Iran : vrai ou faux départ ? Une honte pour l’industrie…
L’accord sur le nucléaire avec l’Iran a permis de penser pendant quelques mois qu’une page était tournée avec ce pays complexe à la fois cultivé et théocratique traversé par des pulsions contradictoires depuis des siècles. Après d’âpres négociations, les pays occidentaux acceptaient la bonne foi des Iraniens sur la concentration de leur programme nucléaire sur le civil, la production d’électricité, et les industriels européens étaient incités à franchir le pas et à engager des coopérations dans tous leurs secteurs d’activité. L’opinion américaine restait néanmoins très réservée sur cette décision et il a suffi d’une élection présidentielle pour revenir au point de départ : défiance et embargo.
Ce qui a été une menace agitée pour faire reculer les amateurs de marchés rémunérateurs pendant la guerre froide a pris depuis quelques années une autre allure. La justice américaine s’est mise en route pour punir tous ceux qui contesteraient leur hégémonie mondiale tout en voulant utiliser le dollar ou continuer à faire des affaires avec les USA. Les procédures engagées l’ont été d’abord pour lutter contre la corruption, elles ont dérivé par la suite sur tous ceux qui ne respectaient pas la loi américaine. On ne compte plus les amendes de l’industrie européenne à payer aux Américains et toute « punition » décidée par les USA entraine des dysfonctionnements majeurs dans la production de l’Union Européenne, il nous faut obéir sous peine de disparaitre.
Avec les affaires qui ont fait vaciller Siemens puis qui ont signé la disparition d’Alstom, on a compris le sérieux des avertissements et ce sont désormais sur les embargos divers décidés par le maître de Washington que se ruent magistrats et avocats. Les responsables encore incarcérés aux USA et ceux qui ont dû démissionner et ne peuvent plus quitter en toute quiétude leur pays sous peine d’extradition vers les Amériques sont là pour rappeler aux récalcitrants ce qui peut leur arriver. En France, comme ailleurs dans le monde occidental on n’a pas trouvé de volontaires ! Les grands groupes français et européens ont donc fait marche arrière et rompu la plupart des accords qui enthousiasmaient leur personnel pour la conquête de nouveaux marchés attendus souvent depuis des dizaines d’années, avec le maintien de liens et de discussions amicales avec leurs homologues. Toute la diaspora iranienne se réjouissait aussi de cette ouverture de leur vieux pays en espérant que la modernité des mœurs allait accompagner celle du tissu industriel. Il a suffi d’une signature pour effacer tous les espoirs et les efforts.
L’arme diabolique du FCPA mise en œuvre pour lutter contre la corruption (quel responsable pourrait justifier la corruption) est désormais utilisée pour s’assurer que les USA maitrisent toujours les destinées de l’industrie occidentale (1). La mondialisation a ainsi conduit à une perte d’indépendance totale de l’Europe, nous sommes devenus « sujets » de sa Majesté USA et c’est le Department Of Justice (DOJ) qui mène le bal, des juges « indépendants » ! Si les responsables industriels sont condamnés et incarcérés, Washington se déclarera incompétent pour les libérer ou atténuer leurs peines, on a pu le constater dans le passé. Les Européens, Allemands et Français en particulier, sont restés les bras ballants depuis une dizaine d’années devant cette prise de pouvoir progressive de l’administration américaine sur notre appareil productif. Nous avons déjà des contrôleurs à temps plein dans bon nombre de groupes, mais si nous ne régissons pas, ce sera bientôt l’ensemble de notre tissu industriel qui sera concerné. L’embargo sur la fourniture de produits à la Russie a déséquilibré bon nombre de secteurs, mais avec l’Iran on entre dans une nouvelle phase encore plus grave sans réactions de la part de nos dirigeants nationaux ou européens, des postures, oui, des solutions non !
Comme dans tout problème qui implique un grand nombre d’acteurs, il est nécessaire d’établir un diagnostic et de le faire partager par le plus grand nombre. Il ne s’agit donc pas de se saisir du seul sujet iranien, car cela conduirait à revenir sur la pertinence ou non des mesures prises par Washington, mais plutôt d’essayer de comprendre comment nos industries nationales peuvent évoluer dans le monde sans être forcément d’accord avec la position américaine. On parle donc bien de la France et de l’Europe et de nos capacités à décider de notre avenir, c’est-à-dire de nos possibilités de discuter avec qui nous voulons comme de commercer avec eux. C’est de notre liberté dont on parle. Nous avions décidé que les Iraniens étaient fréquentables, nous avions peut-être tort, mais nous n’avons pas, à mon avis, changé d’avis tandis que nous sommes obligés de changer d’attitude. Les USA parlent et on se couche ! On peut multiplier les rodomontades, mais la réalité est aveuglante, nous avons perdu la maitrise de nos relations. Ce diagnostic est-il partagé par tous les pays européens ? C’est une discussion prioritaire à avoir, en tous les cas cette retraite entraine le mépris de tous les pays qui nous regardent et nous aiment bien : « On ne peut plus avoir confiance dans la France et dans l’Europe ».
La conséquence de cette observation est claire, il faut mettre au premier plan des discussions avec les Américains non se satisfaire de petits arrangements commerciaux pour atténuer les difficultés économiques des industries européennes en raison des agissements de la Justice Américaine à travers le FCPA. Il s’agit là de notre avenir et de ceux de nos enfants, nous ne sommes pas américains mais français et européens, nous n’avons pas signé d’obéir sans coup férir aux opinions et foucades de notre allié d’outre-Atlantique, nous devons refuser énergiquement cette mainmise sur notre économie et finalement cette entrave à notre liberté d’agir avant que l’on nous empêche de penser et d’écrire. La Russie comme l’Iran et d’autres ne sont pas au ban des nations, les peuples aspirent à la paix et les positions d’embargo ne les ont jamais aidés dans le long chemin qui pourrait les mener vers la démocratie.
Il faut donc refuser que la Justice américaine pénètre sur le sol européen et s’en expliquer d’urgence avec nos alliés, ce qui avait paru acceptable (et qui ne l’était pas) sous prétexte de lutte contre la corruption ne l’est plus quand il s’agit de notre politique étrangère. Si nous le voulons nous avons le devoir de maintenir nos décisions sur nos relations extérieures comme les Russes et les Chinois continuent à le faire.
Note:
(1) Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) est une loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger. Pour en savoir plus sur cette loi : https://www.iveris.eu/list/compterendus_devenements/114-apres_alstom_a_qui_le_tour__
- Source : Iveris