monde occidental sert une stratégie politique d’atomisation sociale qui interdit l’émergence d’une véritable résistance aux classes dirigeantes.

Un principe fondamental du socialisme est l’idée d’une solidarité globale rassemblant la classe ouvrière internationale et qui invalide tout facteur susceptible de la diviser, tel le nationalisme, la race la religion ou le genre. Les travailleurs de tous les pays y sont mobilisés sur des bases de solidarité, avec même valeur et même niveau de responsabilité dans la lutte contre ceux qui exploitent leurs capacités intellectuelles, leurs talents, et leurs efforts physiques.

Il demeure que le capitalisme, en particulier sous sa forme la plus évoluée, la plus exploiteuse et la plus cruelle – l’impérialisme – a accablés certains groupes humains plus que d’autres, au sein des classes laborieuses. Les empires coloniaux eurent tendance à réserver leur répression la plus brutale aux peuples indigènes des colonies, tandis que la classe ouvrière nationale de ces pays impérialistes, plus proche des miettes qui « ruisselaient » de la table impériale, pouvaient en espérer quelques unes. Mais la lutte de classe internationale vise à libérer tous les peuples du fardeau du capitalisme, quel que soit leur degré d’oppression passée ou présente. L’expression «blesser quelqu’un est une blessure pour tous» acculture cet état d’esprit et contredit l’idée de prioriser les intérêts d’une faction de la classe ouvrière sur l’ensemble du collectif.

Depuis la fin du 20ème siècle, une tendance idéologique libérale1 s’est implantée au sein de la gauche petite-bourgeoise (du moins en Occident) qui prétend abolir la conscience de classe au profit d’identités multiples basées sur le genre, la sexualité, la race, la religion ou tout autre facteur de division communautaire, étranger aux rapports sociaux de production subis par tous. Chaque sous-groupe, de plus en plus dissocié de tous les autres, se concentre sur la forme spécifique d’identité qu’il juge partager en propre, ne considère que les expériences individuelles de ses membres et donne la priorité à sa seule autonomisation. Toute personne extérieure à ce sous-groupe auto-centré est au mieux rétrogradée au rang « d’allié ».

Au moment de la rédaction de cet article, il y aurait semble-t-il plus de 70 options différentes en matière de genre en Occident, sans parler des « préférences sexuelles » déjà dénombrées – l’acronyme LGBT traditionnel s’est déjà, à ce jour, étendu à LGBTQQIP2SAA . L’ajout des races2 à cette agrégat, entraîne un nombre encore plus grand de permutations ou d’identités possibles, des « choix multiples »3. Chaque sous-groupe a sa propre idéologie et ils en arrivent à consacrer l’essentiel de leur temps à se confronter entre eux, suscitant une forme d’émulation qui tourne principalement autour du degré d’oppression4 subi par chaque « communauté » et permet de disqualifier celles jugées les moins opprimées en leur enjoignant de «vérifier leurs privilèges»5, tandis que se rejoue continuellement le classement des «Olympiades de l’oppression».

Les règles de ce sport sont aussi mouvantes et confuses que les identités qui s’y confrontent. L’un des derniers dilemmes qui angoissent actuellement ce mouvement politique identitaire est la question de savoir si les hommes en transition vers la féminité méritent d’être reconnus et acceptés ou si les femmes trans ne sont pas des femmes et apparemment « violeraient »… des lesbiennes.

L’idéologie commune de cette vogue identitaire veut que le mâle blanc de droite soit au sommet de la pyramide des privilèges, et donc responsable de l’oppression de tous les autres groupes. Dans ce nouveau récit biblique des origines, le « péché originel » essentialisant le « grand mâle blanc » le condamne irrémédiablement à la damnation éternelle.

S’il est raisonnable de juger que les hommes blancs (sans distinction) ont globalement vécu moins d’avanies que les femmes, les hommes homosexuels ou les minorités ethniques, il n’est pas moins raisonnable de dire que la majorité des hommes blancs, passés et présents, ont eut quelques difficultés à survivre dignement… et sont tout autant concernés par l’oppression de tout autre groupe. On observe ainsi que la plupart des individus les plus riches du monde sont des hommes « caucasiens », pourtant il existe des millions d’hommes blancs pauvres et sans ressources. Cette idée de «blancheur» relève d’ailleurs d’un concept ambigu, relevant du profilage racial6.

