Fabius et Juppé pour sortir de la nasse ?
Emmanuel Macron est arrivé à l’Élysée grâce à une opération politique voulue et organisée par la haute fonction publique d’État, soucieuse de porter l’un des siens au sommet dudit État. Elle fut également soutenue et financée par les grands intérêts. Sa réussite a bénéficié d’un concours de circonstances et de l’appui décisif de la magistrature – souvenons-nous de l’opération de disqualification judiciaire de François Fillon, favori de l’élection présidentielle 2017. Un concours de circonstances qu’il n’est pas excessif d’assimiler à une forme de coup d’État, qui a bénéficié de l’absence de réaction des forces politiques et démocratiques, inertes devant cette manipulation. Qui avait pourtant retiré au scrutin son caractère de sincérité et de légitimité. Le problème, c’est qu’il a installé à l’Élysée un parfait inconnu au parcours intellectuel, social et politique d’un vide abyssal.
Emmanuel Macron infirme politique
Le CV du président de la République ne fait apparaître ni études universitaires brillantes, ni parcours professionnel digne de ce nom, ni la moindre responsabilité politique. Et c’est bien ce dernier point qui aboutit à ce que l’actuel locataire de l’Élysée apparaisse comme inadapté, dès lors qu’il s’agit de gérer des moments difficiles. Desservi par un narcissisme pathologique, il pense que le brio et le charme qu’il s’attribue seront suffisants pour franchir les obstacles. Sans mesurer que ses atouts essentiels sont le soutien de l’oligarchie, celui d’un bloc élitaire minoritaire, et le caractère hétérogène d’une opposition politique pourtant largement majoritaire.
Manifestement, Emmanuel Macron n’a pas retenu la leçon de Richelieu, celle qui dit que « la politique est le moyen de rendre possible ce qui est nécessaire ». Son caractère et son absence d’expérience le rendent incapable jusqu’à l’infirmité d’intégrer et de traiter la conflictualité constitutive du politique. Ce qui l’a amené à commettre toutes les erreurs possibles dans la conduite de son projet de réforme des retraites. Jusqu’à l’invraisemblable bras d’honneur du recours par Élisabeth Borne à l’article 49-3 après qu’elle et ses ministres aient affirmé la veille encore qu’il n’en était pas question…
Le mouvement social a passé un cap, et l’acharnement de Macron à jouer le pourrissement débouche sur une crise politique que ses commanditaires risquent de trouver inopportune. La presse occidentale ne se gêne pas pour traiter le président français d’autocrate et accuse son système d’être antidémocratique.
Et beaucoup se demandent comment sortir de l’impasse dans laquelle le président a enfermé le pays. Alors, on va peut-être demander au Conseil constitutionnel de s’y coller. Voyons comment.
Les groupes d’oppositions au Parlement l’ont saisi de plusieurs recours contre la loi adoptée grâce au 49-3. Pour rappel, dans le système français, toute loi votée par le Parlement et faisant l’objet d’un recours parlementaire ne peut être promulguée par le Président de la République qu’après la « validation » par le Conseil constitutionnel.
Fabius et Juppé pour sortir de la nasse
Normalement, le contrôle de constitutionnalité devrait être limité à l’examen de la conformité de la loi, confrontée au texte-même de la Constitution. Une évolution jurisprudentielle trentenaire a vu une considérable augmentation du champ d’intervention du Conseil et de ses possibilités d’interprétation, récupérant ainsi dans les faits une partie importante du pouvoir législatif. Ce qui donne à ses décisions un caractère éminemment politique. Rappelons qu’il est présidé par Laurent Fabius et qu’Alain Juppé y siège. Deux poids lourds d’expérience de la politique, qui ne veulent probablement aucun mal à Emmanuel Macron mais ne seraient pas fâchés de contribuer à une sortie de crise, par exemple en annulant la loi. Et en renvoyant ce faisant l’exécutif à remettre son ouvrage sur le métier. Répétons qu’il s’agirait d’une décision politique mais qu’elle nécessite de préserver les formes et d’avancer des motifs juridiques. Il semble bien qu’il n’en manque pas.
