Affaire Balkany : Justice ou billard à trois bandes ?
Ainsi, Monsieur Patrick Strzoda directeur de cabinet du président de la république vient-il de bénéficier lui aussi d’un classement sans suite de l’enquête préliminaire ouverte à son sujet à la suite de la saisine du procureur de Paris par le bureau du Sénat pour faux témoignage lors de son audition sous serment devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’affaire Benalla. Même motif, même absence de punition, Alexis Kholer et Lionel Lavergne avaient déjà été gratifiés d’une telle mansuétude avant d’aller intégrer de confortables sinécures. Sans oublier Ismaël Émelien, curieusement épargné par la justice qui vient lui aussi d’enfiler une pantoufle douillette offerte par Bernard Arnault. Ceci était non seulement prévisible mais inéluctable, non qu’il n’y ait pas eu de charges suffisantes, mais parce que l’immunité judiciaire des amis d’Emmanuel Macron est désormais devenue une routine.
Le petit rappel de cette partialité judiciaire systématique, permet un retour en forme d’autocritique sur l’affaire Balkany. Faute d’avoir été suffisamment attentif, un certain nombre de choses m’ont échappé. Ne mesurant pas à quel point le maire de Levallois Perret avait fait l’objet d’un traitement particulier, je considérais que la sanction à lui infligée était certes sévère, mais qu’au regard des infractions jugées et de son comportement bravache, elle était prévisible. En revanche je tenais le mandat de dépôt à la barre prononcé sur réquisitions conformes du PNF, pour une mesure vexatoire et inutile.
Affaire Balkany : comprendre le feuilleton
Le 18 octobre prochain, Patrick Balkany va être extrait de sa cellule pour être présent à l’audience où sera prononcée la deuxième sanction qui l’attend, conséquence du deuxième procès qui s’est déroulé dans la foulée du premier, devant le même tribunal et en présence du même procureur. Et c’est bien cette particularité qui jette un éclairage déplaisant sur le traitement dont a « bénéficié » Patrick Balkany.
Pour comprendre la manœuvre, il faut revenir sur le déroulement de la procédure depuis l’information judiciaire. Deux magistrats du Pôle d’Instruction Financier ont instruit un dossier mettant en cause les époux Balkany et relatifs à plusieurs infractions qui entretenaient à l’évidence des liens entre elles. Dans la pratique, quelles que soient les particularités procédurales, notamment en ce qui concerne la fraude fiscale, il s’agissait aux yeux de tous d’un dossier unique. Qui aurait dû faire l’objet d’un seul renvoi devant le tribunal correctionnel, celui-ci joignant les différentes affaires, comme cela se pratique quasi systématiquement. L’ensemble examiné en une audience unique, aurait débouché sur le prononcé d’une seule sanction globale quel qu’en soit le quantum. Au lieu de cela, on a assisté à un drôle et interminable feuilleton médiatico-judiciaire avec un dossier artificiellement saucissonné.
La saison 1 (la fraude fiscale) s’est terminée un vendredi, et le lundi suivant démarrait la saison 2 (la corruption) avec exactement la même distribution, même président, même collégialité, même procureur et bien évidemment même prévenu. Avant d’examiner les conséquences juridiques et judiciaires de ce curieux découpage, jetons au préalable un petit coup d’œil sur cette distribution justement. La 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris était présidée par un magistrat que l’on avait pu voir sur les plateaux d’une chaîne d’information donner des interviews sur les affaires Sarkozy ou Fillon, dirigeants du parti politique dont Patrick Balkany était un parlementaire. Ce n’était pas nécessairement la meilleure façon de se garantir pour l’avenir contre les soupçons de partialité. Car il convient une fois de plus de le rappeler, le risque réside dans le soupçon sans qu’il y ait besoin d’établir une partialité avérée. Ce soupçon, comme on l’a bien vu avec la déplorable affaire du « mur des cons » altère la confiance dans l’institution.
Balkany/Ferrand, ne pas confondre
Mais il y avait un autre problème, relatif à la constitution de partie civile de l’association Anticor. Structure privée à laquelle, par un agrément le ministère de la justice a confié des pouvoirs de poursuite et dont un certain nombre de dirigeants sont eux-mêmes des magistrats, voire carrément Garde des Sceaux comme ce fut le cas avec Christiane Taubira ! Il se trouve qu’actuellement un des vice-présidents du TGI de Paris, est aussi vice-président de ladite association, curieuse espèce de parquet privé, qui était donc partie à la procédure et représentée à l’audience. À la défense qui s’en étonnait, il fut fermement répondu que cela ne posait pas de problème. Ah bon ? C’est amusant, parce que dans une autre affaire cela s’est passé différemment.