A titre d’exemple, les juifs irlandais, slaves et ashkénazes peuvent paraître blancs mais n’en ont pas moins souffert plus que leur juste part des famines, des occupations et des génocides à travers les siècles. L’idée de lier les privilèges sociaux  d’un individu à son type physique n’est rien d’autre qu’une représentation raciste élucubrée par des «intellectuels» libéraux (certains diraient « privilégiés ») qui du reste seraient identifiés comme parasitaires dans n’importe quelle société socialiste.

Est-ce que les lesbiennes appartenant à une minorité ethnique vivant en Europe de l’Ouest sont plus opprimées que les Syriens à l’apparence blanchâtre qui vivent sous l’occupation de l’État islamique? La classe ouvrière blanche britannique est-elle vraiment plus privilégiée qu’une femme de la classe moyenne de la même société? Les stéréotypes fondés sur la race, le sexe ou tout autre facteur ne mènent qu’à l’aliénation réciproque et à l’animosité. Comment peut-il y avoir une solidarité efficace au sein de la gauche si nous sommes seulement fidèles à nous-mêmes et à ceux qui nous ressemblent le plus? Certains hommes «blancs» qui pensent que la gauche n’a rien à leur offrir ont décidé de jouer le jeu de la logique identitaire dans leur recherche du salut et ont décidé de soutenir Trump (un milliardaire avec qui ils n’ont rien de commun) ou des mouvements d’extrême droite, ce qui entraîne une aliénation, une animosité et une impuissance accrues qui, à leur tour, ne font que renforcer la position des 1% supérieurs. Les populations du monde sont plus discriminés par leur classe sociale que par tout autre facteur.

Xavier Niel, (feu) Pierre Bergé, Matthieu Pigasse contrôlent des groupes de presse de posture « de gauche » (Le Monde, Telerama, les Inrocks, le Monde Diplomatique, etc. ) pratiquant un parfait œcuménisme de « genre » et d’identités… ainsi que quelques autres milliardaires « mâles blancs », à l’instar des affairistes qui comme eux sont tous sponsors de Macron et possèdent l’essentiel de la presse et des médias français, y compris revues spécialisées, ados, cuisine, magazines horticoles ou animaliers … etc.

Il est beaucoup plus facile de «lutter» contre un groupe également ou légèrement moins opprimé que de se mobiliser pour s’unir avec eux contre l’ennemi commun – le bourgeois capitaliste. Combattre l’oppression par une rhétorique identitaire est, au mieux, une forme paresseuse, perverse et fétichiste de la lutte de classe menée par des activistes par frustration, majoritairement libéraux, issus de la classe moyenne et de l’enseignement supérieur, dans une incompréhension et une totale extériorité à toute idéologie positivement révolutionnaire. Au pire, c’est un ressort idéologique de plus, instrumentalisé par les 1% dirigeants pour diviser les 99% restants en 99 ou 999 groupes distincts et concurrents, plus préoccupés par leur propre petit monde que de défier le statu quo politique et social. Il y a une amère ironie à observer que l’un des principaux bailleurs de fonds du mouvement de promotion du fantasme identitaire est le milliardaire « mâle blanc » George Soros , dont les ONG ont contribué (avec les services secrets occidentaux) à orchestrer les manifestations d’Euromaidan en Ukraine, laissant place à l’émergence de mouvements d’extrême droite et néo-nazis : le genre de personnes qui croient en la supériorité raciale et ne considèrent pas la diversité avec beaucoup de bienveillance ( voir : un ex neo-nazi à Paris  ).

Il y a une idée stupide, mais  méthodiquement construite et répandue parmi la petite bourgeoisie « éduquée » occidentale, qui est que la politique identitaire dériverait de la pensée marxiste. Elle a servi à populariser l’expression dénuée de sens de «marxisme culturel»7, qui a plus à faire avec la sous-culture libérale qu’avec Marx, mais qui est sollicitée pour mieux vendre cette idéologie nombriliste. Non seulement la politique identitaire n’a rien de commun avec le marxisme, le socialisme ou tout autre aspect de la pensée traditionnelle de gauche, mais elle en est l’antithèse parfaite.

