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Euthanasie et suicide assisté : le non du Comité d’éthique

Auteur : Sylvain Rakotoarison via Agoravox | Editeur : Stanislas | Mercredi, 03 Juill. 2013 - 04h18

Si les Sages refusent de lever l’interdit de l’homicide, ils proposent en revanche de renforcer le droit des patients à finir leur vie sans souffrance en proposant un droit à la sédation qui compléterait et renforcerait la loi actuelle, mais des moyens supplémentaires sont nécessaire pour mieux former les soignants et pour garantir les soins palliatifs à tous ceux qui en auraient besoin.

Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) présidé par le journaliste Jean-Claude Ameisen a rendu public son avis n°121 le 1er juillet 2013 après la saisine par le Président François Hollande sur les questions de fin de vie, dans la foulée du rapport Sicard remis à l’Élysée le 18 décembre 2012.

C’est le quatrième avis du CCNE sur le sujet depuis sa création (avis n°26 du 24 juin 1991, avis n°58 du 12 juin 1998 et avis n°63 du 27 janvier 2000).

L’avis critique en particulier les nombreux sondages et enquêtes d’opinions qui sont régulièrement réalisés en France « aux questions souvent trop sommaires, dont on peut noter qu’ils ne s’adressent presque jamais aux personnes en fin de vie, et d’une présentation trop schématique des enjeux du débat par des médias ou des militants » en rappelant la double notion de la "dignité", la conception moderne voulant justement qu’elle soit intrinsèque à l’être humain en tant que tel, et pas en fonction de son état physique et mental.

Cet avis n°121 contient soixante-dix-neuf pages (qu’on peut lire ici) assez bien documentées sur les différentes expériences à l’étranger, et sur les lacunes de la loi de référence, à savoir la loi Leonetti du 22 avril 2005.


Ne pas "faire mourir" et protéger les plus vulnérables

Cette loi référence, encore trop peu connue, même dans les milieux médicaux, a eu le mérite de faire la « distinction essentielle et utile entre le laisser mourir et le faire mourir ». Elle a donné ainsi des droits nouveaux aux patients en fin de vie pour écourter les souffrances inutiles sans pour autant transgresser le tabou de la mort, le médecin étant là pour soigner et éventuellement guérir et pas pour tuer. C’est cela qui est essentiel pour Jean-Claude Ameisen : « Le maintien de l’interdiction faite aux médecins de provoquer délibérément la mort protège les personnes en fin de vie (…). Il serait dangereux pour la société que les médecins puissent participer à donner la mort. ».

Pourtant, selon une enquête réalisée en 2012 en collaboration avec l’Observatoire de la fin de vie (S. Pennec, A. Monnier, S. Pontone et R. Aubry), la seule qui a fourni des estimations récentes sur le sujet, environ 2 200 cas de décès en France auraient été causés par l’injection de produit létal par un soignant sans aucune demande de la personne et sans justification du médecin. Environ 1 100 cas auraient été causés par une telle injection sur demande de la personne.

Pour ces cas limites, le CCNE souligne : « Il est indispensable d’en savoir plus sur ce point, en conduisant, dans la durée, des études approfondies, qui tiennent compte de la qualité de l’accompagnement, du bénéfice de soins palliatifs et de la possibilité éventuelle d’obtenir en toute fin de vie une sédation profonde ; ces éléments, lorsqu’ils sont effectivement présents, devraient tendre à limiter considérablement les situations limites ».

En clair, en l’absence de statistiques fiables, les Sages insistent lourdement sur l’un des arguments mis en avant par les défenseurs de l’euthanasie : « À ce stade, il n’est donc pas possible d’affirmer que la volonté de maintenir l’intangibilité des principes se fait au prix d’une pratique ambiguë et occulte, mais acceptée, qu’une légalisation "réaliste" permettrait d’aborder de manière plus claire. » et ils remarquent d’ailleurs que « déplacer la frontière de l’interdit ne supprimerait pas cette frontière : quelle que soit la limite, il existera toujours des situations limites qui la rencontreront et qui l’interrogeront ».

Par ailleurs, le Comité d’éthique a fustigé toute législation motivée par l’émotion : « Compatir avec la souffrance de l’autre est une valeur indiscutable ; faire de la compassion un principe d’éthique ou juridique déterminant serait dangereux. La compassion seule peut conduire aux pires excès, dans une attitude fusionnelle. Elle peut être une projection de nos peurs. Elle doit être équilibrées par d’autres principes. Une morale qui, excluant de son champ les repères, se réfèrerait à la seule empathie, risquerait de se dispenser de l’appui de la raison discursive et de se détacher de la nécessité première de renforcer l’engagement solidaire envers les personnes vulnérables. ».

