Ebola : la rupture de stock d'un médicament a diminué la mortalité de 30%
Un antipaludéen utilisé parce qu'un autre était épuisé a permis de diminuer la mortalité de 30%.
Dans son bureau de Genève, en ce jour de février 2015, Étienne Gignoux grignote un sandwich avant de s'attaquer à un gros rapport un peu ennuyeux. Le matin même, entre mille autres sujets, l'un de ses collègues a évoqué les travaux publiés en avril 2013 par le chercheur américain Peter Madrid : l'amodiaquine, un antipaludéen, s'est avéré efficace in vitro sur des cellules infectées par le virus Ebola. Résultat pas particulièrement étonnant en lui-même, et qui n'a pas justifié un branle-bas de la recherche, explique au Figaro Sylvain Baize, responsable du Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales à Lyon : «L'action de ce dérivé de chloroquine sur ce type de virus est connue. Il inhibe l'entrée des virus dans la cellule, c'est d'ailleurs un peu comme cela qu'il agit sur le paludisme. Mais ce genre de résultat in vitro est rarement reproduit in vivo!»
L'affaire aurait donc pu s'arrêter là si Étienne Gignoux, membre de l'unité de recherche de Médecins sans frontières Épicentre, ne s'était souvenu d'un aléa survenu dans un centre de traitement d'Ebola géré par MSF à Foya, au Liberia. À leur admission dans un centre Ebola, les malades reçoivent systématiquement un traitement antipaludéen. Mais, en août 2014 à Foya, une rupture de stock de l'antipaludéen habituellement utilisé avait obligé les soignants, douze jours durant, à délivrer aux malades un autre traitement antipaludique associant artésunate et amodiaquine (Asaq).
«Cela sautait aux yeux»
Grignotant son sandwich, donc, Étienne Gignoux jette un œil aux données recueillies à Foya. Et un élément lui apparaît «tellement évident qu'il sautait aux yeux, se souvient l'épidémiologiste. La mortalité était nettement inférieure» chez les patients sous Asaq, que chez ceux à qui on avait délivré le traitement usuel combinant artéméther et luméfantrine (Coartem).
Pour en avoir le cœur net, son équipe épluche en détail les données de 381 patients admis entre juin et octobre 2014 : 194 ont reçu du Coartem, 71 de l'Asaq, 63 n'ont pas reçu d'antipaludéen et, pour 53 patients, l'information n'était pas disponible. L'impression de départ était juste : un peu plus de 64 % des patients ayant reçu l'association habituelle artéméther et luméfantrine sont décédés, contre 50,7 % des patients ayant reçu le médicament contenant de l'amodiaquine, écrivent les chercheurs dans un article publié ce jeudi dans le New England Journal of Medicine.
Biais possibles
Après ajustement de plusieurs critères, dont on sait qu'ils influent sur le pronostic vital (âge, sexe, charge virale, infection ou non au paludisme, recours à une réhydratation par intraveineuse, nombre de patients présents dans le centre au moment de l'admission), le risque de mortalité s'avère inférieur de 31 % dans le groupe sous Asaq.
«L'étude est solide et semble convaincante. Mais même si les résultats de l'amodiaquine sont prometteurs, il faudra sans doute l'associer à d'autres molécules pour avoir une véritable efficacité sur la mortalité, nuance Sylvain Baize. Il y a aussi beaucoup de biais possibles dans cette étude et les auteurs ne s'en cachent d'ailleurs pas». Impossible notamment de s'assurer que les patients, en particulier ceux souffrant de vomissement, ont réellement reçu l'intégralité d'un traitement délivré par voie orale. «On ne peut pas non plus exclure que ce soit en réalité le Coartem qui augmente la mortalité, et non l'Asaq qui la diminue, admet Étienne Gignoux. Mais aucune explication biologique ne soutient cette hypothèse».
Etudes sur l'animal
D'autres études devront donc confirmer et expliquer le phénomène observé durant ces douze jours de pénurie à Foya. Notamment chez l'animal. «C'est compliqué, car la souris n'est pas un modèle très efficace sur Ebola, note cependant Sylvain Baize. Il faut passer par des essais sur les primates, ce qui est plus cher et pose davantage de problèmes éthiques.» «Tout cela devrait inciter, plaide donc Étienne Gignoux, à bien recueillir et suivre les données des patients durant les épidémies. C'est compliqué, cela peut-être dangereux dans des maladies comme Ebola, et on peut comprendre que la priorité des soignants soit de sauver leurs patients. Mais un bon recueil de données peut permettre de faire des découvertes, grâce à la survenue d'aléas non prévus au départ».
Soline Roy
- Source : Le Figaro santé