Dans un dossier, sur plainte avec constitution partie civile d’Anticor le Pôle d’Instruction Financier avait ouvert une information judiciaire. Ce motif a été précisément retenu comme raison impérative pour que la Cour de cassation retire en plein mois de juillet le dossier au juge d’instruction de Paris pour l’envoyer à Lille. Deux poids deux mesures alors ? Ah oui mais non, vous mélangez tout. Le dépaysement c’était pour Richard Ferrand, ce n’est pas pareil. Si on commence à appliquer à Patrick Balkany les mêmes règles qu’à Richard Ferrand, on ne va pas s’en sortir. On va vous expliquer comment ça marche, vous allez voir c’est très simple : si Anticor est partie civile dans une affaire concernant Richard Ferrand, examinée par le tribunal de grande instance de Paris auquel appartient avec le statut de vice-président un des dirigeants de l’association, cela entraîne un risque de soupçon de partialité du tribunal il faut vite la dépayser. En revanche, si Anticor est partie civile dans une affaire concernant Patrick Balkany examinée par le tribunal de grande instance de Paris auquel appartient avec le statut de vice-président un des dirigeants de l’association, il n’y a pas de risque de soupçon de partialité du tribunal, et il n’est pas nécessaire de la dépayser. La procédure pénale c’est parfois simple comme un coup de fil…
Les conséquences du saucissonnage
Revenons maintenant sur la deuxième étrangeté : le dossier concernant Patrick Balkany a donc été coupé en deux et donné lieu à deux audiences qui se sont déroulées l’une derrière l’autre. Dans le premier, celui de la fraude fiscale, le procureur représentant le PNF a requis à son encontre quatre ans de prison ferme, dix ans d’inéligibilité avec mandat de dépôt à l’audience. Dans le second, celui de la corruption, le même procureur représentant le PNF a requis sept ans de prison ferme dix ans d’inéligibilité avec mandat de dépôt à l’audience. Après la clôture des débats, le tribunal a mis ses deux décisions en délibéré, mais contrairement à ce que tout le monde attendait, il a fixé le prononcé des jugements à deux dates différentes, les 13 septembre et 18 octobre. Et c’est ce petit détail là, où comme d’habitude le diable va se loger, qui aurait dû attirer l’attention. Permettant ainsi de voir se dessiner la mécanique qui allait happer Patrick Balkany.
Décision rendue par le tribunal le 13 septembre dernier sur l’affaire de fraude fiscale : quatre ans de prison ferme, dix ans d’inéligibilité avec mandat de dépôt à l’audience. Répétons que la peine pour être sévère est finalement assez proche de celle de trois ans fermes prononcée elle aussi en première instance contre Jérôme Cahuzac et pour des faits moins graves. Et répétons également que le mandat de dépôt n’est pas une sanction mais une mesure de sûreté. Patrick Balkany a donc été incarcéré le soir même, et il lui appartenait de relever appel de la décision rendue à son encontre, et de former devant la Cour une requête portant uniquement sur la réformation du mandat de dépôt. Ses conseils ont immédiatement accompli ces démarches et sollicité sa mise en liberté. Le problème est que la Cour d’appel dispose d’un délai de deux mois pour fixer la date d’audience. Et il était fort peu probable qu’elle puisse le faire avant le 18 octobre date à laquelle Patrick Balkany sera à nouveau devant la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour entendre la deuxième décision rendue à son encontre. Et il comparaîtra par conséquent, dans la situation humiliante d’un détenu enfermé dans le box entouré de deux gendarmes.
Quant aux nouvelles condamnations, et compte tenu des réquisitions, on peut les évaluer à quelque chose qui serait de l’ordre de six ans de prison ferme avec un nouveau mandat de dépôt. Le maire de Levallois sera donc gratifié de deux mandats de dépôt et confronté à deux procédures successives pour essayer d’obtenir sa remise en liberté devant la Cour d’appel, devant laquelle il comparaîtra lesté d’une addition de condamnations à 10 (6+4) ans de prison ferme. Eh oui, parce que cerise sur le gâteau et petite humiliation supplémentaire, il ne sera pas possible le 18 octobre de prononcer la confusion des peines puisque celles du 13 septembre frappées d’appel ne sont pas définitive…
Peu probable dans ce cas que le maire sortant de Levallois-Perret soit disponible pour la campagne municipale de mars 2020… L’étrange saucissonnage du dossier, les mandats de dépôt et l’agenda adopté ont-ils pour origine la volonté de prévenir ce risque d’une réélection en forme de bras d’honneur à la justice de la part des citoyens de Levallois-Perret ? Ou bien sommes-nous en présence du désir d’une répression brutale contre un personnage exaspérant en contournant le caractère suspensif de l’appel en matière pénale ? Ou encore de l’envie de faire un exemple en rappelant aux politiques qu’à la fin c’est toujours la Justice qui tient le manche ?
Sans trancher entre ces différentes hypothèses, rappelons quand même que tout ceci n’est pas très reluisant et qu’il n’est pas souhaitable que le fonctionnement de la justice, quel que soit le justiciable, puisse ainsi s’apparenter à une partie de billard à plusieurs bandes.
- Source : Vu du Droit