L’impact des mesures politiques sur le commerce avec la Russie
L’impact économique des sanctions prises par les pays occidentaux (Etats-Unis et UE) à l’égard de la Russie est souvent l’objet de débats. Mais, on s’intéresse peu à l’impact des contre-sanctions prises par la Russie sur les pays de l’Union européenne. Pourtant ces mesures, ainsi que le pivotement d’une partie du commerce extérieur de la Russie, ont eu des conséquences non négligeables sur les économies des pays concernés. La publication des chiffres du commerce extérieur russe permet de préciser quelques points sur ce sujet.
I. Baisse et transformation de la structure du commerce extérieur de la Russie
On s’intéresse ici uniquement au commerce des biens. Tous les chiffres qui seront donnés sont dits « Freight on Board » ou « FOB ». La première chose que l’on constate est effectivement une baisse du commerce extérieur de la Russie en prix (l’unité de mesure est le million ou le milliards de dollars). Cette baisse affecte tout autant les exportations (pénalisées par la baisse brutal du prix du baril) que les importations. Ces dernières baissent cependant pour plusieurs raisons :
- Baisse du pouvoir d’achat en dollar des entreprises et des ménages.
- Baisse absolue du pouvoir d’achat des ménages.
- Mise en place de mécanismes de substitution soit entre les importateurs, soit entre la production interne et les exportations.
Le cumul de ces facteurs explique que la baisse des importations aient été parallèle à la baisse des exportations.
Graphique 1
Evolutions du commerce extérieur de la Russie
Source : Banque Centrale de Russie
On constate cependant que le solde commercial de la Russie reste très largement positif sur l’ensemble de la période. Jamais, et cela contrairement à des rumeurs qui circulaient dans la presse à l’automne 2014 et au printemps 2015 la Russie n’a été confrontée à un déséquilibre de son commerce qui eut été susceptible de provoquer une nouvelle crise financière.
II. La modification de parts des partenaires
Cette baisse affecte donc le chiffre d’affaires global (Exportations + Importations). Le montant baisse brutalement en 2014 et jusqu’en 2016, avant de se redresser fortement en 2017.
Tableau 1
Chiffre d’affaires du commerce extérieur russe (biens) en milliards de dollars
Source : Banque Centrale de Russie
Notons que, calculé en roubles, ce chiffre d’affaires connaît des fluctuations bien moindres, et qu’il est même en 2017 supérieur de 20% à son niveau de 2013.
Cependant, ce qui est encore plus marquant est la modification de la part des partenaires commerciaux de la Russie. Ici encore, on utilise les données fournies par la Banque Centrale de Russie sur la base de la collecte des données des douanes. On constate que ces parts, pour les 15 premiers partenaires commerciaux de la Russie se modifient quelque peu entre 2013 et 2017. Le montant global de la part du chiffre d’affaires de ces 15 premiers partenaires évolue cependant peu, connaissant un pic à 82,4% en 2016 et un creux à 80,5% en 2017.
On constate immédiatement que 5 pays ont vu leur part dans le commerce extérieur de la Russie reculer. Il s’agit de l’Ukraine (dont le commerce avec la Russie était important en 2013) et qui subit de plein fouet les conséquences de la crise politique avec la Russie. L’impact sur l’économie ukrainienne de cette baisse a été très sévère. Mais, on constate aussi que certains pays de l’Union européenne voient leur part dans le commerce avec la Russie reculer substantiellement. C’est en particulier le cas de la France et de la Pologne, deux pays qui ont été frappés par les « contre-sanctions » visant les productions agricoles et agro-alimentaires prises par la Russie en rétorsion aux sanctions dont elle était la cible. On notera cependant que ceci n’affecte pas trois pays de l’UE, et probablement pour des raisons assez différentes.
