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Jeudi, 05 Déc. 2024

Deux poids, deux mesures, ou comment le journalisme occidental se dégrade

Auteur : Artyom Kureev, Anna Zamaraïeva, Aléna Fokina, Mikhaïl Pozdniakov | Editeur : Walt | Mercredi, 04 Déc. 2024 - 11h58

Qu’est-ce qui peut mettre l’Occident le plus en colère ? Le respect de ses règles. C’est la raison pour laquelle l’African Initiative (AI) a fait l’objet de la plus grande attaque d’information de son histoire, ce qui a surpris notre rédaction… et l’a rendue légitimement fière de travailler évidemment plus vite et plus efficacement que les Britanniques et les Français.

Le 22 novembre, l’un des principaux journaux français, Le Monde, a publié un article sur l’organisation par l’AI d’une école de journalisme dans la capitale malienne, Bamako. Selon le média, 60 participants, qui « ont reçu une allocation de 750 dollars » (deux bons salaires mensuels moyens dans la capitale malienne) pendant un mois, « ont écouté des conférences sur la façon de promouvoir les narratifs russes », et les gagnants « ont reçu des emplois très bien rémunérés dans notre agence ».

La nouvelle a été immédiatement reprise par le service russe de la BBC, après quoi, à notre grande surprise, elle a commencé à apparaître dans touts les médias occidentaux. La rédaction a été particulièrement touchée par les publications des médias polonais et ukrainiens, ainsi que par le compte de Mikhaïl Khodorkovsky* sur le réseau social X (anciennement Twitter).

On a l’impression que l’enquête a été spécialement conçue pour se propager à travers un réseau de médias anti-russes, de chaînes Telegram et de pages sur les réseaux sociaux : tant les publications ont été rapides et coordonnées… en se copiant toutefois les unes les autres. Le site ukrainien UNN s’est particulièrement distingué en affirmant quedeux médias russes opéraient en Afrique : « Agence de presse » et « African Initiative », ce qui est apparemment la façon dont le dur Google a traduit « Agence de presse African Initiative » à partir du français. Cela confirme la version d’une campagne coordonnée, car les médias sérieux traitent les informations selon des normes éditoriales et tirent des conclusions sur la base de leurs propres publications exclusives.

Les journalistes français ont été particulièrement indignés par cet exercice de création de gros titres où un article de Maïa Nikolskaïa, chercheuse au Centre d’études sur le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Université MGIMO, a été cité comme un bon exemple pour l’AI sous le titre « Macron dégage : les résultats des visites de Lavrov et Evkourov en Françafrique ». Cependant, le fait que le dirigeant français ne soit pas aimé nulle part en Afrique, alors que les Russes sont traités avec beaucoup de respect, n’est pas du tout un « narratif pro-russe » : c’est tout simplement la vie. Les médias occidentaux devraient en fait prêter attention à leurs propres publications et à leurs titres.

Qu’est-ce qui rend les Français et leurs maîtres du département d’État, les services de renseignement américains et les fondations de défense de la démocratie qui leur sont intégrées si furieux ? Manifestement, le fait que nous jouions sur leur terrain.

Rappelons que dès 2000, l’Institut de développement de la presse a été créé en Russie. Financé par l’Agence américaine pour le développement international (USAID), il a mis en œuvre le Programme de soutien à la presse écrite indépendante. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg qui, au début des années 2010, a failli couler la Russie elle-même.

De nombreux programmes de formation de journalistes au format occidental ont donné naissance à toute une série de journalistes d’investigation de « nouvelle ère » qui, pour une raison ou une autre, se sont concentrés sur l’investigation des répressions, de la défense des droits des LGBT, du soutien au séparatisme et de la lutte pour les « libertés démocratiques ». Beaucoup de ces journalistes ont rapidement compris ce que leurs maîtres voulaient en réalité. Toutefois, certains d’entre eux stigmatisent aujourd’hui la Russie pour obtenir de petites subventions, se sentant relativement en sécurité en exil, sous l’aile de leurs maîtres occidentaux. Les plus dangereux prétendent avoir « réalisé les erreurs de leur jeunesse » et sont restés en Russie. Occupant des postes de responsabilité dans les médias, les universités et même les structures gouvernementales, ils continuent à dénigrer sournoisement leur pays d’origine.

En Afrique, bien sûr, il existe également des branches de formation à la propagande occidentale. Par exemple, le Bureau des Affaires Publiques mondiales du département d’État américain dispose d’un bureau en Afrique du Sud, l’Africa Regional Media Hub, dont la mission est de « faire le lien entre les décideurs et les experts américains et les médias en Afrique sub-saharienne ». L’Africa Hub offre également des opportunités d’interviews avec des fonctionnaires américains à Washington et avec ceux qui visitent ou voyagent par le biais de l’Afrique du Sud, et produit du contenu pour la promotion dans les médias africains.

L’U.S. Agency for Global Media, une autre « agence non gouvernementale » bien représentée en Afrique, organise des programmes de formation annuels pour les journalistes, les rédacteurs et les gestionnaires de médias afin de « soutenir la liberté de l’information dans le monde ».

