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Jeudi, 20 Févr. 2025

L’instruction moderne : une fabrique de conformisme ?

Auteur : Serge Van Cutsem | Editeur : Walt | Lundi, 17 Févr. 2025 - 14h30

L’éducation a toujours été un pilier du progrès et de l’émancipation intellectuelle. Pourtant, de plus en plus de penseurs et d’analystes dissidents dénoncent l’évolution du système scolaire contemporain. Plutôt que de former des esprits curieux et critiques, l’école moderne tend à produire des individus conformistes, conditionnés à suivre un cadre rigide plutôt qu’à explorer librement la connaissance.

Un système qui bride la pensée critique

L’un des constats les plus préoccupants est que l’école enseigne davantage à répéter qu’à penser. La pensée critique, pourtant essentielle à toute démarche scientifique et philosophique, est peu encouragée, voire réprimée. L’obsession des examens et des diplômes pousse les élèves à ingurgiter des informations sans nécessairement les comprendre ni les questionner. Les pédagogies actuelles privilégient les évaluations standardisées (comme les QCM) qui favorisent la mémorisation brute au détriment de l’analyse et de la réflexion critique. Or, cette dernière est essentielle, tant pour la démarche scientifique que pour l’esprit philosophique. Pourtant, elle est de moins en moins encouragée et parfois même réprimée, notamment lorsqu’elle entre en contradiction avec des dogmes institutionnels. La standardisation des programmes et des méthodes pédagogiques conduit à la formation de générations formatées, acceptant les récits dominants sans les remettre en question. Ces étudiants finissent trop souvent leur cursus en étant atteint de psittacisme, cette répétition mécanique de notions sans véritable compréhension. En privilégiant la restitution fidèle d’un savoir préformaté plutôt que son appropriation critique, l’école forme des élèves capables de réciter des réponses attendues mais incapables d’analyser, d’argumenter ou de remettre en question les discours dominants.

Concernant les QCM (Questions à Choix Multiples), ils sont devenus une méthode d’évaluation omniprésente dans l’enseignement moderne. Présentés comme un moyen objectif et rapide de mesurer les connaissances, ils souffrent pourtant d’un biais fondamental : l’intégration du facteur chance dans l’évaluation. Dans un test classique, une mauvaise réponse est due à un manque de connaissance ou à une erreur de raisonnement. Mais dans un QCM, le simple fait de cocher une réponse au hasard peut aboutir à une note acceptable, voire supérieure à celle d’un élève ayant réellement réfléchi mais en hésitant entre plusieurs options plausibles.

Le QCM illustre à lui seul la standardisation de la pensée dans le système éducatif moderne. Son utilisation massive reflète une volonté d’uniformiser les connaissances, de limiter les interprétations et de réduire l’éducation à une grille d’évaluation binaire : vrai ou faux, bon ou mauvais, sans nuances possibles, sans oublier que l’élève perd l’habitude de s’exprimer, oralement ou par écrit, pour développer son raisonnement, mais n’est-ce pas précisément le raisonnement qu’on tente de réduire ?

Vers une évaluation plus intelligente ?

Plutôt que d’encourager ces méthodes biaisées, il serait pertinent de repenser l’évaluation en favorisant :

  • Des questions ouvertes qui obligent à formuler une réflexion personnelle.
  • Des études de cas où l’élève applique son savoir à une situation concrète.
  • Des évaluations basées sur la capacité à argumenter plutôt qu’à deviner.

L’enjeu est de réhabiliter l’esprit critique et la capacité d’analyse, au lieu de formater les élèves à cocher des cases. Car si l’éducation moderne continue à favoriser des outils qui privilégient la chance sur la réflexion, elle ne produira que des individus conditionnés à suivre des options imposées plutôt qu’à créer leurs propres solutions, mais n’est-ce pas l’objectif réel de l’enseignement occidental moderne ?

Ce phénomène s’accélère, car les nouvelles générations de parents et d’enseignants ont elles-mêmes été formées par ce système. Chaque cycle renforce un peu plus cette tendance, laissant entrevoir un avenir où l’école pourrait ne plus être un lieu d’émancipation intellectuelle, mais une simple matrice de conditionnement social.

Une déconnexion avec le monde réel

L’un des principaux problèmes du système éducatif contemporain réside dans sa rupture avec la réalité qui consiste à immerger les étudiants dans un récit, un narratif imposé et indiscutable, alors que le monde technologique et économique évolue à une vitesse vertigineuse, les programmes scolaires restent figés et souvent obsolètes.

Des domaines d’avenir comme l’intelligence artificielle, la blockchain, les énergies renouvelables ou l’entrepreneuriat numérique sont encore très peu intégrés dans les cursus classiques. Pourtant, ces secteurs redéfinissent déjà le monde du travail et l’économie globale. Cette inertie institutionnelle a pour conséquence de laisser le terrain libre aux autodidactes et aux entrepreneurs, qui acquièrent un savoir par nécessité et par expérience, bien plus que par le cadre académique.