Car c’est cela qui est essentiel, et si le CCNE n’a pas été unanime dans ses positions, sa majorité met en garde contre « toute évolution vers une autorisation de l’aide active à mourir [qui] pourrait être vécue par des personnes vulnérables comme un risque de ne plus être accompagnées et traitées par la médecine si elle manifestaient le désir de poursuivre leur vie jusqu’à la fin ».


Des évolutions alarmantes à l’étranger

Les Sages du Comité d’éthique ont étudié les différentes expériences à l’étranger, avec un recul parfois d’une dizaine d’années et certaines évolutions sont très inquiétantes et donnent la mesure des valeurs fondamentales qui comptent dans une société.

En Belgique (loi du 28 mai 2002), le débat public se focalise aujourd’hui sur la question d’autoriser l’euthanasie de personnes considérées comme incapables de donner sereinement leur consentement, comme les enfants (moins de 12 ans) ou les malades mentaux, notamment des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Le nombre d’euthanasies pratiquées en Belgique a triplé entre 2006 et 2011. Aux Pays-Bas (loi du 12 avril 2001), le nombre d’euthanasies est en train de progresser chaque année de près de 20% (18% entre 2010 et 2011), un rythme qui était de 13% en 2009. Une douzaine de cas de démences avaient été signalés en 2009 (alors que le consentement éclairé devait être acquis). Le Luxembourg a suivi la législation de ses deux voisins du Benelux le 16 mars 2009.

Quant aux suicides assistés pratiqués surtout en Suisse (car ils y sont tolérés) par des associations sans état d’âme, un véritable business de la mort s’est développé, avec des méthodes très contestables et parfois morbides (assistance au suicide dans des parkings publics, utilisation d’hélium, matraquage publicitaire dans les espaces publics, etc.) donnant lieu à un très juteux tourisme de la mort (33% des assistances au suicide concernaient des étrangers en 2007), à des interprétations très larges de la "non-législation" et à des abus évidents (34% des assistés au suicide entre 2001 et 2004 n’étaient pas en fin de vie, ne souffraient d’aucune maladie mortelle et certains étaient même atteints de troubles psychiques). Certaines associations ont doublé leur chiffre d’affaires entre 2004 et 2008. Le nombre de suicides assistés a progressé de 52% entre 2003 et 2007 puis a connu un palier à partir de 2008, qui pourrait être le résultat d’un renforcement des soins palliatifs (que ces associations lucratives ne proposent que rarement à leurs clients).

L’État d’Oregon, aux États-Unis, a légalisé le suicide assisté le 27 octobre 1997, et pour l’appliquer, il n‘est pas fait mention de la souffrance des patients, car c’est une notion très subjective, mais du caractère terminal de leur maladie, en d’autres termes, que leur espérance de vie soit inférieure à six mois, ce qui donne à cette loi un aspect économique assez malsain dont cet État américain n’a pas hésité à tenir compte, puisque c’est dans les six derniers mois qu’un malade coûte le plus cher à la société. Même s’il semble y avoir moins d’abus qu’en Suisse, les expertises psychiatriques pour s’assurer que le patient soit dans sa totale capacité de consentement ont baissé en Oregon de 14% des cas en 2005 à seulement 1,5% en 2010, une proportion équivalente à celle de l’État de Washington (3%) qui a imité très récemment l’Oregon dans sa législation (depuis le 5 mars 2009). L’État du Montana a, lui aussi, légalisé le suicide assisté le 31 décembre 2009. Un débat public se poursuit sur le suicide assisté en Grande-Bretagne (et également au Canada).

L’avis indique que les malades réclament nettement moins l’euthanasie s’ils sont soignés dans des centres de soins palliatifs (seulement 10% de demandes en Belgique en 2010-2011, au lieu de 50% auprès de médecins généralistes ou 40% auprès de médecins spécialistes).

Dans la plupart des pays où le suicide assisté ou l’euthanasie sont autorisés (dans la loi ou par défaut de loi), ce qui est flagrant est l’absence de contrôle de la légalité des actes et le débordement des seuils vers des actes illégaux. Que ce soit sur le type de patients auxquels ces actes s’appliquent (consentement réel, stade terminal de la maladie, etc.) ou sur les procédures mises en place pour éviter les abus (consultation psychiatrique du patient, consultation d’un second médecin, pratique par des infirmières au lieu de médecins, etc.). Dans la meilleure des hypothèses en cas d’abus, des sanctions (très rares) sont décidées toujours a posteriori, donc, bien après le décès du patient.