« Une blessure à une personne est une blessure pour tous  » a été remplacé par quelque chose comme « Une blessure pour moi, c’est tout ce qui compte ». Aucun pays socialiste, que ce soit dans la pratique ou de nom seulement, n’a favorisé la politique d’identité. Ni les nations africaines et asiatiques qui se sont libérées de l’oppression colonialiste, ni les États de l’URSS et du bloc de l’Est, ni les mouvements de gauche qui ont surgi en Amérique latine au début du 21ème siècle n’ont eu le temps de jouer à l’identité politique.

L’idée (fausse) que l’idéologie identitaire est une composante spontanée de la pensée de gauche historique fut conçue et promue… par la droite, cherchant ainsi à disqualifier les mouvements progressistes de gauche, et exploitant des « innovations théoriques » de libéraux qui cherchent à infiltrer, diaboliser et annihiler les mouvements de transformation sociale progressiste, ou de jeunes radicaux chimériques sans la moindre culture ou théorie politique et qui n’ont ni la patience ni la discipline de l’acquérir. D’autres encore, cherchent les « cheap thrills »8 que leur procure l’auto-conviction d’avoir ébranlé les fondements de l’ « establishment » bourgeois alors qu’en réalité ils en sont les collaborateurs les plus efficaces.

Cette idéologie identitaire est très majoritairement un phénomène « émergent » de classe moyenne, encouragé car apprécié de la classe dirigeante à qui il permet d’entretenir à moindre frais l’aliénation panurgique amplement relayée par ses mass-media.

En Occident, vous êtes libre de choisir n’importe quel genre ou sexualité, de faire la transition de l’un à l’autre si ça vous chante, voire d’en créer un nouveau qui vous soit propre (dont idéalement vous seriez le seul et très remarquable représentant), mais vous n’êtes pas autorisé à remettre en question les fondements du capitalisme ou du libéralisme.

La forme névrotique de refoulement compensatoire9 que produit cette rhétorique identitaire est le nouvel « opium des peuples ». Un encouragement au solipsisme narcissique, à la paresse intellectuelle et civique qui obère toute lutte organisée contre le système social injuste qui les opprime concrètement. De fait, certains courants10 de cette gauche occidentale estiment même que les «libertés démocratiques» qu’ils apporteraient ainsi seraient un progrès humain décisif et donc un indicateur de la supériorité culturelle de l’occident, justifiant sa « mondialisation » « humanitaire » par le biais des ONG ou, plus brutalement, par des « révolutions colorées » et des « changements de régime » (à coups de bombe et de génocides) dont résultent massacres , ruine et malheur … pour tous.

L'auteur,Tomasz Pierscionek, est docteur spécialisé en psychiatrie. Il fut membre du conseil d’administration de l’organisme de bienfaisance Medact. Il est rédacteur en chef du  London Progressive Journal 

Ndt:

1 – Cette tendance a en réalité émergé en même que les couches sociales qui la portèrent, dès la fin de la période de forte croissance des années 50-60 du 20ème siècle ( 1968 et après ). Elle se manifesta initialement par l’apparition des problématiques dites « sociétales » se substituant aux conflits sociaux « traditionnels ».

2 – Des « races » qui pourtant selon eux « n’existent pas », selon leur propre rhétorique critique du racisme

3 – Ces choix qui désormais remplissent un épais volume de QCM , sont parfaitement conformes au principe fondateur de la Liberté dans sa conception libérale-capitaliste : « la liberté c’est le choix ». On est donc « libre » par ce qu’on le choix… entre plusieurs marques de petits-pois au supermarché, plusieurs candidats aux élections, etc. et désormais plusieurs « parcours de vie sexuelle », à options multiples et même possibilité d’échanger le produit en cas d’insatisfaction…

4 – En fait ils ne parlent plus d’oppression et moins encore d’exploitation, mais plutôt de « domination »

5 – Sans doute la nostalgie des auto-critiques publiques si prisées de leurs précurseurs maoïstes occidentaux.

6 – Voire de la physiognomonie …

7 – Cf. en France le « post-marxisme », « l’intersectionnalisme », etc.

8 –Frissons bon marché … autrement dit les plaisirs faciles procurés par des sensations au rabais.

9 – Refoulement et négation de tout être social et de toute culture et représentation universelle et partagée

10 – C’est ainsi que, parmi ceux qui se sont mis « en marche », on observe désormais des « courants », ceux qui marchent de plus en plus vite …


- Source : RT (Russie)

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