Les Stock-Options : ou les rémunérations exorbitantes des grands patrons !
Je précise tout d'abord très clairement que la cible visée ici est : premièrement, les 50 ou 100 PDG des plus grandes entreprises françaises, deuxièmement, les premières centaines des dirigeants américains les mieux payés. Quand à ceux qui se pensent plus riches qu'ils ne sont, rappelons que 20% des français croient faire partis des 1% les plus riches, je pense sincèrement que souvent ils se trompent de combat et qu'un meilleur partage des richesses conduirait à une société apaisée, moins violente et plus ouverte sur l’avenir.
Il y a une trentaine d’années, le Directeur, « seigneur dans son château-entreprise » était un véritable entrepreneur, souvent ancien ingénieur de son domaine d’activité, parfaitement au fait du cœur de métier, pour qui la rentabilité actionnariale était un objectif au mieux secondaire face à la nécessité d’innover, d’investir, de se développer.
Avec l’arrivée du financiarisme, les actionnaires, dont le poids était très limité, se sont organisés en se regroupant au début des années 1980 : fonds de pension, sicav, investisseurs institutionnels, hedge funds, etc. Ainsi, l’« actionnaire » véritable n’est désormais plus le petit porteur, mais bien son représentant, le gérant de la Sicav ou du fonds de pension dans lequel il a investi, et qui va agir en son nom et en celui de milliers d’autres, avec le pouvoir colossal que représentent les milliards d’euros qu’il aura levés. Ils disposent ainsi désormais du bâton, pour licencier facilement le PDG.
Mais en pratique, la carotte s’est révélée bien plus efficace. Comment inciter le PDG à ne s’occuper que de l’intérêt des actionnaires, lui qui était censé trouver l’équilibre entre les parties prenantes de l’entreprise (dirigeants, actionnaires, salariés, clients…) ? Simple, il suffit d’en faire « d’hyper-actionnaires » ! Et ce par le biais des stock-options, inventées à la fin des années 70, et dont on peut penser qu’elles ont joué un rôle important dans la Crise actuelle.
Rappelons ce que sont ces « options sur action ». En simplifié, on donne gratuitement le droit au bénéficiaire d’acheter X actions de la société dans 5 ou 10 ans au prix actuel. Comme il pourra les revendre immédiatement (ce qu’il fait toujours), il encaissera donc simplement la différence entre le prix actuel et le prix futur pour chaque option, sans avancer d’argent. Si la valeur de l’action a augmenté (ce qui est l’intérêt de l’actionnaire), il touchera un gain. Si elle a diminué, le bénéficiaire n’exerce pas son droit et ne fait rien (d’où le terme « option ») : il ne perd donc rien. En résumé, « Pile, je gagne ; face, je ne perds rien ». Par exemple, supposons qu’une entreprise a des actions cotées 10 € et qu’elle attribue 100 000 stock-options à son PDG ; dans 5 ans, si l’action est à 15 €, il encaissera directement 500 000 €, mais si l’action est à 8 €, il ne fera rien et ne touchera rien (mais ce sera alors un excellent moment pour se faire attribuer des stocks options à prix très bas…).
Fondamentalement, une stock-option est un simple pari sur le cours de la Bourse dans 5 ans, sans mise ! Il s’agit donc d’une rémunération asymétrique, par nature porteuse d’incitations perverses. Et au lieu d’avoir conservé ce système dans des limites raisonnables, les stock-options ont été distribuées essentiellement aux dirigeants, et pour des montants représentant plusieurs années (voire décennies !) de rémunération fixe. Ce qui ne peut qu’inciter le « pilote » à prendre de plus en plus de risques, pour obtenir une (éphémère) rentabilité à court terme, puisque le seul critère de résultat du PDG est la valeur de l’action – comme si elle reflétait vraiment d’une part la valeur de l’entreprise et surtout, le travail du seul dirigeant !
De plus, la réglementation, dans un souci de transparence, a rendu publics les salaires des PDG. Mais du coup, un salaire moyen a été facilement calculé. Et quel PDG accepterait d’être moins payé que la moyenne ? Une surenchère a alors eu lieu et les PDG se sont mutuellement attribués de plus en plus de stock-options (car le PDG A préside le comité de rémunération du PDG B, qui préside celui du PDG C, etc.), jusqu’à des niveaux faramineux – se chiffrant en dizaines de millions d’euros par bénéficiaire (plus de 170 M€ pour Antoine Zacharias, l’ancien PDG de Vinci ; le directeur général américain du groupe de capital investissement Blackstone, Stephen Schwarzman, a touché en 2008, 702 M$ de revenus dont 700 M$ de stock-options…).
Rappelons que vers 1890, le grand banquier américain John Pierpont Morgan, disait qu’il ne traiterait jamais avec une entreprise dont le dirigeant gagnerait plus de 20 fois le salaire de ses ouvriers. Rockefeller fixait quant à lui la barre à 40 fois le niveau de ses salariés – toujours loin des 4 fois évoqués par Platon. La dérive survenue depuis 20 ans est incroyable (pour la seule poignée de dirigeants dont nous parlons, je le rappelle) : on constate donc une multiplication par 10 à 20 des rémunérations des 3 PDG américains les mieux payés – le ratio les exprimant en fonction du salaire moyen des employés se situant désormais à plus de 100 fois la norme du début du XXe siècle… 300 M$ en 2000 pour le patron de Mickey, cela laisse songeur…
On observe que de 1940 à 1985, les plus hautes rémunérations américaines étaient on ne peut plus décentes, et se situaient entre 25 et 50 fois le salaire moyen. Cela correspond aujourd’hui à environ 40 000 à 80 000 € nets par mois – ce qui est déjà très confortable. Ce consensus sociétal ayant prévalu durant plus d’un siècle a été largement rompu depuis, passant d’un ratio de 40 à environ 400, certain patrons américains flirtant avec les 4000 fois…On apprendra également que quelques happy few, dirigeants de hedge funds (fonds d’arbitrage spéculatifs), disposent de rémunérations de plus d’un milliard de dollars par an.
- Source : Olivier Berruyer