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Le mythe des traités de libre-échange

Auteur : Immanuel Wallerstein-Traduction Diane, relu par jj-le Saker francophone | Editeur : Walt | Lundi, 24 Août 2015 - 14h23

Le libre-échange est un des principaux mantras du capitalisme comme système historique. Le libre-échange est prêché comme la meilleure solution pour accroître la production, réduire ses coûts et par conséquent les prix à la consommation, et pour augmenter l'égalité des revenus à long terme. Tout cela est peut-être vrai. Mais nous ne le saurons jamais puisque nous n'avons jamais connu un monde de libre-échange. Le protectionnisme a toujours été le mode dominant des relations économiques entre les États.

Mais, pensez-vous peut-être, les États ne ratifient-ils pas constamment des traités appelés traités de libre-échange? Oui, c'est vrai. Mais ces traités ne sont pas véritablement basés sur le libre-échange, plutôt sur le protectionnisme. Commençons par le premier fait de base. Il n'y a pas de libre-échange tant que chaque État du système-monde n'y est pas impliqué.

Si un traité comprend un certain nombre d'États (pas tous), cela signifie par définition que certains autres États sont exclus des dispositions de ce traité. La collectivité des États au sein de ce prétendu traité de libre-échange crée en fait une zone protectionniste contre l'État ou les États exclus.

L'une des raisons pour lesquelles il semble toujours si difficile pour des États de se mettre d'accord sur un traité dit de libre-échange est que ceux qui y adhèrent doivent négocier un compromis. Chacun de ces États décide quelles mesures protectionnistes il est prêt à sacrifier, vis-à-vis du groupe limité d'États inclus dans le traité, afin d'obtenir les avantages des sacrifices que les autres sont décidés à consentir sur leurs propres mesures protectionnistes.

Nous pouvons voir comment cela fonctionne en observant une négociation majeure qui s'est déroulée il y a quelque temps sous le titre de Partenariat Trans-Pacifique (TPP). Douze pays sont actuellement impliqués dans le traité envisagé : l'Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour, les États-Unis et le Vietnam. Ce groupe de 12 a entamé les négociations en 2008 et a fixé la date de l'achèvement du processus en 2012. L'année 2012 est derrière nous. Ces pays proclament aujourd'hui, en 2015, que les négociations en cours sont dans leur phase finale et seront sans doute achevées cette année.

Si on regarde la liste des État concernés, c'est un curieux méli-mélo géographique. En plus, les pays sont très différents par leur taille, leur PIB et par leur importance dans l'économie mondiale. Il paraît qu'une longue liste d'autres pays potentiels pourraient chercher à rejoindre le traité une fois que le TPP fonctionnera. Il y a cependant deux très grands pays dont on ne parle pas comme membres potentiels, la Chine et l'Inde. Pourquoi ?

La liste actuelle et potentielle est à l'évidence basée en tout premier lieu sur des considérations politiques, et non économiques. Mais plutôt que de discuter la politique qui a présidé au choix des limites extérieures de la zone TPP, examinons plutôt pourquoi cela a pris tellement de temps pour parvenir à un traité que les douze États seront prêts à ratifier.

Prenez la question des produits laitiers. Le Canada les protège. La Nouvelle-Zélande les exporte. Le Canada est sur le point d'avoir des élections. Le parti qui gouverne actuellement le Canada craint de les perdre. Par conséquent, il n'y a pas moyen que le Canada signe pour une réduction de la protection de ses producteurs de lait. La prospérité de la Nouvelle-Zélande dépend de sa capacité à accroître ses ventes de produits laitiers.

Prenez une autre question qui concerne la Nouvelle-Zélande. Celle-ci maintient ses importants bénéfices médicaux en recourant très largement aux médicaments génériques. L'Australie aussi. Les entreprises pharmaceutiques aux États-Unis sont soucieuses d'imposer de sévères restrictions à l'usage des génériques, qui nuisent aux bénéfices des médicaments protégés. Ils appellent cela la sauvegarde de la propriété intellectuelle, sauvegarde étant un euphémisme pour protection.

Ou prenez encore une autre question : ce qu'on appelle le problème des droits humains. Les syndicats nord-américains affirment qu'il y a un exode des emplois aux États-Unis parce que d'autres pays autorisent des conditions de travail pour leurs ouvriers qui réduisent sérieusement leurs droits, diminuant ainsi les coûts de production. L'opposition syndicale est rejointe par l'opposition des groupes de défense des droits humains.

Pour atteindre cet objectif, cependant, divers autres pays dans le TPP ne devraient pas seulement promettre de multiples mesures difficiles à digérer, mais les faire respecter. Le problème politique pour les États-Unis est comment parvenir à une formulation qui maintienne ces autres pays dans le TPP sans s'aliéner un nombre suffisant de membres du Congrès américain pour mettre en danger la ratification du TPP. Jusqu'à présent, cela s'est révélé difficile.

On pourrait continuer avec la protection du sucre ou la définition d'un camion produit dans la zone du TPP. Le point essentiel est que les États membres du TPP ont manqué la date finale la plus récente pour un accord. Le titre du New York Times qui a rapporté ce fait était : Ce qui devait être la dernière des réunions pour le traité se termine avec chacun freinant des quatre fers.

Compte tenu des diverses exigences du programme du Congrès états-unien, même si un accord était atteint, il ne pourrait y avoir aucun vote du Congrès avant 2016, année électorale. Il semble pour le moins improbable que le traité serait ratifié. Si ceci est vrai du TPP, c'est encore plus vrai des négociations pour un traité transatlantique (TTIP), qui en sont encore au premier stade de la discussion.

Je reviens à mon point fondamental. Les traités dits de libre-échange ont pour but de gérer les intérêts protectionnistes des différents participants à ces traités. Quoi qu'ils fassent, les résultats vont à l'encontre du libre-échange. Pour comprendre ce qu'il se passe, nous devons partir de là et évaluer toute proposition en gardant cela à l'esprit.


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