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Mercredi, 05 Févr. 2025

Un détail de l’histoire

Auteur : Jacques Le Bourgeois | Editeur : Walt | Mercredi, 05 Févr. 2025 - 12h37

Ce jeudi 30 janvier 2025, l’Union européenne et les Occidentaux commémoraient le 80ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Je m’incline devant les victimes de l’holocauste et ne cesserai de le faire. Mais je ne peux taire mon amertume. Les libérateurs du camp n’avaient pas été invités. Les Russes étaient absents tout simplement parce que les Occidentaux n’ont pas souhaité leur présence. Je dis amertume, mais le mot dégoût conviendrait davantage, tant ce geste de la part de gens qui se déclarent civilisés, démocrates et respectueux des autres, me paraît odieux.

J’ai pris quelque temps avant d’écrire. Je me suis replongé dans mes archives et j’y ai retrouvé l’ouvrage (1) consacré au général Petrenko, qui à la tête de la 107e division d’artillerie entra dans le camp ce 27 janvier 1945.

Nos élites politiques et médiatiques l’ont sans doute oublié. Un détail de l’Histoire, peut-être. Alors je voudrais ici rafraichir leurs mémoires.

La libération du camp d’Auschwitz ne faisait pas partie des objectifs qui avaient été assignés au Maréchal Koniev, responsable de l’opération Vistule Oder. Staline ne l’avait pas mentionné dans ses directives bien qu’il ait été informé de l’existence des camps depuis 1944. Les alliés occidentaux (Anglais et Américains), pour la petite histoire, le savaient depuis 1943, voire 1942 pour ce qui est de la doctrine nazie. Le groupe d’armées du maréchal, après avoir participé à la libération de l’Ukraine, entrait en Pologne. L’objectif était la conquête de la Silésie. L’opération se déroula du 12 janvier 1945 au 3 février 1945. Les combats furent d’une extrême violence, car les Allemands se sentaient acculés et jetaient leurs dernières forces pour empêcher les Soviétiques d’entrer dans leur sanctuaire national.

Le général Petrenko, à la tête de sa division, devait appuyer la 60e armée du général Kouyrotchkine pour la conquête de la ville d’Auschwitz. Petrenko entendra parler du camp d’Auschwitz seulement le 27 janvier 1945, après la prise de la ville, à la veille de son entrée dans le camp dont son supérieur le chargera de la libération.

Les Allemands avaient quitté le camp n’y laissant que 7500 prisonniers. Les plus valides avaient déjà été ou évacuées ou exterminées.

Le général Petrenko aura l’opportunité de constater ce qui se passait dans ce camp. Il en fut si horrifié qu’il resta muet durant de nombreuses années. Ce n’est qu’en 1960, qu’il abordera le sujet en public, encore limité au monde militaire, à l’académie de Frounze. Et bien plus tard, en 1985, lorsqu’il va faire partie des témoins non oubliés de ce drame. Il va consacrer le reste de sa vie à partager ses mémoires avec les survivants du camp qui, à chaque commémoration ou en dehors, lui témoignèrent leur profonde gratitude.

Elie Weisel, ancien prisonnier d’Auschwitz et de Buchenwald, prix Nobel de la paix en 1985, lors de la conférence internationale des libérateurs de prisonniers des camps de concentration hitlériens à Washington du 26 au 28 octobre 1981 déclara : «Nous sommes tous réunis par le désir de ne pas tolérer de trahison à l’égard des victimes. Elles ont été éliminées une première fois par les nazis, elles ne doivent pas être tuées une nouvelle fois par l’oubli». Il faisait allusion non seulement aux victimes du camp mais aussi aux soldats qui avaient contribué à leur libération.

Lech Valesa, président de la Pologne, lors du cinquantième anniversaire de la libération du camp, s’adressa au général Petrenko en ces mots : «Mon général, vous et vos hommes avez ouvert les portes de ce camp de concentration. Vous avez été pour les prisonniers les porteurs du plus beau moment de croyance en la vie, des messagers de la liberté. JE N’IMAGINE PAS LES CÉRÉMONIES SANS VOTRE PRÉSENCE ET VOS MOTS». Je grossis intentionnellement les lettres.

Les temps ont bien changé. Sans doute une profonde ignorance de notre histoire. «Un détail !», me direz-vous. Mais aussi et c’est bien ce que je crains, une volonté malsaine de réécrire l’histoire. C’est bien connu, l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Je ne m’offusque pas lorsque je constate l’absence des Russes lors des cérémonies commémoratives du débarquement en Normandie. Effectivement les Soviétiques n’y ont pas directement participé. Quoique s’il n’y avait pas eu le front de l’Est, il est fort probable que le débarquement n’ait pu avoir lieu. Mais se permettre de ne pas inviter les libérateurs du camp d’Auschwitz me paraît relever d’une profonde et déplorable incongruité. C’est se moquer des 26 millions de soviétiques morts durant ce conflit.

Ne nous étonnons pas si dans les mois qui viennent, lorsque les premières négociations pour la fin du conflit en Ukraine vont commencer, les Russes écartent les Européens tant des pourparlers que de l’application des conditions de paix. Le «détail» ne sera pas oublié. Car, eux, les Russes sont fiers de leur histoire et ne l’oublient pas.

Villarrica, le 2 février 2025.

Note:

(1) «Avant et après Auschwitz», du général Petrenko, suivi de «Le kremlin et l’holocauste 1933-2001» de Ilya Altman et Caludio Ingerflom, Flammarion 2002- Paris.


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