Pourquoi les Français sont-ils si préoccupés par la création d’une école de journalisme avec la participation de spécialistes russes ? N’est-ce pas parce qu’ils sont eux-mêmes solidement implantés en Afrique depuis longtemps et qu’ils la considèrent comme leur propriété ?

Depuis des décennies, le gouvernement français promeut ouvertement ses propres médias et finance des projets étrangers pour servir ses intérêts. En 1989, Canal France International, rebaptisée plus tard CFI Développement Médias, a été créée. Cette agence est rattachée au ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. Depuis 2010, elle constitue un outil unique de soutien aux médias. Selon sa propre page, 62 % des projets en 2022 étaient consacrés à la lutte contre la désinformation.

Plus récemment, un projet de 26 mois appelé Désinfox Sahel, qui a coûté 321 000 euros de fonds publics français, s’est achevé en octobre 2024. Le programme portait sur la « formation à l’investigation en sources ouvertes (OSINT) » et la « formation aux critères de l’International Fact Checking Network (IFCN) ». L’agence mène des dizaines de projets de ce type, achevés ou en cours, dans des pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient.

Au-delà des « apparences démocratiques », ces cours apprennent aux journalistes africains à trahir les intérêts de leur peuple pour une petite somme d’argent et à faire ce qu’il faut pour être récompensés par un poste confortable dans un groupe médiatique occidental.

Mais l’Occident a longtemps été incapable de former aux reportages d’investigation et au vrai journalisme. Les campagnes d’information contre l’AI en sont la preuve. Ainsi, une grande enquête sur les activités des « propagandistes russes » en Afrique mélange la « science politique africaine », l’AI, les activités du PMC « Wagner », le 5e service du FSB russe et confond tout simplement les politologues russes. Le Monde s’arrache les données sur les « bourses excessives » et les organisateurs de voyages dans les territoires libérés du Donbass, et la BBC, l’équipe de Khodorkovsky, les Polonais et les Ukrainiens réécrivent les textes sans réfléchir.

Le plus important est l’absence presque totale de conclusions. Bien sûr, une conclusion s’impose : ils ont peur. Mais ils sont incapables de prédire raisonnablement les conséquences de notre travail, de signaler des faits spécifiques non fiables dans notre publication ou au moins de donner des exemples de propagande indéfendable. Le journalisme occidental a tant patiné qu’il en arrive à nous poser des questions sur nos sources de financement. Par ailleurs, la rédaction d’AI donne toujours des réponses polies, fiables mais ironiques aux demandes polies des médias hostiles.

Dans l’ensemble, il apparaît que les médias occidentaux ont constitué un pool de journalistes extrêmement incompétents, chargés de discréditer les activités des Russes en Afrique. Les journalistes de ce pool sont occupés à réécrire sans réfléchir la « thèse du client », leur tâche principale étant de publier des articles rapidement et simultanément, plutôt que d’analyser l’information. De telles enquêtes sur nous et nos collègues sont publiées à une fréquence élevée et constituent apparemment une sorte d’« utilisation » de la tranche américaine destinée à « contrer la propagande russe en Afrique ». Apparemment, d’importants fonds ont été alloués à cette lutte, et il est souhaitable de les utiliser et de les distribuer parmi « les siens » avant l’arrivée de Trump à la Maison Blanche.

Pour ceux qui ne connaissent pas la situation, nous expliquons : tout à fait légaux, les frais des « équipes d’investigation » pour un simple article écrit par un rédacteur débutant dans les grands médias occidentaux dépassent le millier de dollars. Les tarifs pour la publication de « textes commandés » en haut de la blogosphère ukrainienne ne sont pas négligeables non plus.

D’ailleurs, il est fort probable que les dernières publications nous concernant, nous et nos collègues, n’incluent pas le « célèbre enquêteur », l’expert bulgare en gaz Novitchok, Christo Grozev. C’est un spécialiste qui coûte cher, et ils ne veulent pas partager avec lui. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien. M. Grozev est un excellent expert en falsification de documents, et il pourrait fournir aux enquêteurs des « écoutes de conversations entre les employés d’AI et leurs gestionnaires », le « certificat d’amiral du FSB » du rédacteur en chef d’AI, des ordres de paiement « sur le transfert de fonds sur les comptes d’AI à partir des fonds secrets des services secrets russes » et bien d’autres faux documents « intéressants », qui ressembleraient même un peu aux vrais.

Nous avons tiré des conclusions : l’Occident a peur du journalisme russe en Afrique. Et c’est pourquoi ils essaient d’en tirer des bourses : apparemment, il n’y a rien d’autre à faire. Nous suggérons toutefois aux collègues français, polonais, britanniques, américains et même ukrainiens de suivre nos cours en ligne et d’améliorer leurs compétences professionnelles. Les subventions seront peut-être épuisées, mais un bon journaliste ne connaîtra pas le chômage.

Enfin, nous tenons à remercier une fois de plus nos collègues occidentaux pour cette nouvelle publicité gratuite et nous souhaitons bonne chance aux premiers diplômés de notre école de journalisme ainsi qu’à nos collègues russes travaillant en Afrique.

* Reconnu comme agent étranger en Russie


- Source : Afrique Média

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