Un exemple frappant est celui de l’intelligence artificielle, qui transforme en profondeur des métiers entiers. Pourtant, l’école peine à préparer les jeunes à cette révolution, laissant une fracture se creuser entre ceux qui comprennent et maîtrisent ces outils et ceux qui en subissent l’impact sans y être préparés.

De l’école officielle et publique à l’école du marché

L’une des explications de cette dérive réside dans l’évolution du modèle économique dominant. Pendant des décennies, le capitalisme industriel, malgré ses défauts incontestables, a favorisé l’innovation, la production et la constitution d’une classe moyenne éduquée et prospère. Or, ce modèle a progressivement été remplacé par un capitalisme financier où la richesse ne repose plus sur le travail ni sur la production, mais sur la spéculation et la rente.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le système éducatif ait suivi cette tendance. Former des individus capables de penser par eux-mêmes ne constitue plus une priorité. Au contraire, un savoir trop critique risquerait de remettre en cause les structures de pouvoir actuelles. L’école moderne apparaît ainsi moins préoccupée par l’émancipation intellectuelle que par la formation de travailleurs dociles, adaptés à une société de consommation et peu enclins à interroger le système qui les gouverne.

Néanmoins, certaines écoles privées, onéreuses et très sélectives, accueillent et forment les enfants de nos dirigeants afin de pérenniser la ploutocratie qui gouverne et manipule les classes populaires.

La revanche et l’essor des autodidactes et des modèles alternatifs

Face à ces lacunes, une nouvelle dynamique émerge : celle des autodidactes et des écoles alternatives. Contraints d’apprendre en dehors des circuits traditionnels, ces esprits curieux développent une autonomie intellectuelle et une capacité d’adaptation souvent supérieures à celles des diplômés classiques.

Certains élèves catalogués comme HPI (le nouvel acronyme pour surdoué) échouent parfois dans l’enseignement traditionnel mais du fait qu’ils passent généralement le reste de leur vie à s’auto-instruire sans relâche et sans pression, le résultat est souvent supérieur au niveau atteint par les diplômés qui, une fois ce précieux document obtenu, ne jugent plus nécessaire de persévérer dans l’apprentissage et l’instruction, convaincus qu’ils sont les sachants forcément supérieurs au vulgum pecus.

Des figures comme Idriss Aberkane, bien qu’issu du monde académique, critiquent vivement l’instruction institutionnalisée, qu’ils jugent trop rigide pour permettre l’épanouissement de la véritable intelligence. De plus en plus d’entreprises commencent à valoriser le savoir-faire et l’expérience réelle, avec raison, plutôt que les seuls diplômes. Ce changement de paradigme pourrait s’amplifier dans les années à venir.

Elon Musk a plusieurs fois affirmé privilégier les autodidactes compétents aux diplômés académiques sans réalisations concrètes. Il considère que les diplômes ne sont pas une garantie d’intelligence ni de capacité à résoudre des problèmes complexes et on peut difficilement douter de la valeur de son jugement quand on voit ce qu’il a réalisé. Lors d’une interview, il a donné cet exemple : «Si quelqu’un a réussi des choses exceptionnelles, même s’il n’a pas de diplôme, c’est la preuve qu’il est capable d’accomplir quelque chose de grand».

Quelles alternatives pour un renouveau éducatif ?

Si l’on veut redonner à l’éducation son rôle fondamental – former des esprits libres, créatifs et adaptables –, plusieurs pistes méritent d’être explorées :

  • L’apprentissage par projet et par expérience : Plutôt que de se limiter à des savoirs théoriques, développer des pédagogies qui poussent les élèves à résoudre des problèmes concrets, en interaction avec le monde réel.
  • Une flexibilité des parcours : Offrir aux jeunes la possibilité de personnaliser leur apprentissage en fonction de leurs centres d’intérêt et de leur curiosité, plutôt que de les enfermer dans des programmes rigides.
  • L’intégration des technologies modernes : Adapter l’enseignement aux transformations du monde du travail en intégrant des matières comme l’intelligence artificielle, l’entrepreneuriat ou les nouvelles formes de communication.
  • Le développement de modèles éducatifs alternatifs : S’inspirer d’expériences réussies comme les écoles Montessori, les lycées expérimentaux, ou encore les initiatives basées sur l’apprentissage en autonomie, qui placent l’élève au centre du processus éducatif.

Si ces évolutions ne sont pas mises en œuvre rapidement, la fracture entre les esprits libres et les masses conformistes continuera de s’agrandir. Ce fossé pourrait devenir irréversible, accentuant la domination de ceux qui maîtrisent l’information sur ceux qui ne font que la subir.

Conclusion

Loin d’être une simple question académique, l’avenir de l’éducation touche au cœur de notre société. Former des individus capables de comprendre, d’analyser et de questionner le monde qui les entoure est un enjeu fondamental pour la démocratie et la liberté.

Si nous laissons l’instruction se réduire à un simple formatage intellectuel, nous courons le risque de produire non pas des générations éclairées, mais des populations serviles, privées des outils nécessaires pour penser par elles-mêmes.

L’école doit-elle rester une fabrique de conformisme ou redevenir un espace d’éveil et d’émancipation ? La réponse à cette question déterminera l’avenir de nos sociétés.


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