La construction de la défense européenne sous la tutelle américaine
La Réglementation américaine sur le trafic d’armes au niveau international (International Traffic in Arms Regulations, ITAR) désigne un ensemble de règlements du gouvernement fédéral américain servant à contrôler les importations et exportations des objets et services liés à la défense nationale, tels que recensés sur la «Liste des matériels de guerre et assimilés américains».
La politique étrangère américaine contrôle la totalité de l’industrie de la défense en France. Le fiasco financier de la vente des sous-marins à l’Australie en est le meilleur exemple, Biden et Blinken ont saboté l’accord franco-australien d’une valeur de 63 milliards d’euros. L’origine de cette non-vente réside dans la norme ITAR qui peut donner légitimement aux américains le droit de nous interdire cette vente à partir du moment qu’une pièce de construction des sous-marins est labellisée Made in USA et par le droit extra territorial américain.
Les Européens face aux réglementations ITAR
En 1999, le retour des satellites commerciaux sur la «liste des munitions» avait introduit une réelle entrave pour les industries spatiales européennes. Il était long et compliqué de recevoir du matériel américain pour fabriquer des satellites en Europe et impossible de lancer un satellite contenant des pièces américaines avec une fusée non américaine.
Pour leur part, les fabricants de satellites européens se sont efforcés de produire des satellites dépourvus de composants américains. Si Thalès Alenia Space propose aujourd’hui de ces satellites dits «ITAR-free», c’est le fruit d’une décision prise par Alcatel en 2002. Ces satellites peuvent être fabriqués plus rapidement et exportés sans attendre une autorisation du département d’État américain. Ils peuvent donc par exemple être exportés en Chine pour un lancement sur Longue Marche. Cette opportunité a été saisie récemment par les opérateurs Eutelsat et APT, qui ont commandé des satellites ITAR-free à Thalès Alenia Space et prévoient de les faire lancer en Chine. Aujourd’hui, les satellites ITAR-free perturbent donc le jeu établi du marché du lancement en réintroduisant le concurrent chinois. (source IFRI)
En 2005, Thales Alenia Space a racheté Alcatel et en 2013, la société avait déjà mis au rebut l’ensemble de sa flotte de satellites exempts d’ITAR. Après une enquête du département d’État, il a également été découvert que le satellite Spacebus 4000 de Thales, le satellite exempt d’ITAR le plus rentable, n’avait jamais été exempt d’ITAR. Plusieurs entreprises américaines qui étaient des fournisseurs de Thales avaient simplement négligé d’obtenir une licence de contrôle des exportations, comme le fournisseur Aeroflex basé à New York, et ont été condamnées à une amende à la suite de l’enquête.
*
La norme ITAR américaine : quel impact sur l’industrie européenne de la défense ?
par Jade Lim
Si le sujet de la défense européenne est, en règle générale, discuté sur la place publique sous l’angle politique, institutionnel ou encore symbolique, cet article, lui, s’attache à l’aborder au travers de la question industrielle, qui lui est tout aussi intrinsèque.
En particulier, intéressons-nous de plus près au défi que lui pose une norme américaine, peu connue du grand public, mais qui a cependant fait parler d’elle à plusieurs reprises cette dernière décennie, notamment après avoir mis en péril un certain nombre de contrats d’armement français majeurs.
ITAR : une réglementation complexe, contraignante, à l’application large et extraterritoriale
Mise en place en 1976 par l’administration américaine, la réglementation International Traffic in Arms Regulation ou ITAR, a pour but de contrôler les exports de technologies et de services à usage militaire d’origine américaine, ainsi que d’en assurer la traçabilité. Elle couvre, pour se faire, une liste des matériels de guerre et assimilés américains ou United States Munitions List (USML), au spectre remarquablement large, organisée en pas moins de 21 catégories de produits. À titre d’exemples, on compte parmi ces derniers des gilets pare-balles, des satellites, des navires de guerre, de nombreux services ou encore des systèmes d’imagerie.
