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Mardi, 26 Nov. 2024

La CPI s’attaque à Israël et à la mafia du Congrès américain

Auteur : Medea Benjamin | Editeur : Walt | Vendredi, 31 Mai 2024 - 16h29

«Interférer dans une affaire judiciaire en menaçant de représailles des officiers de justice, leur famille & employés est inadmissible. Ces agissements sont dignes de la mafia, pas des sénateurs US».

Medea Benjamin évoque les forces pro-israéliennes à Washington qui tentent de faire échouer la demande de Karim Khan d’obtenir des mandats d’arrêt israéliens et du Hamas.

Le sénateur américain Lindsey Graham débordait de mépris pour la Cour pénale internationale (CPI) lorsqu’il a questionné le secrétaire d’État américain Antony Blinken lors d’une séance au Congrès le 21 mai.

Agitant le doigt, il a averti que si la CPI émettait des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le ministre de la défense Yoav Gallant, «nous serons les prochains».

Le public du Congrès, rempli de soutiens pro-palestiniens de CODEPINK, a applaudi à tout rompre à l’idée que les États-Unis soient traînés devant la plus haute juridiction du monde. «Vous pouvez applaudir tant que vous voudrez», a rétorqué Graham, furieux, «mais ils ont essayé de s’en prendre à nos soldats en Afghanistan».

Graham s’est félicité que la «raison ait prévalu» dans l’affaire afghane et que l’affaire ait été abandonnée, ajoutant que les États-Unis devaient prendre des sanctions contre la CPI «non seulement pour protéger nos amis en Israël, mais aussi pour nous protéger nous-mêmes».

Graham faisait référence aux efforts déployés en 2019 par l’ancienne procureure de la CPI, Fatou Bensouda, pour tenir les Taliban et les États-Unis responsables des crimes de guerre commis en Afghanistan. Lorsque Graham a dit que «la raison a prévalu», il voulait en réalité dire que la brutalité américaine l’a emporté parce que l’administration Trump a effrontément imposé des sanctions contre les fonctionnaires de la CPI, en leur refusant des visas pour les États-Unis et en gelant leurs avoirs dans les banques américaines.

Le président Joe Biden a levé les sanctions, mais à la condition tacite que la Cour ne reprenne pas l’enquête sur les crimes américains en Afghanistan. Le message des présidents démocrates et républicains était clair : gardez-vous de soumettre les États-Unis aux mêmes normes que celles que vous appliquez aux autres nations.

Benjamin Ferencz lors des procès de Nuremberg, vers 1947.

La Cour pénale internationale a été fondée en 1998, fruit du travail de toute une vie d’un juriste international américain (et juif), Benjamin Ferencz, qui s’appuyait sur son expérience d’enquêteur et de procureur en chef aux tribunaux de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale.

Ben est décédé en 2023 à l’âge de 103 ans, mais la compétence universelle que le tribunal exerce dans cette affaire est l’aboutissement du travail de sa vie pour que les criminels de guerre répondent de leurs actes en vertu du droit international, quel que soit leur pays d’origine ou l’identité de leurs victimes.

Puis est venu le tour d’Israël. La CPI monte un dossier contre Israël depuis près de dix ans. Une récente enquête sensationnelle menée par The Guardian et deux organes de presse basés en Israël a révélé une campagne secrète choquante menée pendant près de dix ans contre la Cour par les services de renseignement israéliens, qui ont surveillé, piraté, fait pression, dénigré et menacé les fonctionnaires de la CPI dans le but de faire échouer les enquêtes de la Cour.

Malgré les pressions, le 20 mai, le procureur de la CPI, Karim Khan, a requis des mandats d’arrêt à l’encontre d’Israël et du Hamas. Les responsables israéliens sont notamment accusés d’extermination, d’avoir utilisé la famine comme méthode de guerre, d’avoir délibérément causé de grandes souffrances et d’avoir intentionnellement dirigé des attaques contre une population civile.

Le procureur Khan de la CPI en 2017. (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie)

La demande de Khan a été soumise à un panel de trois juges qui détermineront dans les semaines à venir si la requête est acceptée. Mais les forces pro-israéliennes aux États-Unis font de leur mieux pour mettre des bâtons dans les roues de la justice en menaçant de nouvelles sanctions.