L’utilisation de l’article 49-3 ne pose pas de problème de principe et c’est une possibilité offerte au gouvernement par la Constitution de la Ve République. Et ce n’est pas la bombe atomique antidémocratique que l’on nous présente sans arrêt. Elle est avant tout le moyen d’obliger les parlementaires à prendre leurs responsabilités.
« Vous ne voulez pas voter le projet de loi que le gouvernement vous propose. Fort bien, mais vous êtes les élus de la Nation et donc responsables devant le peuple. Par conséquent, vous devez manifester votre défiance vis-à-vis de cet exécutif qui vous a proposé un texte dont vous ne voulez pas. Et voter une motion de censure pour le renverser. Et si vous n’avez pas ce courage, le texte est adopté. » On sait ce qu’il en a été du courage d’Éric Ciotti, pour ne citer que lui.
En revanche, le véhicule législatif choisi était bien une manipulation. Le gouvernement a utilisé l’article 47-1 de la Constitution, qui permet aux lois budgétaires de bénéficier du fait de leur urgence d’un calendrier contraint et d’un examen accéléré. Élisabeth Borne a ainsi prétendu que son projet de loi de réforme des retraites était une loi rectificative de financement de la Sécurité sociale ! Une collection de mesures prévues dans le texte n’avait aucun rapport avec une telle loi et devenait de ce fait autant de ce que l’on appelle des « cavaliers législatifs » que la Constitution interdit. Leur annulation par petits bouts priverait la loi de de sa cohérence. La meilleure solution serait de considérer le choix de l’article 47-1 comme inconstitutionnel, et de prononcer une annulation globale.
Il y a ensuite la violation d’un principe déjà consacré par des décisions antérieures du Conseil, celui de la nécessaire « sincérité du débat parlementaire ».
Il y a eu par ailleurs un certain nombre de manipulations, comme par exemple l’activation de l’article 38 du règlement du Sénat, ayant pour effet de limiter les prises de parole, ou encore l’utilisation à deux reprises de l’article 44 al.2 de la Constitution par le gouvernement pour faire tomber les sous-amendements non examinés par la commission des affaires sociales. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a enfin eu recours à l’article 44-3 de la Constitution, qui prévoit « un vote bloqué » permettant à une assemblée de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie d’un texte en discussion, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement.
Pris séparément, tous ses moyens ne pourraient entraîner une censure globale du texte. Mais avec l’usage de l’article 47-1, il s’est produit un effet d’accumulation, caractérisant ce que les juristes appellent un « détournement de procédure ». D’autant qu’il existe des précédents dans la jurisprudence constitutionnelle, comme par exemple l’annulation totale de la loi de finances parce que le gouvernement avait fait examiner à l’Assemblée nationale la deuxième partie du texte sur les dépenses avant la première sur les recettes ! Autre exemple de réaffirmation du principe de « sincérité du débat » : l’annulation totale en 2012 de la loi Duflot, motivée par le fait que le texte examiné au Sénat était celui du gouvernement et non celui amendé par la commission des affaires économiques.
Répétons-le, les décisions du Conseil constitutionnel ont d’abord et avant tout un caractère politique. Alors, si Laurent Fabius et Alain Juppé veulent contraindre Emmanuel Macron à abandonner sa stratégie de fuite en avant, ils ont toutes les motivations juridiques qui pourraient le permettre. Cela constituerait une défaite politique pour le Président, et l’on voit mal comment Élisabeth Borne pourrait alors conserver son poste.
Est-ce qu’un tel scénario désamorcerait la crise politique et ramener le calme ? Ce n’est même pas sûr, tant le rejet de la personne même d’Emmanuel Macron plonge la majorité du peuple français dans la rage.
Le problème, c’est bien lui.
- Source : Vu du droit