Pour saisir en quoi la norme ITAR constitue un réel outil de domination commerciale, il est important de comprendre qu’en plus de s’appliquer à tout matériel ou logiciel américain figurant sur cette liste, elle fait aussi autorité sur tout produit contenant des composants ou sous-ensembles, aussi mineurs soient-ils, appartenant à son – très – large périmètre ! Ainsi, les États-Unis sont en mesure d’annuler, ou d’au moins significativement retarder, la vente de n’importe quel système d’armes contenant ne serait-ce qu’un composant américain figurant sur cette liste ; une simple vis, un boulon, une puce suffisent en effet à eux seuls à «ITARiser» (soumettre à la norme) un produit.
Par ce système de contrôle exigeant et complexe, les États-Unis placent les industriels «ITARisés» dans une situation de forte dépendance. Ces derniers sont en effet dans l’obligation, afin de commercialiser leurs productions en conformité avec les textes de lois américains, d’obtenir des licences d’exportation dont le processus d’obtention est lourd, complexe, et long. Cela entraîne bien souvent d’importants retards de livraison, et, dans certains cas, la perte de contrats conséquents. Au-delà même des potentielles conséquences financières désastreuses induites par ce processus, les industriels voient alors leur réputation sévèrement entachée.
En outre, les entreprises ne respectant pas les nombreuses exigences imposées par la norme sont sujettes à de lourdes sanctions qui incluent des amendes extrêmement élevées (jusqu’à 1 million de dollars par infraction et/ou 10 ans de prison).
Enfin, la complexité et le champ d’application particulièrement large de la réglementation posent un problème non négligeable qu’il convient de mentionner : l’ITARisation accidentelle de produits. Vous l’aurez compris, la norme s’appliquant également à des composants, même infimes, il n’est pas rare que parmi les milliers d’éléments – souvent importés, en raison de la chaîne de production hautement mondialisée de cette industrie – et nécessaires à la fabrication de systèmes d’armes extrêmement sophistiqués et complexes, se trouve une pièce américaine figurant sur la liste USML. Une entreprise ayant eu recours à un composant ITAR sans en avoir connaissance et/ou sans avoir fait les démarches nécessaires est donc, elle aussi, sujette à de lourdes sanctions. Ce phénomène oblige ainsi l’ensemble de l’industrie à faire preuve de vigilance et à maîtriser presque parfaitement la traçabilité de l’intégralité de ses composants tout au long de sa chaîne de production.
Dès lors, quel est l’impact de cette norme sur l’industrie européenne de la défense ?
Il est nécessaire de rappeler que l’application de la norme ITAR est extraterritoriale. Par définition, elle fait autorité au-delà des frontières États-Uniennes. Nos entreprises, à l’image de celles du monde entier, sont ainsi contraintes de l’observer rigoureusement, afin d’éviter des sanctions dont l’impact peut parfois être très lourd. Or, l’industrie européenne de la défense est extrêmement dépendante des technologies (logiciels, puces…) américaines, qui, pour l’heure, n’ont pas d’équivalents produits sur notre territoire, par nos acteurs domestiques.
Une réglementation qui pénalise nos industries Européennes : deux exemples français
En 2018, en vertu de la réglementation ITAR, les États-Unis bloquent subitement la vente de douze avions Rafale à l’Egypte, un contrat de plusieurs milliards d’euros, fruit de la collaboration de deux fleurons des industries de la défense respectivement française et européenne, Dassault Aviation et MBDA. La raison de ce veto réside dans le fait que les missiles de croisière SCALP, développés par MBDA, et dont sont équipés les 12 Rafale, contiennent une puce électronique d’origine américaine entrant dans le champ d’application de la norme ITAR. Cette interférence américaine, qui oblige les deux industriels français à se lancer dans de complexes et longues négociations, aura pour conséquences le retard de plusieurs mois de la livraison et la réclamation d’un dédommagement en faveur de la partie égyptienne du contrat.