Un ultimatum a déjà été lancé par le sénateur Tom Cotton et 11 autres sénateurs républicains dans une lettre toxique datée du 24 avril. «Ciblez Israël et nous vous ciblerons», ont indiqué les sénateurs à la CPI.

«Si vous allez de l’avant avec les mandats cités dans le rapport, nous prendrons des mesures pour mettre fin à tout soutien américain à la CPI, sanctionner vos employés et associés, et vous interdire, ainsi qu’à vos familles, l’accès aux États-Unis».

La lettre se terminait par une phrase à faire dresser les cheveux sur la tête :

«Vous aurez été prévenus».

Cotton, au centre, avec Mike Pompeo, alors secrétaire d’État, en juillet 2018.

L’administration Biden a réagi à la CPI en faisant volte-face. Le 20 mai, la Maison Blanche a publié un communiqué qualifiant de «scandaleuse» la demande du procureur de la CPI de délivrer des mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens, ajoutant :

«Quoi que ce procureur puisse laisser entendre, il n’y a pas d’équivalence – aucune – entre Israël et le Hamas. Nous nous tiendrons toujours aux côtés d’Israël contre les menaces qui pèsent sur sa sécurité».

Blinken a qualifié la requête de «honteuse». Lors d’une audition le 22 mai, il a déclaré à Graham qu’il se félicitait de travailler avec lui sur les efforts visant à sanctionner la CPI.

Mais le 28 mai, le conseiller en communication du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, a déclaré lors d’un point presse à la Maison-Blanche :

«Nous ne pensons pas que des sanctions contre la CPI soient ici la bonne approche».

La secrétaire de presse de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, qui s’est exprimée après Kirby, a réitéré ce message. Elle a déclaré que les mesures contre la CPI «ne sont pas des éléments que l’administration va soutenir» et que «les sanctions contre la CPI ne sont pas l’outil efficace ou approprié pour répondre aux préoccupations des États-Unis».

Cette nouvelle posture de la Maison-Blanche permettra à davantage de démocrates de dire plus facilement non aux projets de loi qui seront présentés dès le retour des vacances du Congrès, le 3 juin.

D’ores et déjà, les membres du Congrès font des déclarations contradictoires.

Le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, a qualifié l’appel de la CPI de «répréhensible» et le démocrate Joe Manchin s’est joint aux républicains pour appeler à interdire la délivrance de visas aux responsables de la CPI, et à imposer des sanctions à l’organisme international.

Le sénateur Bernie Sanders a toutefois défendu la Cour en déclarant :

«La CPI fait son travail. Elle fait ce qu’elle est censée faire. Nous ne pouvons pas appliquer le droit international uniquement lorsque cela nous arrange».

Du côté de la Chambre des représentants, les progressistes ont exprimé leur soutien à la CPI. Cori Bush a déclaré :

«Solliciter des mandats d’arrêt pour des violations des droits de l’homme est un pas indispensable vers la responsabilisation. Il est honteux que des responsables américains menacent la CPI tout en continuant à envoyer des armes qui permettent de commettre des crimes de guerre».

Le député Mark Pocan a réagi avec courage en déclarant :

«Si Netanyahou vient s’adresser au Congrès, je serai plus que ravi de montrer à la CPI le chemin de la Chambre des représentants pour qu’elle délivre ce mandat».

Mark Pocan, membre du Congrès du Wisconsin, en 2018.

Alors que la plupart des républicains et des faucons pro-israéliens du parti démocrate uniront probablement leurs efforts pour défier la Cour internationale, Joe Biden pourrait en fin de compte se voir contraint d’adopter la posture la mieux formulée par le sénateur Van Hollen :

«Il est compréhensible d’exprimer son opposition à une éventuelle action judiciaire, mais il est absolument inadmissible d’interférer dans une affaire judiciaire en menaçant de représailles des officiers de justice, les membres de leur famille et leurs employés. Ce genre d’agissements est digne de la mafia, pas des sénateurs américains».

La Maison-Blanche devrait éviter de s’y associer, elle qui s’est montrée si complaisante avec les crimes de guerre perpétrés par Israël.


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