A quoi sert la kermesse de Davos? L’arrogance des grands devant la misère
«Même dans la misère, un homme a des idées. Si personne ne reconnaît ses idées, il s’enfonce encore plus dans la misère.» (Un participant du Séminaire OMD au Burkina Faso)
Depuis près de 50 ans, Davos réunit des dirigeants d’entreprises, des chefs de gouvernement, des hommes politiques, des artistes, toute une élite globalement acquise au libre-échange sous toutes ses formes. Cette édition revêt une saveur particulière compte tenu de l’hostilité croissante d’une part importante des populations occidentales envers la mondialisation, notamment d’une classe moyenne en voie de déclassement. Ils ont voté Trump, le Brexit et vont peut-être bousculer le jeu politique en France, en Allemagne, etc. Cela n’a pas dérangé pour autant les grands de ce monde qui ont trouvé à Davos le temps de s’amuser en simulant les conditions de vie des émigrés, mais comme dit mon petit-fils, c’est pas pour de vrai!!
Rapport sur l’état des inégalités
«La richesse mondiale est devenue encore plus concentrée dans les mains des riches en 2016, seuls huit milliardaires, écrit Nick Beam, dont six Américains, possèdent autant de richesses que la moitié inférieure de la population mondiale, soit environ 3,6 milliards de personnes, ce qui représente 0,2% de la richesse mondiale totale, ou 409bn $. Le rapport d’Oxfam publié à la veille du Forum économique mondial annuel à Davos, présente des statistiques qui mettent en évidence la croissance stupéfiante de l’inégalité sociale, montrant que l’écart de revenus et de richesse entre une minuscule élite financière et le reste du monde s’élargit à un rythme accéléré. L’année dernière, selon Oxfam, 62 personnes contrôlaient autant de richesse que la moitié inférieure de l’humanité. Selon Oxfam, depuis 2015, le 1 pour cent le plus riche de la population mondiale possède plus que le reste du monde dans sa totalité, et au cours du dernier quart de siècle, le premier 1 pour cent a davantage augmenté son revenu que la moitié inférieure de l’humanité». (1)
«Loin de bénéficier à la population dans son ensemble, les revenus et la richesse fuient vers le haut à un rythme alarmant», déclare le rapport. Les 1810 milliardaires en dollars sur la liste Forbes de 2016 possèdent 6,5 mille milliards de dollars, autant «que les 70 pour cent les plus pauvres de l’humanité». «(…) Selon Oxfam, l’homme le plus riche du Vietnam gagne plus en une journée que la personne la plus pauvre du pays gagne en 10 ans. Le rapport souligne le caractère systématique du siphonage des richesses mondiales vers le haut. Le secteur privé est axé sur l’obtention de «rendements toujours plus élevés pour les propriétaires riches et les cadres supérieurs»; les entreprises sont «structurées pour éviter les impôts, compresser les salaires des travailleurs et exploiter les producteurs». Cela implique les pratiques les plus barbares. Oxfam cite un rapport de l’Organisation internationale du Travail, selon lequel 21 millions de travailleurs forcés génèrent 150 milliards de dollars en profit chaque année. De nombreuses grandes entreprises ont des liens avec des filatures de coton en Inde qui ont systématiquement recours au travail forcé des filles». (1)
Les multinationales s’enrichissent
Nick Beam poursuit: «De nombreuses statistiques soulignent toute l’étendue du pouvoir du patronat. En termes de revenus, 69 des plus grandes entités économiques mondiales sont maintenant des sociétés, non des pays. Les 10 plus grandes entreprises du monde, dont Wal-Mart, Shell et Apple, ont des revenus cumulés supérieurs aux revenus totaux des gouvernements de 180 pays. (…) Selon Oxfam, le géant technologique Apple aurait payé une taxe de seulement 0,005 pour cent sur ses bénéfices européens.