Cet accrochage n’est pas le premier provoqué par la réglementation américaine à des exportations françaises. En 2014, déjà, Washington bloque le contrat Falcon Eye, d’une valeur avoisinant les 800 millions d’euros, conclu entre les Emirats Arabes Unis (EAU) que les entreprises françaises Airbus Defence&Space (AD&S) et Thales Alenia Space (TAS) avaient décroché face à l’américain Lockheed Martin. Le contrat, signé en juillet 2013, en présence du ministre de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian, confie à la France la livraison de deux satellites d’observation aux EAU et marque ainsi, à ce moment, son retour en matière d’armement. Cependant, les satellites comportant des composants figurant sur la liste ITAR, la France est contrainte d’attendre l’autorisation de la part des États-Unis pour être en mesure de mettre en œuvre le contrat. Seulement, celle-ci tarde à être émise, tant et si bien que la durée de validité du texte expire. La France se voit dans l’obligation d’en négocier un nouveau, signé un an après l’initial. Ce n’est que suite à la visite du président Hollande aux États-Unis que Washington autorise enfin l’exportation des satellites espions.
L’ambition dite «ITAR Free» et l’indépendance relative voulue d’une industrie de défense européenne
Interrogée en 2018 à l’occasion de son audition sur le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France à propos de l’impact de la réglementation ITAR sur nos industriels, Florence Parly, alors ministre des Armées, a déclaré, dans un contexte marqué par le blocage américain du contrat de vente des missiles SCALP à l’Égypte : «Avons-nous les moyens d’être totalement indépendants des composants américains ? Je ne le crois pas. Cherchons-nous à améliorer la situation ? La réponse est oui. Pourquoi ? Parce que nous sommes confrontés de façon concrète à des freins de la part de l’administration américaine».
Par cette déclaration, Florence Parly met en avant la position du ministère des Armées, et plus largement de la France, vis-à-vis de la possibilité de s’émanciper de l’emprise du Department of State et plus largement de l’industrie d’armement américaine. Il s’agit avant tout de favoriser une plus grande adaptabilité aux nombreuses évolutions de la réglementation, notamment grâce au développement de la BITD européenne (Base Industrielle de Technologie et de Défense). Le défi est le suivant : consolider et développer un tissu industriel de la défense suffisamment indépendant des réglementations étrangères à l’application extraterritoriale telles qu’ITAR pour garantir une certaine résilience de l’industrie de la défense française comme européenne en intensifiant la collaboration de leurs acteurs à un niveau régional. Il s’agirait, à terme, pour l’Europe, avec l’appui de sa BITDE, de «couvrir tout le spectre des technologies critiques» et d’intensifier sa capacité d’export en la protégeant davantage des effets négatifs engendrés par la norme ITAR et ses équivalents.
Pour l’heure, la position française est claire : la politique «ITAR free», ou «non-ITAR components» qui viserait à s’émanciper de l’influence américaine en développant régionalement les technologies jusqu’ici importées des États-Unis, n’est possible qu’à l’échelle européenne et non pas nationale. À titre d’exemple, selon la Direction générale de l’Armement, «désitariser» le missile air-air Meteor coûterait 900 millions d’euros et prendrait dix ans. La France espère donc pouvoir développer au niveau européen une chaîne de production stable et pérenne, ce qui représente un changement majeur dans l’industrie, cette dernière étant le plus souvent cantonnée au niveau national. La CSP (Coopération Structurée Permanente), active depuis 2017 et dont la France est membre, ainsi que le FEDef (Fonds européen de défense) semblent dès lors être des éléments de réponse à cet enjeu majeur auquel l’ensemble des acteurs européens de la défense font face. Il s’agira en somme pour l’Union européenne, dans ce projet d’affranchissement progressif et relatif des technologies américaines, de concilier souveraineté, coopération et efficacité économique tout en préservant ses relations avec Washington.
- Source : Géopolintel