L’affaire Alexis Kohler est-elle une affaire Macron ?
Le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, vient d'être mis en examen pour prise illégale d'intérêts, et vient d'être placé sous le statut de témoin assisté pour trafic d'influence. Il est accusé d'avoir dissimulé ses liens avec la famille propriétaire de l'armateur italien MSC lorsqu'il traitait certains dossiers qui pouvaient profiter à cette famille dans le cadre de ses fonctions publiques. Problème : une partie de ses dossiers étaient sur le tapis lorsqu'il était directeur de cabiner d'Emmanuel Macron à Bercy. De façon assez curieuse, le Président continue à protéger étroitement ce collaborateur aussi sulfureux qu'influent.
L’affaire Kohler rebondit après avoir été enterrée sans gloire par le Parquet National Financier en août 2019. Il a fallu une plainte de l’association Anticor en 2020, avec constitution de partie civile, pour que des juges d’instruction relancent une affaire sur laquelle Emmanuel Macron était déjà intervenu. En l’espèce, il avait produit une lettre manuscrite affirmant qu’il était parfaitement au courant des liens de son secrétaire général avec la famille Aponte, propriétaire de MSC, lorsqu’il était ministre de l’Economie. Cette intervention avait décidé le Parquet National Financier a classé brutalement une affaire pourtant difficile à ignorer.
Pour la petite histoire, nous avions très tôt souligné la difficulté qu’il y avait à laisser un directeur de cabinet traiter des dossiers industriels (en l’espèce portuaires ou de chantiers navals) qui pouvaient profiter à sa famille, et le danger encore plus grand qu’il y avait à le protéger face aux justes interrogations des citoyens sur ces conflits d’intérêt.
Praticien quotidien du capitalisme de connivence, Emmanuel Macron a tout fait pour juguler cette crise.
Affaire Kohler, affaire Macron ?
Dans la pratique, nombre de dossiers litigieux ont été traités par Alexis Kohler lorsqu’il était directeur de cabinet d’Emmanuel Macron alors ministre de l’Economie.
C’est le cas en particulier du dossier STX, où la justice doit préciser pour quelles raisons l’offre de Fincantieri, concurrent italien de MSC, a été freinée, alors même que STX construisait des bateaux pour MSC. Il se murmurait alors que MSC n’avait guère envie de dépendre d’un chantier naval “opéré” par son principal concurrent.
Certains soupçonnent Alexis Kohler d’avoir voulu faire capoter la négociation avec Fincantieri…
Mais ce genre de soupçons (ceux d’un calcul politique) pèse désormais sur plusieurs dossiers traités par Emmanuel Macron à Bercy.
C’est par exemple le cas du dossier Alstom, qui a donné lieu au rapport Marleix, embarrassant pour le Président de la République. Plus récemment, le plan de bataille d’Uber pour conquérir les marchés français a soulevé la question de l’influence opaque de l’entreprise américaine sur la “libéralisation” du secteur par Emmanuel Macron. Certains ne manquent par ailleurs pas de rappeler que le passage de Macron chez Rothschild continue à soulever des questions, notamment sur sa rémunération et son patrimoine réel.
Bref, la mise en examen de Kohler est aussi la mise en examen de tout un système de connivence entre l’Etat et les intérêts privés, qui pourrait jouer un vilain tour au Président.
Par quelle corde Kohler tient-il Macron ?
Reste une question à éclaircir : pourquoi Macron n’a-t-il toujours pas “viré” Alexis Kohler ? et pourquoi continue-t-il à le protéger, alors que, après plus de cinq ans à l’Elysée, le secrétaire général a fait son temps ?
Cette question est régulièrement évoquée dans la presse, qui parie sur l’éviction du secrétaire général.
Certes, Macron a pris soin de tisser, et même de forger une légende, complaisamment propagée par les journalistes de confiance, selon laquelle Kohler serait une sorte de frère jumeau pour lui. En réalité, les deux hommes ont des relations beaucoup plus tendues qu’on ne le dit, mais Emmanuel Macron n’a jamais osé, jusqu’ici, se passer des services de son secrétaire général.
Voilà une bien étrange cohabitation, encore plus étrange depuis la mise en examen de l’un des intéressés.
- Source : Le Courrier des Stratèges