L’Allemagne ne subit aucune conséquence des sanctions, et ceci très probablement parce que ses industriels ont adopté une politique très pragmatique à l’égard de la Russie, cherchant à contourner les mécanismes des sanctions, sans nul doute avec l’assentiment du gouvernement. Pour les Pays-Bas, la question est faussée car ce dernier pays reçoit une grande partie du gaz naturel russe avant de la revendre aux consommateurs finaux. Cela explique que les flux de commerce se maintiennent. Enfin, l’Italie a dû adopter une politique très semblable à celle de l’Allemagne, et les industriels italiens sont toujours bien présents, et très actifs, en Russie.
On notera aussi que des pays améliorent leur part dans le commerce extérieur russe. C’est, tout d’abord, le cas de la Chine et du Kazakhstan, mais qui relèvent de deux logiques différentes. La Russie a largement substitué le charbon du Kazakhstan au charbon ukrainien. Par contre, elle s’est globalement ouverte au commerce avec la Chine et a accru le volume de ses exportations de pétrole et de gaz vers ce pays. Le Japon et la Corée du Sud ont aussi vu leur part dans le commerce extérieur russe augmenter, ce qui correspond aussi au « tournant vers l’Asie » effectué par la Russie. Enfin, la Turquie, en dépit d’une période de conflit avec la Russie, s’est positionnée comme un exportateur de substitution sur les produits agricoles, au détriment de la France et de la Pologne.
III. Le coût des réajustements pour certains pays
On doit tenter maintenant de mesurer le coût de ces réajustements pour certains pays. Pour ce faire, il faut commencer par calculer les pertes en dollars par rapport au chiffre d’affaires de 2013 qui sont dû à la contraction générale du commerce extérieur de la Russie. Ces pertes se calculent en rapportant les montants des chiffres d’affaires de 2014 à 2017 à celui qu’ils avaient atteint en 2013.
Unité : milliards de dollars
Source : Banque Centrale de Russie
Il convient, dès lors, de distinguer ce qui est dû à la contraction globale du commerce extérieur russe, et ce qui est dû aux ajustements des parts dans ce commerce extérieur. Pour ce faire, on propose de calculer un chiffre fictif du commerce extérieur, en appliquant aux années de 2014 à 2017 les proportions de 2013 puis de comparer ce chiffre avec le chiffre réel de chaque pays dans son commerce extérieur avec la Russie. Cette comparaison donnera alors une indication des pertes et des gains subits par chacun de ces pays en raison des modifications des flux du commerce extérieur de la Russie.
On obtient alors, pour les pertes cumulées de 2014 à 2017, à la fois le montant des pertes uniquement liées au changement de structure mais aussi l’impact moyen (réparti sur 4 ans) de cet impact par rapport au chiffre d’affaire de chaque pays. Cela donne le tableau suivant :
Tableau 5
Le Kazakhstan apparaît comme, en proportion, le grand gagnant du réajustement du commerce extérieur russe, suivi par la Chine, le Japon et la Turquie. Parmi les perdants, si l’Ukraine fait figure de « numéro 1 », la deuxième place revient à la France. Pour ce dernier pays, la perte annuelle moyenne liée au réajustement de la structure du commerce, et concernant pour l’essentiel les exportations vers la Russie se monte à 5,75 milliards de dollars, soit 0,2% du PIB de la France (nous importons peu de la Russie).
L’impact (positif ou négatif) du réajustement du commerce extérieur russe a été significatif pour un certain nombre de pays. Si, le Kazakhstan et les pays industrialisés d’Asie tirent leur épingle du jeu, des pays comme l’Ukraine, la France et la Pologne subissent de plein fouet les effets de ce réajustement. Pour la France, on peut estimer qu’entre les effets des « contre-sanctions » et la timidité des exportateurs dans un contexte marqué par les sanctions (et l’absence de soutien de la part du gouvernement), les pertes ont été importante et pourraient avoir eu un impact de 0,2% sur le PIB annuel de 2014 à 2017. Quand ont voit les montants de la croissance du PIB durant ces années, ce n’est donc pas négligeable.
- Source : Les crises