Un droit à la sédation

Pour autant, le CCNE n’a pas souhaité défendre un statu quo inflexible dans la mesure où la situation actuelle est loin d’être satisfaisante pour la fin de vie de nombreux malades en France. La loi Leonetti a permis l’arrêt des soins et même de l’alimentation mais cela entraîne une agonie pendant de longs jours et des souffrances peu supportables.

Ce qui est proposé, du reste comme le rapport Sicard, c’est de donner à chaque patient le droit de sédation, à savoir, le droit, en phase terminale, d’être accompagné dans la douleur du non-traitement de leur maladie par des soins adaptés qui n’ont pas pour but de soigner mais de perdre la conscience de la douleur (sans pour autant autoriser le surdosage des sédatifs qui aurait pour effet d’écourter l’agonie, ce qui serait une euthanasie).

Une autre proposition des Sages est de renforcer le pouvoir des directives anticipées des malades ("déclarations anticipées de volonté"), rendant obligatoire au médecin le respect de la volonté de leurs malades (quand cette volonté a été clairement formulée en présence du médecin et en connaissance de la maladie dont ils souffrent) et, le cas échéant, les obligeant à justifier par écrit dans le dossier médical les raisons de ne pas l’avoir suivie (urgence etc.).


Encore une loi sociétale qui va diviser ?

François Hollande voudrait une loi pour la fin de l’année. Qu’il se méfie de ce sujet ultra-sensible ! Avec le "mariage pour tous", il a déjà mis des millions de Français dans la rue pour un projet que les sondages avaient pourtant plébiscité, et surtout, il a clivé la société en deux camps pour longtemps. Ses convictions éthiques ne semblent pas très assurées, vu sa capacité à promouvoir par exemple l’expérimentation sur des embryons humains (le processus législatif a heureusement été provisoirement stoppée pour une question de procédure) ou son absence de position sur la PMA, deux réformes qui pourraient contribuer à la marchandisation du corps humain.


Quelle société voulons-nous ?

Le thème de la fin de vie est une véritable vitrine du choix de la société que les citoyens veulent : veulent-ils une société où seuls les bien portants (et pourquoi pas, seuls les actifs et les enfants) pourraient avoir le droit de vivre ? Faut-il remettre au rebut humain tous les impotents, les vieillards, les malades, les dégradés de la vie, voire les personnes handicapées ? La logique économique pourrait vite remplacer l’éthique et l’humain, logique individuelle (héritage) comme logique collective (coût des soins).

Le CCNE affirme notamment que le risque « est particulièrement sensible dans une société où la place du réalisme économique peut largement empiéter sur le respect de la personne. Une prudence extrême s’impose ainsi s’agissant de l’aide active apportée à une personne pour qu’elle mette fin à ses jours ; ce, d’autant qu’il serait très difficile de borner de manière efficace la possibilité ouverte par la loi de supprimer sa vie pour vaincre une situation jugée insupportable par la personne, notamment parce qu’il est excessivement difficile de codifier de manière sérieuse les limites du supportable. ».

L’expérience de l’évolution des pratiques dans certains pays montre que légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté aboutira progressivement à une société eugéniste, où tout ce qui n’est pas parfait devra être éliminé d’une manière ou d’une autre, certes, en principe, avec le consentement plus ou moins réel des personnes.

Pourtant, certaines études ont déjà montré que des malades qui sont dans un environnement humain d’amour (famille, amis) et traités en soins palliatifs ne réclamaient pas ou plus à mourir au contraire des malades laissés à leur propre sort par le corps médical ou leur famille. Ainsi, une étude a observé en 2001 que neuf demandes d’euthanasie sur dix se rétractaient lorsque le malade était bien entouré : les demandes d’euthanasie « apparaissent être le plus souvent l’expression d’un sentiment de détresse, de solitude voire d’abandon. La présence et le dévouement de l’entourage, l’administration de soins palliatifs et le dialogue constituent alors une réponse appropriée à ces demandes et sont de nature à apaiser le patient. » (mission parlementaire, 28 novembre 2008).


Bientôt, "La mort pour tous" ?

C’est pourquoi j’ai apprécié la teneur de cet avis 121 du Comité consultatif national d’éthique, formulé de manière très raisonnable, hors des passions et des émotions, qui recommande de renoncer à toute législation visant à ouvrir la brèche définitive de la peine de mort légalisée, tout en proposant des améliorations substantielles à la loi existante comme le droit à la sédation et un meilleur respect de la volonté des malades.

Dans tous les cas, l’article 46 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique rend obligatoire l’organisation d’un débat public sous forme d’états généraux à l’initiative du CCNE avant l’adoption de toute loi sur ces sujets très sensibles.

Espérons seulement qu’on ne nous ponde pas dans quelques mois un projet de type "La mort pour tous" !…


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