Les pays en développement perdent environ 100 milliards de dollars par an en raison de la fraude fiscale et d’exonérations accordées aux entreprises. Les Etats sont complices de la fraude fiscale et la criminalité. Le rapport cite l’économiste Gabriel Zucman, selon lequel 7,6 mille milliards de dollars sont cachés dans les paradis fiscaux. En raison de la fraude fiscale, l’Afrique perd à elle seule 14 milliards de dollars, soit assez pour payer des soins qui sauveraient la vie de quatre millions d’enfants et embaucher assez d’enseignants afin que tous les enfants africains aillent à l’école». (1)
Pour Nick Beam, «il y a une omission importante de la discussion d’Oxfam sur l’accélération des inégalités. Elle ne mentionne pas le rôle crucial des politiques des gouvernements des grand pays et des banques centrales dans la remise de billions de dollars aux banques, aux grandes entreprises et aux élites financières grâce aux renflouements bancaires et aux politiques d’assouplissement quantitatif depuis la crise financière mondiale en 2008. Sous Obama, l’accroissement des inégalités s’est accéléré, et la classe dirigeante a sombré dans le parasitisme et la criminalité.(…) Il y a un quart de siècle, après la liquidation de l’Union soviétique, l’euphorie capitaliste triomphait. Débarrassée de l’obstacle posé par l’Urss, la démocratie libérale-capitaliste devait dominer le monde et montrer à l’humanité ce qu’elle pouvait faire. le monde est marqué par toujours plus d’inégalité, une accumulation de richesses vraiment obscène, des formes antidémocratiques de gouvernement, la criminalité aux plus hautes sphères de la société et le danger de plus en plus immédiat d’une Troisième Guerre mondiale». (1)
Des pauvres encore plus… pauvres
«Un constat: la redistribution ne fonctionne pas! Nous aurons toujours l’inégalité Comment est distribuée la richesse mondiale? Qui en profite? Y a-t-il un Smic de dignité sociale pour les revenus? Rien de tout ça! On serait tenté de croire que le niveau de vie est profitable à toutes les couches sociales dans les pays occidentaux industrialisés, il n’en n’est rien. Mieux encore, le pays le plus riche de la planète a ses pauvres et ils sont nombreux: un rapport d’une commission du Congrès sur les inégalités, souligne que, de 1993 à 2012, ceux que l’on appelle ici le «top 1%», c’est-à-dire la frange des Américains les plus riches, a vu ses revenus réels grimper de 86,1%, tandis que le reste du pays n’a connu qu’une appréciation de ses revenus de 6,6%…». La moitié de la nourriture produite dans le monde serait gaspillée chaque année, soit entre 1,2 et 2 milliards de tonnes d’aliments, selon un rapport rendu public en janvier 2013 par les médias britanniques. «Entre 30 et 50%» des 4 milliards de tonnes de nourriture produites annuellement dans le monde «n’atteindront jamais un estomac humain», expliquent les auteurs du rapport de l’Institution of Mechanical Engineers (IMeche), un organisme qui vise à promouvoir l’ingénierie dans le monde». (2)
L’injustice climatique
A toute les avanies que connaissent les déshérités du monde, la faim, la soif, le manque d’hygiène, le manque d’instruction, il faut y ajouter l’injustice climatique et l’autisme des grands incapables de tourner le dos aux énergies fossiles. La maison brûle et on regarde ailleurs disait le président Chirac au sommet de Johannesburg. Unis nous pouvons et nous devons vaincre les atermoiements de puissants de ce monde pour qui la détresse humaine n’est pas un produit marchand, éparpillés la défaite de l’humanité est certaine. Chavez disait que si le climat était une banque, les pays industrialisés feraient tout pour le sauver. Interrogeons-nous si chacun de nous a fait ce qu’il doit faire en termes de dette vis-à-vis de la Nature, en termes de viatique vivable à laisser aux générations futures! Qu’on se le dise, un mode vie à l’américaine, à 8 tep/hab/an n’est pas soutenable! Les Européens qui sont à 4 tep/hab/an sont-ils deux fois moins heureux que les Américains? Et que dire des Sahéliens? Quand on sait qu’un Sahélien consomme en énergie en une année ce que consomme un Américain en une semaine! Que dire aussi quand on sait qu’un plein de 4×4 en biocarburant soit 225kg de maïs transformé, peut nourrir un Sahélien pendant une année! Est-ce ainsi que les hommes vivent? Pierre de Rabhi nous recommande de faire chacun à son niveau comme le colibri- apporter chacun notre goutte d’eau pour éteindre l’incendie et ce faisant conjurer le péril d’un climat erratique qui impactera en premier les déshérités de la Terre.
Les facteurs qui influencent les inégalités dans les revenus
L’universitaire Thierry Lefèvre nous explique les fondements et les facteurs des inégalités Il cite les travaux de Branko Milanovic chercheur à l’université de New York: «Depuis les années 80 écrit-il, les inégalités en termes de revenus des ménages s’accroissent partout dans le monde, même dans des pays en développement (PED) comme la Chine ou l’Inde. Cette augmentation est déroutante car les théories économiques des années 50 et 60 prévoyaient une diminution pour les pays ‘avancés » ainsi que pour les PED qui rejoindraient le marché du commerce mondial. (..) Selon Branko Milanovic, cette croissance des inégalités ne devrait pas durer car les recherches montrent qu’historiquement les inégalités évoluent de façon cyclique. Les inégalités de revenu se mesurent fréquemment à l’aide du coefficient dit de Gini. Celui-ci compare le revenu de chaque ménage d’une nation avec celui de tous les autres. Les données du passé permettent de tirer quelques conclusions générales sur les facteurs qui influencent les inégalités. Selon Branko Milanovic, on peut les scinder en deux: les facteurs dits «malins» (guerres, guerres civiles, épidémies) et les facteurs bénins (facteurs économique, transformations technologiques, mondialisation, démographie». (3)
«Les époques plus reculées poursuit Thierry Lefèvre, ont été fortement influencées par les premiers, l’époque moderne surtout par les seconds. Les épidémies ont en général tendance à réduire les inégalités car elles diminuent la main-d’oeuvre, ce qui augmente les salaires. Les guerres peuvent augmenter les inégalités, suite à l’esclavage ou le pillage, ou les réduire par suite des destructions et de la famine que subissent les populations.» Branko Milanovic établit un parallèle entre la croissance des inégalités qui a marqué la Révolution industrielle et la Révolution numérique (Révolution de l’information) actuelle. Ceux qui a l’époque ont investi dans la machine à vapeur ont reçu beaucoup de dividendes, de même que ceux qui aujourd’hui investissent dans les nouvelles technologies. L’émergence de technologies de pointe aurait également pour effet de favoriser les travailleurs hautement qualifiés aux dépens des travailleurs sans formation. Cette situation serait ainsi différente de la situation représentée par le fordisme où les salaires étaient plus homogènes». (3)
Xi prévient Trump
Curieusement le mythe de la mondialisation heureuse devenue mondialisation- laminoir pour les faibles, est défendu par la Chine. Dans le discours de Xi on sent les prémices des futurs batailles entre les Etats-Unis et la Chine accusée par Trump de tricher dans le commerce international. La mondialisation est irréversible, a prévenu le président chinois Xi Jinping, qui participait pour la première fois au forum de Davos, utilisant l’énorme caisse de résonance du forum de Davos pour avertir le prochain président américain Donald Trump, qui affiche son hostilité envers le libre-échange. «Cela ne sert à rien de blâmer la mondialisation» pour les problèmes de la planète, a affirmé M. Xi lors de son discours d’ouverture du Forum économique mondial (WEF), citant le chômage, les migrations et la crise financière de 2008. « Toute tentative de stopper les échanges de capitaux, technologies et produits entre pays (…) est impossible et à rebours de l’histoire », a-t-il martelé, envoyant un message implicite au futur président américain Donald Trump qui, entre en fonction vendredi. « Personne n’émergera en vainqueur d’une guerre commerciale », a-t-il encore lancé, alors que M.Trump envisage d’ériger des barrières douanières pour protéger les emplois américains». (4)
Les élites jouent aux réfugiés à Davos
C’est sous ce titre que l’analyste financier américain Gerald Celente qualifie «La mise en scène de la détresse des réfugiés devenue un événement couru du Forum de Davos. C’est un symptôme visible de notre société néo-féodale, estime l’analyste financier américain. Pour Gerald Celente Davos est un camp pour milliardaires et ils se comportent comme de petits campeurs. C’est aussi lâche de leur part, car aucun d’entre eux ne parle des raisons de cette énorme crise des réfugiés. Cela ne pourrait pas être à cause de la destruction de l’Irak. Non, cela n’a rien à voir, mais elle est pourtant responsable de la mort de plus d’un million de personnes. Cela n’a rien à voir avec la destruction de l’Afghanistan, un conflit qui est devenu la guerre la plus longue de l’histoire des Etats-Unis. Cela n’a rien à voir avec les Etats-Unis, l’Otan et leur coalition qui tuent et massacrent en Syrie, forçant les populations à abandonner leurs maisons». (4)
Selon le New York Times: «Il y a un événement important à Davos – la simulation de l’expérience des réfugiés, où les participants du Forum peuvent se mettre à quatre pattes et rampent, feignant de fuir des armées en marche. C’est l’un des évènements les plus populaires chaque année.» Evénement populaire, vraiment? Et si on organisait un événement populaire qui permettait de se déplacer d’un endroit où votre maison est bombardée, vos parents tués et où les soldats violent votre soeur? Pourraient-ils supporter cela? C’est une honte et cela vous montre le niveau d’absurdité, d’arrogance et d’étroitesse d’esprit de ces petits êtres avec tout cet argent. C’est un spectacle dégoûtant. L’argent dépensé à Davos pourrait aider les camps de réfugiés et la crise migratoire touchant d’autres pays. Et selon New York Times, c’est l’un des spectacles les plus remarquables de cette charade». (4)
«On sait que les inégalités extrêmes dégradent le vivre ensemble. Elles renforcent le pouvoir des oligarchies aussi dans les pays en développement. Elles limitent l’accès à l’éducation et à la santé, l’égalité homme-femme. Peu à peu, l’organisation économique et sociale devient duale: le bas de gamme; Low-cost pour la grande masse et grand luxe pour les 1%. Quartiers résidentiels bunkerisés, pour les uns, logements précaires dans des quartiers périphériques pour les autres. Ce type de société, à l’apartheid social assumé, induit frustration et montée de la violence avec le développement d’économies souterraines. Plus de Porto Allegre sonore, que j’avais en son temps, désigné comme étant le «Davos des pauvres». Est-ce pour autant qu’il faille baisser la garde? Non, mille fois non! Le combat citoyen continue non seulement à l’intérieur mais aussi à l’échelle du monde». (6)
Notes:
1.Nick Beams 17 janvier 2017 http://www.mondialisation.ca/huit-milliardaires-controlent-autant-de-richesses-que-la-moitie-de-lhumanite/5569424
2.C.E.Chitour, http://palestinesolidarite.org/ analyses.chems-eddine_chitour.250114.htm
3.Thierry Lefèvre http://planeteviable.org/facteurs-inegalites-revenus/2016/12/07
6.C E. Chitour: Le Davos des Pauvres. http://www.millebabords.org/spip.php?article5439
- Source : Mondialisation (Canada)